Chapitre 2

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Cette histoire n'est pas la mienne.

Hermione releva la tête du devoir de métamorphose qu'elle rédigeait depuis plusieurs heures déjà. Son fantôme à elle venait de rentrer.

Draco lui adressa à peine un regard en balançant son sac sur le canapé noir, avant de se diriger vers la salle de bain. Elle soupira. Des semaines qu'il agissait ainsi. Aucun mot, aucun salut, aucun geste. Il entrait, dormait, se lavait, repartait, partageait ses cours et ses repas, mais ne parlait plus.

En tant que préfets-en-chef, les deux jeunes gens se partageaient le seul appartement rescapé du massacre de Poudlard. Réaménagée, ce qui était avant une immense suite se divisait désormais en deux chambres plus petites, une pour lui et une pour elle. Leur salle de bain commune était bardée de sorts pour éviter toute intrusion déplacée lorsque la jeune femme prenait sa douche, la baignoire ayant été supprimée pour permettre l'aménagement d'un plus grand salon. Fauteuils moelleux et sofa noir, cheminée ronflante, table et chaises en bois sombre et épais tapis rouge sang, ce petit salon était chaud, sophistiqué et accueillant. Hermione le préférait à l'atmosphère glaciale de la salle commune des Serpentards. De toute façon, elle aimait le calme qui régnait ici, elle se concentrait mieux tout en s'épargnant les conversations aux intonations forcées qui se livraient dans les dortoirs. Draco n'était pas une compagnie difficile à supporter, comme il aurait pu l'être quelques mois auparavant.

Ressortant de la salle de bain, il s'installa face à elle et s'attela à ses propres devoirs. Il avait les traits tirés, le regard éteint, le geste fébrile.

Il croyait qu'elle ne voyait rien. Mais Hermione avait toujours impressionné ses camarades par ses incroyables talents de déduction. Elle voyait bien qu'il souffrait. Elle ne savait pas ce qu'il avait vécu sous les ordres du Mage Noir, cependant elle avait déjà aperçu la marque noire sur son avant-bras, et le réseau des cicatrices qui l'entourait. Parfois, il la grattait pensivement.

Depuis des semaines, Draco surnageait à la surface de la réalité. Elle sentait que pour lui, rien n'avait plus d'importance. Sa mère attendait un jugement cloîtrée à Azkaban, son père était assuré d'un séjour à vie dans la forteresse noire, tout son héritage avait été saisi par le Ministère. Il n'avait plus rien, et s'il restait à Poudlard, c'était parce qu'il n'avait nulle envie de s'enterrer auprès d'obscurs cousins de la branche paternelle aux opinions politiques douteuses.

Alors il serrait les dent. Il se fermait dans son orgueil, ne laissant rien transparaître de sa souffrance et de son mal-être. A elle, la Sang-de-Bourbe tant haïe par son père, il n'adressait pas un mot. Pourtant, il ricanait et chuchotait toujours autant avec Parkinson et Zabini, en cours de Potions, continuant en public à la railler allégrement, elle ou d'autres d'ailleurs. Tout cela sonnait faux. On ne pouvait plus utiliser les anciennes insultes, le rapport au sang. C'était tabou, ça rappelait trop la guerre, les évènements passés. On cherchait à oublier. Les moqueries devenaient bien fades. Plus personne n'avait l'envie ou la force de riposter. Et Draco luttait, jour après jour, pour réussir ses cours, sourire aux avances de Pansy, ricaner aux blagues vaseuses de Zabini, être poli avec les professeurs et conserver une apparence irréprochable, uniforme impeccable et cheveux gominés.

Draco sauvait les apparences.

Parce qu'en privé, Hermione assistait à tout. Ses crises de nerfs où il claquait brutalement la porte, ses crises d'angoisse, qu'elle entendait à travers le mur, ses crises de léthargie où il restait là sans rien dire, sans rien faire, ruminant ses pensées en fixant le plafond.

Elle le voyait renoncer à se coiffer quand il refusait de sortir. Souvent, elle avait devant elle un Draco inconnu, aux cheveux dans les yeux et tenue négligée, pull trop lâche et pantalon sur les hanches. Un Malefoy qui n'avait plus rien d'aristocratique, qui perdait son masque d'arrogance et d'assurance de la journée. Un type comme les autres qui s'effondrait au moindre faux pas, qui passait ses jours à surveiller ses gestes et s'écroulait le soir comme un gamin fatigué.

Il ne la regardait pas, ne lui parlait pas, mais elle, elle l'observait.

Jour après jour.

Semaine après semaine.

Elle dessinait dans sa tête cet homme qu'elle ne reconnaissait pas, elle apprenait à le connaître à ses dépends. Et elle sentait son cœur se serrer quand ce regard éteint croisait le sien, au détour d'un repas, d'un geste, d'un soupir. Ces yeux, autrefois de glace, aujourd'hui de cendres, qui hurlaient en silence et que personne ne lisait.

- Malefoy, est-ce que je fais monter nos repas ici, pour ce soir ? demanda soudain Hermione. Ce devoir de métamorphose est incroyablement difficile, je n'aurais jamais fini si on descend.

Le grattement de la plume se suspendit. Il hocha doucement la tête sans la relever pour autant. Aucun d'entre eux n'avait le courage d'affronter la Grande Salle.

Ces matins là. | Dramione | Où les histoires vivent. Découvrez maintenant