Partie 3 - Rien qu'un souffle

35 3 0
                                    

Ma première journée de cours fut moins pire que je ne l'aurai pensé. Collin m'attendait devant chez Nana pour que nous puissions aller au lycée ensemble. Sur la route nous nous remémorions nos souvenirs d'enfance, toutes nos frasques que nous faisions subir aux voisins.

Arrivés à l'école, Collin me présenta à sa bande d'amis et à sa petite-amie Ashlee, ils m'accueillirent chaleureusement. Ensuite, les étapes administratives de mon inscription furent sans intérêt mais se déroulèrent sans encombres. Au déjeuner, nous occupions une table de huit. Je compris assez vite que Collin et ses amis faisaient partie de ses gens qu'on appelait populaires. Ils étaient sportifs, chacun dans une discipline différente, et ils étaient tous très actifs dans la vie sociale du lycée. Tout le contraire de moi. Ils étaient solaires, les stars de l'école. Je ne fréquentais pas ce genre d'élèves à San Francisco. Je ne voulais pas briller, seulement exister. Alors que les discussions fusaient entre Collin, Travor et Justin sur une stratégie de football, mes yeux se mirent en quête d'une table moins exposée, plus en adéquation avec mon statu quo.

Les élèves n'étaient pas plus différents que ceux de Californie. Il y avait les intellos du club de débats, les pom-pom girls superficielles, les gothiques en quête existentielle, et les gens sans étiquette. Je vis une table de quatre filles regardant une vidéo sur un téléphone puis rire à gorge déployée. Elle riaient fort et parlaient avec les mains comme le font les méditerranéens, comme nous le faisions mes amies et moi. Ashlee m'interrogea sur la raison de mon arrivée ici et me coupa dans mes songes nostalgiques.

Les journées de cours se terminaient tout les jours à 15h30, facilitant l'apprentissage sportif après les cours. Ces jeunes vouaient une véritable fascination au sport. Ils vivaient sur une autre planète ! Ou bien était-ce moi et ma préférence pour les hobbies calmes qui semblait être extra-terrestre ? Quoi qu'il en soit, je revins plus tôt chez Nana et trouvai maman qui rentrait à peine de son entretien d'embauche avec le docteur Lewis.

_ Déjà rentrée ? Demanda-t-elle alors qu'elle se servait une tasse de café.

_ Les cours de l'après-midi sont réservés au sport et aux clubs. Expliquai-je en me servant un verre d'eau.

_ Oh, je vois. Vas-tu t'inscrire quelque part ?

_ Je ne crois pas. Je pensais plutôt trouver un petit boulot.

_Pourquoi faire ? Fronça-t-elle les sourcils.

_ Pour te donner un coup de main. Quelle question...

_ C'est hors de question ! Gronda-t-elle. Ce n'est pas ton rôle. Toi, tu dois faire du théâtre, de la cross ou du soccer. Pas trimer comme une forcenée dans un fast-food pour me donner tes pour-boires !

Son discours de mère ne prenait pas avec moi. Je la regardai tourner nerveusement sa cuillère dans sa tasse et attendis qu'elle se calme.

_ C'est bon ? T'as fini.

Maman souffla un grand coup et marmonna un « oui » avant de boire.

_Comment s'est passé ton entretien ? Demandai-je en apercevant son CV sur le comptoir.

_ Bien. J'ai été prise. Sourit-elle.

_ Et ton salaire ? Couvre-t-il toutes nos dépenses ?

Elle ne répondit pas. Elle pinça les lèvres et noya son regard anxieux dans son café.

_ Je trouverai une solution. Marmonna-t-elle.

_ J'ai trouvé. Et il n'y a rien à ajouter.

Maman leva les yeux sur moi et compris que je ne reviendrai pas sur ma décision. Elle me savait assez têtue pour savoir que je lui tiendrai tête jusqu'à ce qu'elle cède.

_ Très bien Lou. Merci. Dit-elle vaincue. Mais je t'interdis de privilégier le travail aux études. Si ton boulot ne te permet plus d'étudier correctement ou si il te fatigue de quelque manières, tu arrêtes. Compris ?

_Entendue. Souris-je avant de la prendre dans mes bras.

Dans la plupart des familles, ce sont les parents qui incitent leur enfant à trouver un boulot pour goûter aux joies de l'autonomie financière. Pas dans la mienne. Maman faisait tout ce qu'elle pouvait pour nous maintenir à flot, et ce n'était pas suffisant. C'était mon rôle de l'aider, même si elle s'égosillait à dire le contraire.

Je quittai vite Harbison Drive et partis faire le tour des commerces et restaurants de la ville. Malheureusement, ma chasse au job ne fut pas très productive. Le gérant d'un magasin de chaussures m'avait bien proposé un mi-temps, mais les heures se chevauchaient avec celles de mes cours. Je rencontrai le même soucis dans deux autres restaurants.

En fin de journée, alors que le soleil était déjà passé derrière les pics rocheux de Heaven Gates, je décortiquai les petites annonces du journal à la terrasse du Sundance Cafe. Toutes les annonces intéressantes se trouvaient dans la ville voisine, et sans voiture mon cas était perdu d'avance. Mes paupières commencèrent à s'alourdir alors que mes yeux persévéraient à lire chaque ligne de ce fichu journal.

Le vent peut être quelque chose de dangereux. Une brise légère peut provoquer un tsunami. Pour mon cas, un simple souffle printanier bouleversa toute ma vie.

Les épingles n'étaient pas assez enfoncées sur le panneau de liège. Le papier était trop fin pour résister aux éléments. Ou bien les épingles étaient parfaitement en place et le papier exactement de la bonne épaisseur... Et le vent s'engouffra entre les maisons jusqu'à échoué sur la place centrale de Heaven Gates. Il tourbillonna sur lui-même avant de s'élever au-dessus des toits. Le souffle était trop fort pour que l'affichette fixée sur le panneau publicitaire ne résiste. Elle s'envola, tourbillonna et s'évanouit dans les airs.

Balayant la cyme des arbres, valsant dans un envol d'oiseaux, bravant les rochers aiguisés de la montagne, l'affichette perdit doucement de l'altitude. Le doux claquement du papier contre le vent se maria aux clapotis de la rivière qui glissait sur les roches immergées. Le papier volant côtoya alors les rues de Hamilton. Cherchant un endroit ou se poser à tout jamais, l'affichette flirta avec le caniveau, puis se ravisa. Elle se cogna à un réverbère puis au rétroviseur d'un pick-up. Le papier fatigué et abîmé par ce voyage aérien finit sa course en léchant le trottoir sur plusieurs mètres. Avant de se plaquer définitivement contre ma jambe.

Mon rêve état étrange. Comme si je volais à côté de ce papier. J'étais presque capable de sentir l'odeur de la sève des sapins et la caresses des plumes de ces oiseaux surpris par mon apparition.

Je me redressai sur ma chaise et essayai de régler ma vue embrouillée par le sommeil. Les rues étaient désertes et j'étais la dernière cliente du café. Je glissai un billet sous la soucoupe de mon cappuccino et pliai mon journal pour le coincer sous mon bras.

Pourtant le claquement du papier contre le vent persistait. Je me détaillai pour comprendre ce qui clochait et remarquai un papier humide collé à mon collant noir. Je le pris dans la main et lus le texte qui commençait à déteindre :

« Urgent– Cherche Réceptionniste de Nuit au Peter's Hotel

S'adresser à Peter directement

Rémunération : Le Salut de toute une vie »

Je relus plusieurs fois les trois lignes de l'annonce. Rien. Aucune adresse ni de numéro de téléphone. Pourquoi me mettre l'eau à la bouche de cette manière pour me couper l'herbe sous le pied ? Une mauvaise blague du destin j'imagine !

« Rémunération : Le Salut de toute une vie ». Ce Peter devait vraiment payer à prix d'or pour promettre une telle chose. Je pliai le papier mystérieux en quatre et le glissai dans ma poche intérieure. Sur le chemin du retour, je me questionnais sur la provenance de cette annonce et surtout où se trouvait cet hôtel.

J'avais arpenté les rues de Hamilton toute l'après-midi de je n'avais vu aucun hôtel portant ce nom. Peut-être que l'affichette volait depuis des années dans les rues et que Peter avait déjà mis la clé sous la porte...

Heaven Gates -en pause-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant