- Pas possible ! m'exclamé-je sans le vouloir.
- J'avais entendu des rumeurs à ce propos, mais je ne pensais pas que c'était vrai, ajoute Clara.
- Qu'en est-il de la lycéenne ? demandé-je, curieuse.
- Elle n'était pas dans notre lycée, Océane. Mais des élèves de troisième l'auraient vue, à la sortie des classes. Elle attendait Luna et elles sont rentrées ensemble, main dans la main : ça a suffi pour créer la polémique. Dans notre classe, on en parlait peu puisque Luna pouvait nous entendre. Mais dans les autres... Ils ne cachaient pas leur dégoût. Je n'en sais pas plus, mais elle a dû avoir des problèmes avec les autres collégiens.
- Heureusement que nous sommes au lycée maintenant : ils doivent être assez matures pour la laisser tranquille, vous ne pensez pas ? suggère Clara.
- Je ne sais pas. Depuis l'année dernière, Luna me semble encore plus renfermée sur elle-même qu'auparavant.
Inconsciemment, mon regard se pose sur la lycéenne en question. Penchée sur son livre, sa sérénité contraste nettement avec l'agitation des élèves qui l'entourent.
- Je n'aurais jamais pensé qu'elle était comme ça, laissé-je échapper.
- Tu ne connaissais même pas son prénom avant ce matin ; évidemment que tu ne pouvais pas savoir ça ! s'esclaffe Clara.
Je me retiens de lever mon majeur pour lui faire comprendre mon agacement.
- Ce que je veux dire, c'est.. On ne dirait pas, non ?
- Comment ça ? me demande Mathilde.
- Ce qu'Océane veut dire, c'est que Luna ne ressemble pas à une gouine, clarifie Clara.
- Ne le dis pas comme ça, c'est insultant, la fusillé-je du regard. Plus sérieusement, si ce n'étaient que des rumeurs ? On ne les a vues qu'une fois ensemble et encore, ce sont des collégiens qui l'ont rapporté : c'est facile de créer une polémique de toutes pièces, vous ne pensez pas ? Nous n'avons aucune preuve que tout cela est vrai.
Mathilde et Clara se regardent, puis haussent les épaules.
- De toutes façons, cette histoire date de l'année dernière. Je suis sûre que même ceux qui l'ont répandue, l'ont déjà oubliée.
- Mais pas celle qui en fait l'objet, murmuré-je, les yeux à nouveau posés sur Luna.
Notre conversation est interrompue par l'entrée de notre professeur d'anglais. Mes deux amies se retournent et, de l'autre côté de la salle, Luna referme son livre, sans remarquer l'insistance de mon regard.
Nous entamons enfin l'après-midi, lorsque que mes amies et moi sommes prostrées sur notre banc habituel. Le temps du midi est sans doute la période la plus calme et la moins ennuyeuse : la majorité des élèves sont sortis du lycée pour aller déjeuner autre part que dans l'immondice qui nous sert de cantine. Mathilde, Clara et moi n'avons malheureusement pas cette chance. Leur discussion actuelle ne m'intéresse pas et je préfère me plonger dans mes pensées, tout en contemplant le ciel nuageux.
Je repense à la conversation de ce matin : Luna est-elle réellement comme ça ? Je ne saurais pas expliquer pourquoi je suis si intéressée par cette histoire. Ou plutôt... Non, elle ne m'intéresse pas : elle m'intrigue. Comme Luna.
Je voudrais en savoir plus. Après tout, je n'ai jamais rencontré d'homosexuel. N'est-ce pas normal et humain d'être curieuse à son propos ? Pourtant, ma conscience me répète que ce ne sont pas mes affaires. Je devrais laisser Luna tranquille : si Mathilde a raison, elle a déjà dû suffisamment souffrir à cause de ça. Mais ma curiosité ne peut se contenter de ces excuses. Un intérêt soudain, inexplicable, me pousse à me lever lorsque j'aperçois Luna sortir du réfectoire. Mes amies me regardent, surprises.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Je reviens, me contenté-je de répondre.
En réalité, je ne sais pas moi-même ce que je suis en train de faire. Je me dirige à grands pas vers Luna, presque confiante dans ma démarche. Mais lorsque je l'interpelle et qu'elle me fait face, je me paralyse et me rappelle que je ne sais absolument pas quoi lui dire.
- Oui ? me demande-t-elle, comme si elle m'invitait à parler.
Je réfléchis à toute vitesse, avant de trouver la seule excuse que je possède, pour lui adresser la parole.
- C'était juste pour, hum.. Ce matin, tu vois, je n'ai pas été très.. Comment dire..? Je suis désolée de t'avoir autant dérangée, pendant ta lecture. Je t'assure que je ne voulais pas t'embêter, c'est juste..
- Non, c'est ma faute. Je n'aurais pas dû être aussi... Amère. Tu n'avais rien fait de mal, me répondit-elle, en souriant timidement.
A ce moment précis, tout commence. Tout s'effondre, tout se crée. Tout s'accélère, tout ralentit. Tout s'illumine, tout s'obscurcit. Je me retrouve plongée dans un tourbillon de sensations inconnues, à la fois effrayantes et apaisantes. Tandis que je m'y perds, l'image de Luna se grave dans ma rétine : ses cheveux blonds, ses yeux marrons, son teint pâle, et son léger sourire, presque gêné.
Le surplus de ressentis compresse lentement, mais de plus en plus, les parois de mon coeur, me donnant l'impression d'étouffer. Mais c'est une délicieuse asphyxie, que je ne cherche pas à fuir, trop heureuse de me précipiter dans ce nouvel univers, qui me tend les bras.
Je reste inerte pendant de longues secondes, incapable de répondre quoi que ce soit. Luna semble sur le point de s'en aller, pensant que la discussion est close. Aussitôt, cette nouvelle sensation, installée au creux de ma poitrine, se fait désireuse : je ressens l'inexplicable besoin d'entendre à nouveau sa voix. Je veux lui parler, l'écouter et la faire rire. Je veux l'empêcher de partir.
- Attends, Luna !
Elle s'immobilise dans son demi-tour et me fixe à nouveau, curieuse.
Je ne décèle aucun signe d'exaspération dans son regard et j'ose alors lui demander :
- Mathilde, Clara et moi allons au bowling demain. Si tu veux, tu peux venir avec nous..?
Elle semble étudier ma question pendant quelques instants, avant que son visage ne s'éclaircisse.
- Bien sûr, me répond-elle simplement.
Je déglutis difficilement, ayant l'impression d'avaler une enclume plutôt que ma salive. Première tentative : un franc succès. Je me félicite intérieurement.
- Donc... Demain, à 14h, au bowling du centre-ville ; ça te va ?
- Pas de soucis, j'y serai.
Après m'avoir offert à nouveau l'un de ses sourires timides, Luna s'éloigne, me laissant paralysée par mon propre exploit. Lorsque je me décide enfin à retourner m'asseoir auprès de mes amies, les questions ne tardent pas.
- Qu'est-ce qui t'a pris ? me demande Clara, sur un ton de reproche.
- Tu nous as fait peur, à te lever et partir sans prévenir, me gronde Mathilde.
Je me laisse tomber sur le banc, ignorant chacune de leur remarque. Mon regard se perd dans le vide en me rendant compte de ce que je viens de faire.
Je viens sans doute de marquer le début d'une nouvelle amitié. Avec une lesbienne.
J'hésite entre me féliciter et me réprimander. Ne suis-je pas intriguée par Luna, uniquement à cause des rumeurs ? Ça ne me semble pas moral de faire connaissance avec quelqu'un, seulement pour sa sexualité. Pourtant, c'est exactement ce que je viens de faire.
- Les filles, demain, au bowling...
- Quoi ? s'empresse de me demander Clara, souhaitant absolument des explications.
- Nous serons quatre.

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Elle aime
RomantizmLes rumeurs, c'est tout de même bien pratique. Grâce à elles, on peut apprendre des choses sur une personne à laquelle on n'a jamais parlé. Et parfois, on apprend carrément des choses sur nous-mêmes. Qu'elles soient vraies ou fausses, elles sont tou...