Chapitre 6 : Nouvel étage.

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Effondrée sur le carrelage blanc, je demeure bouchée bée. Yeux écarquillés, je fixe le vide, le dénonçant, le méprisant, le haïssant. Je pince mes lèvres jusqu’à en ressentir de la douleur : je pince alors plus fort. J’avoue ne pas comprendre. Il y a eu… la colère, l’affrontement, l’incompréhension… Le regret ? Plus de Soulodes ni d’Oliver près de moi. Combien y a-t’il d’étoiles ici ? Aucune ? Que cela signifie-t-il au juste ? C’est un mauvais présage, probablement.

La lumière grésille. Les tuyaux grincent. Les souris s’y faufilent. Mon corps me retient. Je vois soudain la porte s’entrouvrir doucement… Apparaît alors un visage légèrement masqué de mèches rebelles. Un bout de blouse d’apprenti dépasse. Paul est là. Silencieux, il s’approche et s’assoit près de moi. Il me regarde.

« Tu l’as vu partir ?
- Oui…
- Était-il furieux ?
- Non…
- Tu nous as écouté ?
- …Désolé.
- … Tu es au courant ?
- Pas pour Oliver…
- ... Tu connais le numéro de la chambre de Parnem ?
- … 208. »

Je me lève tandis que Paul baisse la tête. Avant de quitter la pièce, je dépose un baiser sur le dessus de ses cheveux pour finalement sortir, lui lançant un dernier regard avant de fermer la porte. Enfin dans le couloir, je jette un bref coup d’œil à l’écriteau face à moi : « Premier étage : Réfectoire, Bureau, Chambres d’internes, Salle commune ». Ainsi informée du lieu ou je me trouve, je me rends directement à la cage d’escaliers, tête baissée, imperturbable. Deuxième étage, deuxième étage, deuxième étage.
Désormais dans le cagibi où se situent les escaliers, je remarque une petite pancarte discrète sur laquelle il est noté « Troisième étage – R.D.C »… Quelqu’un aurait-il subtilisé le deuxième étage ? Non, impossible. Je constate soudain la présence anodine mais appréciable de la femme de ménage, se débattant depuis le haut d’une échelle contre des toiles d’araignées occupant les coins de la cage, espérant vicieusement y être en toute sécurité. Où a-t-elle bien pu trouver cette échelle ? Est-ce sûr que de l’avoir laissée y monter ? Mh… Là n’est pas la question.

« Excusez-moi ? Sauriez-vous où se trouvent les escaliers menant au deuxième étage ? »

Tout d’abord étonnée à l’entente de ma voix, elle tourne la tête vers moi, prolongeant tout de même son activité. L’échelle a grincé. Ses yeux songeurs me toisent tandis que son plumeau s’acharne. Elle ne semble pas avoir entendu.

« Sauriez-vous où se trouvent les escaliers menant au deuxième étage ? »

Elle hausse alors les épaules, en pointant du doigt son oreille pour m’indiquer que ses rides ne sont pas fortuites et qu’elle n’est belle et bien plus toute jeune. L’échelle a bougé. Je m’en approche alors et entoure ma bouche de mes mains pour qu’elles m’aident à porter ma voix jusqu’aux oreilles de la vieillarde au plumeau.

« Où sont les escaliers pour aller au deuxième étage ?! »

Mon cri retentit en écho dans le petit lieu clos, puis un silence s’installe. Un long silence. Un silence déroutant. Tout à coup, la vieille hurle tétanisée. L’échelle tombe, la femme de ménage avec. Elle ne semble pas blessée pour autant : elle s’égosille encore. Je retire alors l’échelle douteuse qui recouvre son corps faiblard. Arrive soudain, hasardeusement au point nommé, Charles Tenarbé, descendant calmement du troisième étage. Découvrant l’étrange scène, il m’est amusant d’observer à travers son regard la constatation de trois éléments, déclenchant en lui trois réactions différentes. Tout d’abord, il remarque l’échelle, fronçant alors les sourcils d’étonnement, puis il me voit, debout près de la femme effondrée : il accoure dès lors vers nous, inquiet.

Finalement, il réalise que la bouche de la vieille est ouverte, constatant ainsi la présence de son cri, n’étant devenu plus qu’un simple bruit de fond : il grimace en grinçant des dents. Il tapote alors l’épaule de l’hurleuse, auprès de laquelle il est agenouillé.

« Respirez, Madame Soufflarde, tout va bien se passer. Respirez. »

Son regard se dirige alors vers moi, grincheux et dénonciateur. Il semblerait que l’idée du deuxième étage n’ait pas réellement plu à « Madame Soufflarde »… Y aurait-il là-bas trop de poussière et de toiles d’araignées non compatissantes envers son plumeau ?

« Mercure. Tu lui as dit quoi ?
- Rien ! Ou du moins pas quelque chose qui soit aussi grave que tu le croies.
- Tu lui as dit quoi ?
- Je lui ai juste demandé où étaient les escaliers menant au deuxième étage ! »

Soudain, Charles cesse de bouger, son cœur semble même avoir manqué un battement. Je suppose que cette réaction est habituelle, à force. En silence, il relève alors la vieille et l’invite à se retirer pour se reposer dans sa chambre, ce qu’elle s’empresse de faire après avoir lancé un regard rancunier en direction du coin où loge une dernière toile indésirable. Une fois partie, Charles se retourne face à moi, soupire un instant en fermant les yeux puis les rouvre.

« D’où te vient cette surprenante envie de te rendre là-bas ?
- J’ai… quelqu’un à aller voir.
- Mh… Ton... ?
- Non, pas lui.
- Alors je ne peux pas accepter de t’y conduire, et sache que seuls les docteurs peuvent s’y rendre.
- Pas besoin d’accepter que je m’y rende. Mh… Parce que Soulodes l’a déjà fait. Tu n’as plus qu’à me montrer où sont les escaliers qui y mènent et m’en ouvrir l’accès ! C’est simple, non ?
- … S’il a accepté, pourquoi ne pas t’y avoir conduit lui-même ?
- Mh… Une urgence ! Du coup, il est parti en me lançant un « Débrouille-toi ! ». Du coup, tu es là. Du coup, tu tombes très bien. »

Il fronce alors les sourcils, doutant de la véracité de mes propos. Cependant, contre toute attente, il semble que le large sourire que je m’efforce de lui lancer depuis déjà un assez long moment ait fonctionné et l’ait convaincu ! Dès lors, après avoir murmuré un « très bien » dans la barbe qu’il n’a pas, il avance, m’invitant à le suivre.

LESCHTING ASYLUM.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant