Chapitre 6

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Il fait noir. J'ai beau tourner plusieurs fois sur moi-même, je n'aperçois rien. Seule l'obscurité règne. Je ne sais pas où je suis. Je ne sais pas quel jour nous sommes. Mais ça ne m'inquiète pas, moi qui suis pourtant anxieuse de nature. Je reste immobile, en sentant quelqu'un s'approcher de moi. Je ne me fie qu'à mes impressions, puisque mes sens sont inutiles ici. Au moment où deux mains se posent délicatement sur mon visage, ce monde devient soudainement blanc et clair, sans pour autant m'aveugler. Mon coeur rate un battement lorsque je comprends que Luna se trouve devant moi. Elle me regarde, avec ce sourire qu'elle n'adresse qu'à moi-seule. Ce sourire qui m'est réservé et qui est sans aucun doute, mon unique source de joie. La lueur d'espièglerie qui brille habituellement dans ses yeux a été remplacé par la plus grande tendresse du monde. Elle me contemple avec tant d'amour que mon coeur se serre doucement, provoquant à nouveau cette sensation, devenue commune.

Soudain, elle s'approche un peu plus de moi et, se hissant à peine pour être à ma hauteur, elle dépose ses lèvres contre les miennes. Aussitôt, le chaos se déclenche dans mon organisme. Mes neurones s'éteignent, les uns après les autres. Mon rythme cardiaque accélère, presque paniqué par cette situation improbable. Mes paupières se ferment, pour mieux me plonger dans la magie de l'instant. Et mes mains, d'habitude hésitantes et moites, viennent se poser sur ses hanches.

En goûtant l'excessive douceur de ses lèvres, je me surprends à douter de l'irréalité de ce monde. La sensation est pourtant si présente, si véritable, que je suis convaincue d'être pleinement consciente.

Mais lorsque je cherche à lui rendre son geste, seul le vide de ma chambre me répond.

Je me redresse, dans mon lit, une main tremblante posée sur ma bouche. Le toucher de ses lèvres sur les miennes était réel, bien trop réel. Je n'arrive pas à croire que tout ceci n'était qu'un rêve. Où ai-je pu aller chercher cette sensation, moi qui n'ai jamais embrassé personne ?

Je regarde rapidement mon téléphone : nous sommes samedi. Il est 9h18. Je sors de ma couverture et pose mes pieds sur le parquet froid. Je parais calme, mais intérieurement, les questions s'entassent et les doutes s'enchaînent. Ils défilent trop vite pour que je puisse me concentrer sur l'un d'eux. Ils sont si nombreux qu'ils s'écrasent mutuellement.

Je suis complètement perdue.

Il me faut un moyen de mettre de l'ordre dans tout ça. Je me lève et vais me passer de l'eau sur le visage. En relevant la tête, je fixe mon reflet dans le miroir de la salle de bains.

Quelque chose a changé.

Mes sentiments envers Luna étaient différents, nouveaux et curieux. Je les ai laissés se développer, puisqu'ils ne m'entravaient pas plus que ça. Et je dois l'avouer : sentir cette petite flamme au creux de ma poitrine m'apaisait. Mais désormais, c'est devenu un brasier. Et il est trop tard pour tenter de l'éteindre.

Désormais, mon amour déborde. Il s'infiltre même dans mes rêves et dirige mon subconscient. La panique gagne mes mains, que je ne peux empêcher de trembler. Si je n'ai plus le contrôle sur ces sentiments, que va-t-il m'arriver ? Je n'ai jamais rien su à ce propos : les histoires d'amour, les manuels de biologie, les séries télévisées n'ont jamais mentionné ce cas. Est-ce seulement normal ?

Plus j'essaie de réfléchir, de trouver une solution, plus je me perds. C'est comme essayer de trouver la sortie d'un labyrinthe, en oubliant de quel côté je suis arrivée.

Je retourne dans ma chambre et m'allonge sur mon lit, désormais aussi froid que le sol.

Y a-t-il seulement une solution ?


Une semaine s'est écoulée depuis l'amplification de mes émotions. Rien n'a changé entre mes amies et moi : je n'ose m'éloigner de Luna, de peur qu'elle le prenne mal ou se sente rejetée. Pourtant, devoir me comporter comme une amie alors que je ne la considère pas comme telle, est une véritable torture. M'être rendue compte de la force de mes sentiments a aggravé la situation. Ce n'est qu'une question de temps avant que je n'y succombe ou que mes amies le remarquent.

Parfois, égoïstement, je regrette d'être allée parler à Luna. Si je n'avais jamais appris à la connaître, je ne serais pas tombée amoureuse. Tout aurait été plus simple ainsi, n'est-ce pas ?

Mais j'aurais été si malheureuse. Je n'aurais jamais connu la fille épanouie et pleine de joie, qu'elle se révèle être. Elle sourit et fait parfois la tête. Elle rigole aux blagues de Mathilde et dispute Clara quand elle dépasse les bornes. Elle me raconte toujours le résumé du livre qu'elle est en train de lire, si bien que je n'ai même pas besoin de l'acheter pour savoir qu'il est génial : l'étincelle de son regard vaut tous les éloges. Elle aime discuter de tout et de rien, de la pluie et du beau temps, des professeurs et des cours. Elle a toujours ce petit éclat dans la voix qui, dès que je l'entends, me charme et m'apaise.

J'ai l'impression d'avoir été enfermée dans une boîte, et je viens seulement de me rendre compte que je n'ai plus assez d'air. Je ne m'étais pas inquiétée de ces sentiments : aurais-je dû ? Mais qu'aurais-je pu faire, de toutes façons ?

J'en ai conscience : je me tue à petit feu avec la contradiction de mes remarques.

C'est une longue et agréable descente aux enfers. Et j'ai l'impression de m'y précipiter, plutôt que d'essayer de remonter.

Les cours se terminent et annoncent le début des vacances. Mathilde a cours de piano et Clara doit s'occuper de son petit frère, alors Luna et moi allons seules au parc. Encore une fois, c'est une rude épreuve : tout le long du trajet, je dois enfouir mes mains dans les poches de mon blouson, pour les empêcher de saisir celle de Luna. Trop concentrée à garder mon calme, je n'entends pas ce qu'elle me raconte.

- Eh, Océane, tu m'écoutes ?

- Hein ?

Elle s'arrête et me regarde, à la fois vexée et inquiète.

- Tu vas bien ? J'ai remarqué que tu étais souvent ailleurs, ces derniers temps.

Je déglutis difficilement.

- N'importe quoi ! Je vais parfaitement bien, répondis-je, en priant pour réussir à la convaincre.

Luna se contente d'hausser les épaules et nous continuons notre chemin. Je soupire intérieurement.

As-tu seulement remarqué, Luna ? Que je ne regarde plus que toi ? Que j'agonise lentement, lorsque tu n'es pas là ? Que même si tu ne dis rien, je souris quand tu es à côté de moi ?

Si seulement tu me regardais, tu le saurais. Mes émotions déborderaient.

Et tu verrais que je t'aime.

Elle aimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant