Chapitre 1

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— Keila ! Viens m'aider, s'il te plaît !

J'ai abandonné mon carnet pour aller voir ce que me voulait Bane, mon père adoptif.
Il était assis par terre, le dos contre la vieille poutre en bois grinçante qui peinait à elle toute seule à soutenir le toit de l'abri, et avait du mal à se relever. Il faut dire qu'il n'était plus tout jeune.
Bane Blackwell était l'homme qui m'avait élevée, après la disparition de ma mère, en même temps que son fils Brook. Il avait connu l'époque avant le Grand Désastre et il était un ancien soldat qui avait été blessé sur le front, au genou. Depuis, il boitait, et avec ses soixante ans passés, sa jambe folle n'aidait pas.
Je me suis accroupie près de lui pour faire passer son bras par dessus mon épaule afin qu'il s'y appuie et l'ai aidé à se déplacer jusqu'à la chaise – si on pouvait appeler cet amoncellement de vieux bouts de palettes une chaise – la plus proche.
Il s'y assis en soufflant lourdement avant de passer une main sur son crâne dégarni pour y chasser la sueur.

— Merci, ma chérie, a-t-il ahané. Faut croire que la vieillesse ne me réussi pas, ah !
Il s'est mis à rigoler doucement avant de se mettre à tousser bruyamment. Je me suis approchée, inquiète de cette soudaine toux, mais il m'a chassé d'un geste rassurant.
— Ce n'est rien, juste un petit rhume passager.
— Le problème, c'est que ça commence à faire un moment que tu as ce " rhume ", ai-je répliqué bourrument. Et puis d'abord, où est Brook ? Il était sensé être là il y a un moment déjà.

Bane a laissé son regard dérivé vers la petite fenêtre cassée qui laissait passer un courant d'air chaud, avant de répondre :

— Il doit être dans cette vieille carcasse d'avion, c'est votre cachette après tout.

L'avion était un Rafale de l'armée de l'air française qui s'était crashé après s'être pris un tir de missile – l'arrière-train de l'engin avait complètement été arraché. Il était situé à quelques pas de notre village de réfugiés, et Brook et moi y étions souvent allés jouer quand on était plus jeune. Maintenant, il nous servait de coin secret – pas si secret, vu que tout le monde au village connaissait son existence – quand nous avions envie de discuter sans être perturbés par l'agitation des autres habitants.
— OK, je vais aller le chercher pour m'aider à faire le dîner avec Tracy. Tu as besoin de quelque chose avant que j'y aille ?

Bane m'a souri avant de secouer la tête et de me dire de me dépêcher d'aller chercher Brook parce que Barry allait râler si j'arrivais en retard.
J'ai grimacé à cette image : cet ancien chauffeur de poids lourds de presque soixante ans pouvait vraiment devenir chiant et râleur dès qu'il y avait la moindre petite contrariété.
Après avoir poussé la taule bancale qui nous servait de porte, je me suis aventurée sur le chemin sec et poussiéreux qui menait à la sortie du petit village.
La carcasse était déjà visible de là où j'étais et j'ai pu apercevoir Brook qui s'affairait autour – en même temps, un grand black d'un mètre quatre-vingts, ça se repère de loin, surtout dans un paysage désertique à perte de vue.
Je me suis précipitée à sa rencontre.

— Hey, frangin ! l'ai-je hélé.

Il s'est retourné vers moi et m'a souri faiblement.
Oh, ne croyez pas qu'il n'était pas content de me voir, bien au contraire ! Mais Brook n'avait jamais été quelqu'un de très bavard ou d'expressif. Lui aussi avait perdu sa mère, elle était morte en couche à cause des radiations qu'elle avait reçues pendant la guerre et elles étaient également la cause de la malformation de mon grand frère adoptif : il lui manquait le bras gauche.

— Tu es venue me chercher pour le dîner ? a-t-il demandé d'une voix rauque mais douce en observant le Soleil qui était bien descendu dans le ciel.
J'ai acquiescé.
— Ça, et je profite aussi qu'il ne soit pas là pour te dire que papa a fait une nouvelle crise de toux.
— Il a encore craché du sang ? s'est empressé de me demander Brook.
— Je sais pas, j'ai pas eu le temps de voir parce qu'il a caché rapidement sa main, mais...

Il y a eu un blanc pendant lequel Brook a récupéré les quelques affaires qu'il avait emmenées plus tôt dans la journée avec lui, avant qu'il ne soupire avec tristesse.
Sur le chemin du village, je l'ai aidé à transporter les quelques composants électroniques et bouts de taules qu'il avait démonté de l'avion. L'acier pouvait aider à renforcer nos abris de fortune et les composants, c'était pour les vendre aux marchands ambulants qui passaient de temps à autres ou lors du marché mensuel à la grande ville la plus proche : pour nous, c'était New York, du moins ce qu'il en restait, d'après Barry, Bane ou encore Crazy Sue, nos doyens.
Après avoir déposé notre chargement à la maison, Brook et moi nous sommes dirigés vers la maisons des Parker, une espèce d'abri creusé à même une butte de terre, asséchée par le Soleil brûlant, et de sable. À l'intérieur, des poutres étaient disposées de manière anarchique et soutenaient de grosses taules gondolées qui elles-mêmes soutenaient le plafond de terre. Étant nos agriculteurs attitrés, les Parker avaient réussi à mettre en place un champ intérieur où poussaient divers légumes pour le village et qui reposait sous un trou creusé dans le haut de la butte, bouché par une grosse vitre à double épaisseur qui venait de la carcasse de notre avion, par laquelle passait la lumière pratiquement toute la journée. L'eau pour nourrir les légumes provenait d'une source miraculeusement trouvée autour de laquelle on avait construit un puits – en vérité, on l'avait entourée de pierres et ça ressemblait vaguement à un puits.

— Ah ! Enfin ils sont là ! J'vous jure, les jeunes de nos jours, râla le vieux Barry dans son coin alors que lui branlait jamais rien pour aider le village.

Nous l'avons passablement ignoré et nous nous sommes dirigés vers le feu de bois sur lequel l'eau d'une grosse marmite en fonte bouillait. Tracy était à côté, entrain de nettoyer les légumes qui serviraient pour le potage de ce soir.

— Besoin d'aide ? ai-je demandé, une fois près d'elle.

Elle a levé la tête et nous a fait un grand sourire, ce qui a eu pour conséquence de retrousser son petit nez recouverts de tâches de rousseur – tâches dont avait hérité Danny, son fils à elle et à son mari, George.

— Non, mais c'est gentil d'avoir proposé, les enfants.

Brook a fait un léger bruit de gorge derrière moi. Il n'appréciait pas vraiment qu'on le considère encore comme un gamin alors qu'il allait avoir vingt-et-un ans, mais vu qu'il ne protestait jamais de vive voix, tout le monde continuait, pour le taquiner.
C'est alors qu'un bruit de moteur qui pétarde s'est fait entendre et qu'une vielle jeep retapée a déboulé à toute vitesse dans le village avant de s'arrêter brusquement dans un dérapage qui a fait voler du sable.
Un homme basané à la doudoune rouge pétante en est descendu et j'ai reconnu l'air pédant de Pedro, un survivant qui était arrivé tout droit du Mexique il y a deux mois de ça.
J'ai compris que quelque chose n'allait pas quand, au lieu de sortir comme à son habitude une remarque désobligeante, il s'est écrié d'une voix paniquée :

— Ils arrivent ! Les gars du Tyran arrivent !

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