Baisée.

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— Moi, je dois vous rembourser ?

Mon souffle se fige, mon cœur s’emballe. Je le regarde et je vois un homme de pouvoir.
Qui prend, ordonne et surtout à qui l’on obéit. Il ne fait pas ses trente-deux ans, les cheveux noirs et raides, coupés courts. Ses yeux bleus clairs sont si froids que je sens un frisson de panique descendre le long de ma colonne vertébrale.
Que faire ? Je suis informaticienne, un peu hackeuse sur les bords, enfin pas que... d’accord, tout à fait. Ça fait longtemps que je n’ai pas piraté pour quelqu’un d’autre que le FBI, mais je pourrais peut-être lui rendre des services ? J’ai toujours eu des mains en or avec les ordinateurs et les codes sources.
Je peux passer tous les pare-feu, je rentre dans tous les programmes. J’ai eu énormément de problèmes dans mon adolescence, me faire arrêter et être obligée de travailler pour le gouvernement m’a remis du plomb dans la tête. Je ne voulais pas traîner des casseroles toute ma vie.
Le FBI se sert de moi justement pour ça, je suis la meilleure. Pas mieux qu’un hacker pour protéger un système. On voit les failles. Je passe mes journées dans un boulot routinier. Et j’ai aussi des missions particulières, des cibles à hacker pour du renseignement ou pour prouver que tel politicien est véreux ou tel gros bonnet revend des données à la Russie ou un autre pays totalitaire. Ça fait un peu plusieurs semaines que je bosse sous couverture dans sa boîte. Je suis serveuse, pas strip-teaseuse ni pute. Juste un peu déshabillée, mais rien de bien méchant.
Elias m’a accueillie à bras ouverts, m’a offert différents jobs que j'ai rejetés, j’ai insisté pour venir ici. Plus près de lui et de son boss. Il était contre ce job. Je suis sûre qu’il savait ce qui allait se passer.
Quel con, au lieu de me dire directement de faire gaffe et de faire profil bas ! Je suis là pour approcher ce russe, mais je ne pensais pas être dans cette position. C’est la merde. Lui devoir du fric et que mon frère l’humilie publiquement.

— J’attends, reprend-il, en tapant des doigts sur la surface plane et brillante de son bureau en acajou.

— Je réfléchis, laissez-moi un instant.
Je serre les bras autour de moi.

— Je ne suis pas à l’aise dans cette tenue et mes pieds sont gelés. Je ne...

Je m’arrête de bafouiller en le voyant se lever et contourner le bureau. Il dégage une aura de puissance. Il est très « mâle », avec son costume hors de prix et sa barbe naissante qui jette une ombre sur sa mâchoire carrée.

— Je veux mon argent, je veux une femme et je veux que ton frère paie pour cet affront.

Plus il parle, plus son accent russe devient évident. Je recule et il me pousse vers la porte. Je finis contre et je retiens mon souffle.

— Je n’ai pas deux cent cinquante mille dollars.

Une évidence, sinon pourquoi avoir un job de serveuse, il le sait très bien. Il n’a pas relevé mon mensonge ou omission de tout à l’heure. Mais il connaît tous les détails de la vie de ses employés. J'en suis persuadée. Je l’ai servi à table, il ne m’a certainement pas oublié.
Il lève la main gauche et frappe la porte juste à côté de ma tête. Je sursaute et mon cœur essaie de s’échapper de ma poitrine.

— Rien à foutre ! crie-t-il.

Bon là, c’est officiel, je flippe. Ce mec est énorme comparé à moi, il doit faire trente centimètres de plus. Au moins. À l’aide !

Il se rapproche et me met la pression. Je vois bien sa stratégie. Elle fonctionne du tonnerre. Mon rythme cardiaque frôle des records. Je fais presque de l’hyperventilation.
Du calme ! Du calme. Il ne va rien se passer, n’est-ce pas ? Il a besoin de moi pour récupérer son fric et mon frère... et sa pouffe. Oui, c’est ça. Pas de panique. Ou pas !

— Je peux vous les procurer si vous le souhaitez, mais il faudra attendre un peu.

Mon aveu est sorti très vite dans un filet de voix. Il hausse un sourcil et me dit ironique :

— Bien sûr et les intérêts aussi.

— Oui. Je suis bonne avec un ordinateur. Vous voulez une banque, la bourse, Fort Knox ? Tout ce que vous voulez, je n’ai besoin que de deux ou trois jours.

— C’est vrai. J’avais lu que tu avais eu des petits problèmes avec les flics dans ta jeunesse et que tu sors de taule. Tu vas pirater de nouveau ? Juste pour moi ?

— Non pas pour vous, pour mon frère.

— Mais il manque la femme et...

Et là, c’est moi qui le coupe. Comme une gourde, je le reprends. Bien sûr, je n'ose pas entendre la suite. Quoi ? Il lui a perdu une femme ? Le pauvre ! Je n’ai pas l’intention de la remplacer.

— Allons ! Vous avez toutes les femmes que vous voulez. Ne me dites pas que vous allez être en manque...

Moi et ma grande gueule ! Je vous en avais parlé ?
Oui. Et bien là, il faut reconnaître que niveau stress, je bats tous les sommets de l’Himalaya. Mais Anton a une très bonne façon de me dire de la fermer. Il m’attrape au cou d’une main, serrant juste ce qu’il faut pour couper ma respiration et le flot de paroles. De l’autre, il pose un doigt sur mes lèvres.

— Chut ! Tu veux vraiment que je me fâche. Tu veux savoir ce qui se passe quand je m’énerve ?

Sa voix basse avec son accent rauque me file des frissons de terreur. Non, pas du tout. Je ne veux pas me retrouver démembrée aux quatre coins de la ville. Non, non... sans façon.
Mais de là, à lui servir de paillasson et de pute. Super, merci Élias. Il faudra que j'écrive une note dans mon agenda pour prendre des cours de krav maga. Si je m’en sors et que je lui mets la main dessus, je lui brise les jambes. Au minimum.

— Vous voulez quoi ? Je ne suis pas une grande blonde à forte poitrine. Je ne pense pas être au niveau. Et puis me baiser pour vous venger ce n’est pas très reluisant.

Je marmonne en dessous de son doigt, toujours sur mes lèvres, faut lui reconnaître ça, il a de la suite dans les idées le Boss.
Il resserre sa poigne sur mon cou, ça fait mal nom d’un chien. Je cherche de l’air désespérément. Il rapproche son visage tout près de moi et me souffle tout bas :

— De un, personne ne me dit pas quoi faire, toi encore moins. Tu es là pour la dette d’Élias. Tu la rembourses à sa place, sinon tu finis en petits morceaux. De deux, si je veux que tu couches avec moi pour l’absence d’Helena, tu le feras. Si je veux que tous mes hommes te passent dessus, tu le feras. De trois, quand Élias sera devant moi, si je décide de te faire la peau pour lui faire comprendre ce qu’on risque à me doubler, je le ferai. N’aie aucun doute sur ça.

Bon. Voilà. Journée de merde. Je vous l’avais bien dit. Et même pas un café avec tout ça. Je me fais baiser dans tous les sens du terme.
Je dois rendre le fric et écarter les cuisses. Je ne le fais pas, c’est la mort. Je le fais, c’est presque assuré que c’est la mort. Aussi.
Et merde.
Je suis baisée.
Avec un grand B.

La dette  [Edition Hugo New Romance poche]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant