Mon être me surprend à se recroqueviller sur le petit qui ne flanche pas, indifférent. Je désire le protéger, ne constituer désormais plus qu’un bouclier du haut de ses cheveux bruns jusqu’au bas de ses petits pieds. Trop tard, le mal est déjà fait, hein ? Toujours aussi silencieux qu’habituellement, Parnem ne laisse passer au travers de son visage aucune émotion, aucun signe de vie. Respire-t’il encore ou n’est-il plus qu’un poupon ?
Soudain mes mains l’entourent, le serrent, l’agrippent. Son corps est si chétif, si craintif. Tout en lui menace de s’effondrer bien que ses jambes sachent encore le porter. Son souffle est saccadé, s’alarme pour d’obscures raisons que seul lui connait pour finalement se calmer tandis que mon buste se soulève au rythme du sien. La pénombre nous berce alors que l’étage fulmine et que la porte de la chambre « 208 » pleure.
Tout à coup, le couloir s’intrigue : une nouvelle créature lui fait subir le coup de ses pas hasardeux qui le martèlent. Sa silhouette s’esquisse, hésite puis s’encourage à nous approcher. Parnem ne réagit pas, se contentant de sentir la chaleur de mes bras qui l’oppressent de plus en plus au fur et à mesure que la bête réduit la distance qui nous sépare. Son visage blafard apparait, accompagné d’effluves qui me sont familières. Il empeste un mélange d’alcool et de nicotine.Derrière ses lunettes tordues, je pense reconnaître le docteur Omet dont l’attitude est étrangement détendue. Aucune crainte, aucune fêlure dans ses gestes : aucune de ses actions ne semble dépasser un cadre étroit et invisible qui l’entoure. Sans daigner nous adresser un seul regard, il se borne à examiner une à une chaque clé ornant un trousseau qu’il vient de dégainer de sa blouse. Soudain, son visage s’illumine tandis qu’il saisit l’une des plus rouillées qu’il s’empresse alors d’insérer dans le verrou de la porte menant jusqu’à la chambre « 208 ».
Cachant son regard derrière quelques mèches de ses cheveux gras, il demeure clos par le silence et entre d’un pas tremblant dans la pièce, s’approchant sans perte de temps d’un lit poussiéreux où des morceaux déchus du plafond constituent à eux seuls une couverture. En nous frôlant, j’ai ressenti dégager de lui mille tressaillements qu’il s’épuise à cacher. Soudain m’apparait plus nettement qu’il ne l’aurait jamais dû ce cadre qui l’entoure : il se défait peu à peu, brisant au passage la carapace solide qu’il avait réussi à s’inventer. Oui, Omet craint la fureur de la folie que dégagent nos êtres. Omet tremble car Omet n’a que du factice pour tenter de se défaire de nos présences. Omet a si peur que tout en lui se broie.
Mettant en place quelques cahiers et autres pancartes farfelues qu’il accroche à la rambarde oxydée du lit, sa peau cède de plus en plus, se laissant appesantir par la frayeur. Dès lors, il se redresse, regarde face à lui puis secoue la tête. Il reprend ses esprits mais ce n’est qu’une question de temps avant la prochaine secousse. Sans se tourner vers nous, il parle… Peut-être à nous ? Peut-être au vide ? Je pencherai pour la deuxième option.
« Pars dès que t’en as fini. »
Sa voix résonne dans la salle mal isolée et Parnem s’éveille soudain. Relevant sa tête endolorie et rougeâtre, il porte son regard déconcerté vers le barbu tombant en décrépitude. À la vue du docteur effaré, il s’étonne, hésite, se hasarde à entrouvrir la bouche pour finalement la refermer. Il me regarde alors. Tandis que j’observe son visage intrigué, je ressens le poids de l’inquiétude qu’Omet semble encore vouloir s’obstiner à dissimuler. Je ressens alors les mains du petit se crisper autour de ma taille. Il fixe Omet du coin de l’œil… Émane alors de lui une haine démesurée et grandissante. Parnem s’éveille et hurle enfin.La coquille d’Omet s’évapore tandis que sa lâcheté l’agenouille et l’effondre en piteux sanglots. Parnem crie, foudroyant tout l’étage puis il me lâche. Bercé par sa rage, il s’approche du docteur, menaçant. Parnem est au bord de larmes qui se partagent entre effroi et fureur. Il murmure en titubant « C’est toi… C’est vous qui… » : la suite à ses mots semble confuse et bien trop douloureuse pour qu’il ne la prononce.
Faisant désormais face au recroquevillé qui l’implore, une petite évadée dévale le long de sa joue puis finit par tomber, provoquant à sa chute un petit « ploc » qui résonne. S’en suit alors sa camarade, elle-même suivie par tant d’autres. Entre ses larmes, Parnem saisit brusquement la pancarte placardée à son lit, prenant son élan en balançant dangeuresement ses bras en arrière. Soudain… Je le vois, placide face à cette scène qu’il ne tarde pas à stopper.
« Là, là, mon garçon. Tout va bien. Repose ceci, tu risques de te blesser. »
Docile, le petit abaisse doucement ses mains en reniflant tandis que les quelques gouttes retardataires achèvent leur douloureuse chute. La main posée sur son épaule, le grand soupire en soulevant d’un geste bref ses lunettes. Face à cet être impassible, Omet n’ose se remettre de son état choc. Il tremble encore. Son corps entier semble moite. Sa vie entière semble pesante. Tout en lui s’affole, il est si chétif.
« Doc-Docteur Soulodes… ! Je peux tout te, enfin, vous expliquer ! Je n’ai rien dit, je… ! »
Soulodes se racle péniblement la gorge. Sa main relâche la pression qu’elle exerçait sur l’épaule de Parnem et s’approche d’un pas agacé du faiblard. Aveuglé par la fatigue qu’a engendré sa crise sur son petit corps, Parnem erre silencieusement jusque moi. Je l’entoure fermement de mes deux bras. Mains cloîtrées dans les poches de sa blouse, Soulodes demeure affligé.
« Relève-toi. »
Hésitant, Omet finit par s’exécuter. Face au rare dédain dont fait preuve Soulodes, il ne semble plus qu’un enfant qui attend qu’on achève sa crainte en le grondant enfin. Sans un mot, le barbu tourne les talons et sort de la pièce, suivi de près par Omet. En passant près de nous, le regard de ce dernier était étrange et une odeur nauséabonde de regret émanait de lui. La porte a claqué suite à leur départ.
Je suis désormais seule aux côtés de Parnem. Celui-ci demeure dénué d’émotions. On ne le changera pas. Je me décide à le porter du mieux que je le puisse jusqu’à son lit où je l’y allonge sans grande difficulté. Non, c’était facile, je vous assure. Je porte des gens qui pèsent mon propre poids tous les jours. Pour un fou, porter sa propre enveloppe charnelle est une épreuve de tous les instants, alors bon… Bon, d’accord, soit. Il était lourd, un vrai poids mort.
Tandis qu’il se contente d’examiner de fond en comble le plafond, je me charge du reste de la chambre… ou du moins du taudis. C’est avec fierté que j’apprécie observer le sens du détail apporté par les architectes de ma charmante demeure. Il n’y a tout d’abord aucune fenêtre, il serait affligeant que les patients attrapent un coup de soleil au travers des vitres… et qu’accessoirement ils tentent de s’en jeter. De plus, on peut voir que l’espace contenu dans cette pièce ne peut dépasser les deux mètres carré, il serait dommage que les patients ne s’y perdent… et puis sinon il n’y aurait pas d’autres choix que de les entasser les uns sur les autres, faute de place. À moins que cela ne soit déjà le cas ?
Poursuivant mes réflexions, je m’en trouve extirpée à l’entente d’un fracas. C’est Parnem… Il s’est assoupi. Il s’est assoupi… de fatigue ? Oui, c’est de la fatigue. Ça ne peut être que ça. C’est un enfant, il a besoin de dormir. Je dois me calmer. La paranoïa n’a vraiment pas de bons effets sur moi. Je me surprends tout de même à relever son pouls en mimant de simplement caresser sa main.
« Il… va bien ?
- ... Quelle discrétion, Paul. Tu as bien failli me faire peur.
- Que veux-tu, j’ai été ninja dans une vie antérieure. »
Un sourire se dessine sur mon visage tandis qu’il referme la porte aussi discrètement qu’il l’a ouverte. Il me rejoint dès lors près du rebord du lit. Remarquant l’état du petit, un hoquettement de stupeur étouffé émane de lui.
« Qu’est-ce-qui… ?
- Je ne sais pas… et lui non plus.
- …il a… ?
- Oublié. Oui, oublié. »
Paul baisse la tête et me surprend à me serrer contre lui. Ce n’est qu’une fois en contact avec son torse que je prends compte des tremblements qui secouent mon corps entier. C’est encore l’adrénaline, n’est-ce-pas ? Oui, c’est vrai qu’être au deuxième étage, c’est vraiment palpitant. Ahah, il ne m’en faut finalement pas beaucoup pour avoir une impression d’aventures. Je suppose que c’est une chance considérable. Ahah.
« Mercure, je… Je suis désolé.
- Pour quelle raison ? Tu sais que je ne t’en veux pas de m’avoir touchée, tu fais partie des privilégiés à ce niveau-là.
- … J’en suis honoré. Mais…
- … Je t’en prie, pas un mot de plus. Entendre clairement la source du problème serait mon point de rupture. Laisse-moi m’imaginer indestructible, s’il-te-plaît.
- … Bien. »
La pression de ses bras autour de moi se renforce, et, tandis qu’une de mes mains tire faiblement sur sa chemise, l’autre poursuit ses caresses sur celle du petit Parnem. Je veux continuer à sentir son pouls se mêler au mien, me contenter de la chaleur de sa vie avant qu’on ne me l’arrache. Paul, je connais la raison de ta présence.
« Merci…
- ... On reste jusqu’à ce que tu sois prête à partir. »
Il faut donc vraiment partir ? Mais j’ai peur, Paul, je ne suis pas prête. Parnem, seul encore ? Parnem, encore délaissé ? En réalité, je ne sais pas si j’ai plus peur pour lui que pour moi. Que m’arrivera-t’il une fois en bas ? J’aurais beau faire le tour de la chambre et de la question, ça devra pourtant arriver… Ce serait égoïste de ne pas vouloir l’affronter, n’est-ce-pas ? Je dois vraiment le laisser, n’est-ce-pas ? Mon égoïsme voudrait pourtant me pousser à revenir plus tard, si ce n’est ne pas partir du tout. Et je ne trouve malgré tout pas la force d’avoir à nouveau assez d’affront pour faire face au deuxième étage. Quel ennemi, ce deuxième étage, c’est qu’il serait assez vil pour me faire flancher. Non, il n’est pas effrayant, même pas déstabilisant : juste vil. Mais rassurez-vous, il n’y a pas que cet attrait qui pourrait s’avérer être un obstacle de taille : les yeux de Paul y jouent un peu… Voire beaucoup.
Toute la confiance et la peine dont ils font preuve le rendent si chaleureux que je me sens brûler tandis qu’il plonge son regard dans le mien. C’est douloureux, une véritable étuve et pourtant je m’y emprisonne de moi-même au fur et à mesure. Et alors que je m’aveugle de la chaleur de Paul, la main de Parnem vient d’empoigner la mienne. Ce devrait être doux, adorable… mais j’ai mal. Ses paumes m’acèrent, ses doigts me griffent. Je le serre pourtant plus et poursuit ma mésaventure dans le feu, tandis que tout en moi s’oppose. Je me noie dans mes brûlures comme dans un verre d’eau mais serre encore. Toujours plus.
« Paul, je… je… »
Je me sens tomber et m’enfouir un peu plus dans les bras de Paul, dans lesquels je fonds, béante.___________________
Eh bien, eh bien! Ça fait longtemps que je n'avais pas posté, faute de temps, d'inspiration et de motivation (surtout les deux derniers en fait). Mais pas d'inquiétude, je finirais cette histoire, quoi qu'il m'en coûte!
N'hésitez pas à me laisser votre avis sur ce chapitre, bien qu'il soit un peu court, c'est très important pour moi! :3
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Mystery / Thriller"Un fou, ce n'est pas qu'un être monochrome à notre instar. Préférons plutôt voir en lui des nuances et des couleurs afin de mieux établir notre jugement à son sujet." - H. Soulodes, "Des fous et des Hommes". Il existe un lieu bien étrange où demeu...