Petit Miracle

« Surprise ! ... »

La visite chez le gynécologue ne datait que de la veille et pourtant il avait l'impression que toute cette histoire durait depuis des mois.  « C'est vraiment le genre de sujet sur lequel écrire un bouquin, se surprit-Il à penser : "Comment je suis devenu père malgré Moi" ! Ça ferait un carton. ». Pourtant, bien que plus rien ne paraissait évident, il se sentait étrangement serein, presque ému. Comme si c'était une chose qu'il attendait et qui arrivait d'un pas sûr. Avec un sourire aux lèvres, il se remémora une partie de sa discussion avec la mère de son futur enfant lorsque ceux-ci attendaient la venue du médecin.

- Nan, je te crois pas [Lui]

- Et pourtant c'est la vérité. Traite moi de menteuse si ça te chante ! [Elle] (un sourire narquois se dessine sur son visage)

- C'est à partir de 3 mois que l'on connaît le sexe du bébé, j'ai fais S je te rappelle ! (Il lui tapote le crâne comme si elle n'avait plus toute sa tête et ne peux s'empêcher d'arborer un sourire mi-moqueur mi-amusé). Menteuse.

- Pour éviter les meurtres. Moi aussi j'avais SVT en première.

- Je ne te suis toujours pas. Mais je t'en pris, argumente ta théorie !

- C'est pas une théorie ! C'est la vérité (Elle rigole) : On ne te dis pas le sexe de l'enfant avant 3 mois comme ça la mère ne peut pas avorter si, je sais pas moi, elle voulait un garçon et qu'elle se retrouve avec une fille par exemple. Ou  inversement.

- Tu pourras m'argumenter ça comme ça te chante, je n'y croirais pas !

- Abruti ... (elle sourit malgré tout)

C'était un bon moment.
Rien n'aurait pu l'égaler sur l'instant.

Une vibration ramena le jeune homme sur Terre : il venait de recevoir un message.

« Il faut que je te vois. J'en peux plus. Tu me manques.
Chez moi dans 30 min ?
Bisous. »

Andréa.
Tout était confus.
C'était elle, la brune du café, la femme qu'il aimait. Celle avec qui il lui était normal de projeter une vie confortable, une maison douillette et - qui sait ? - une famille ? Et ce malgré leurs nombreux désaccords et leurs pauses incessantes. Il en était amoureux.
Mais il y a eu ce soir...

Tout comme la jeune étudiante, il ne pouvait expliquer concrètement ce qu'il avait ressentit ce soir. Tout ce qu'il pouvait affirmer c'est qu'une chose lui paraissait évidente à ce moment. Laquelle ? Il l'ignorait encore. Mais il savait que tôt ou tard, le puzzle de ses sentiments finira pas s'assembler.

Le jeune artiste continuait à fixer son téléphone, l'air absent. Que répondre ?

Oui.
Non.

Lui manquait-elle ?
Évidemment !

Pourtant il ne ressentait pas le besoin suppliant de se trouver à ses côtés.

Incapable de taper une réponse, il ignora son message et décida de se mettre en quête de ses colocataires.

Ça faisait un moment qu'il n'y avait plus de traces de Thomas ni de Philippe dans l'appartement. En effet, depuis quelques temps, les compères de notre étudiant se battaient mutuellement en froid. Et pour cause : Philippe avait beau avoir les prestigieux projets du théâtres sous toutes ses formes, le Don Juan était cependant Thomas qui ne cessait de ramener de nouvelles conquêtes au moins toutes les semaines. Ce qui avait le don d'énerver ses deux colocataires et plus particulièrement Philippe qui avait une vision peu flatteuse de l'attitude du futur ostéopathe vis-à-vis des femmes.

- Il pourra dire ce qu'il voudra, je ne vois pas en quoi on peut prendre son pied dans le fait de se taper une personne différente chaque soir. Avait-il déclarer en guise de d'explication.

Ce à quoi l'étudiant en arts n'avait pas osé répondre dans la mesure où il serait lui-même papa d'ici plusieurs mois à la suite d'un "imprévu".

Finalement, tout a fini par exploser lorsqu'il y a quelques jours, Philippe avait dit ses quatre vérités à Thomas qui a toujours été doté d'une nature susceptible. Ainsi, depuis cette discussion quelque peu houleuse, une grande tension régnait au sein de la colocation et plus particulièrement entre l'ostéopathe et le dramaturge. L'artiste, quant à lui, était complètement partagé entre ses deux amis. Il voulait leur annoncer sa futur paternité, qu'ils se "disputent" afin de décider qui sera le parrain, qu'ils aident le futur père à trouver un prénom mais surtout qu'ils rencontrent la femme portant cet enfant innatendu. Sauf que l'heure n'était pas à la complicité ni aux confidences.

Tout en continuant à traîner dans l'appartement, le jeune homme sentit une animation provenant de l'une des chambres. Celle de Thomas.
L'artiste en devenir avait beau être d'une nature plus compréhensive que celle de Philippe concernant leur ami, il  était bien obligé d'admettre qu'il commençait à supporter de plus en plus difficilement le caractère de Casanova de son colocataire scientifique.

Cependant il se posait une question quelque peu étrange : Pourquoi Phillipe était aussi agacé par l'attitude de Thomas, lui qui est si tolérant sur de nombreux sujets tel que les relations, le sexe et le flirt ? Une étrange théorie prit forme dans l'esprit de l'artiste.
Et si la réaction de Philippe n'était pas dû à un simple agacement ? Et si c'était pour une raison plus évidente ? Comme ...

Non. Impossible.
Le jeune homme chassa aussitôt cette possibilité de sa tête. L'étudiant en théâtre n'était pas un coeur à prendre et ce depuis bientôt 5 ans. Quant à Thomas, inutile de préciser qu'il n'était attiré que par des représentantes du sexe opposé. Cette hypothèse tombait donc à l'eau.

L'artiste tenta malgré tout de rechercher au fond de sa mémoire de plausibles éléments capable d'éclairer son raisonnement en vain. Aucun moment suspect ni message caché. Rien pour confirmer son idée.

Il venait d'arriver devant la chambre de l'apprenti ostéopathe. Comme c'était gênant ... Jusque là le jeune homme avait tout fait pour ne pas intervenir dans la vie privée de son ami. Mais une discussion s'imposait et le plus tôt serait le mieux. Tant pis si il intervenait dans ce genre de moment, il agissait pour la bonne cause.

Il toqua. Un coup. Puis deux. Trois.

Aucune réponse directe.
Alors il ouvrit la porte.
Et la découverte de deux silhouettes masculines familières enlacées lui apportèrent enfin la réponse à la théorie qui l'obsédait tant depuis plusieurs minutes.

Il ne sut exactement qui de Thomas ou de Philippe lui marmonna, rouge de gêne, ce simple mot anodin.

« Surprise ! ... »