Partie 10

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Avec le badge du docteur Lewis, nous gagnions un temps précieux à éviter les barrières de contrôle et à attendre à l'accueil. Le père d'Ashlee savait exactement où ils avaient emmené Jeremy et nous arrivions vite dans la salle des urgences pédiatrique.

Je retrouvais maman et Nana qui se rongeaient les ongles dans une salle d'attente. Docteur Lewis me laissa là et nous avertit qu'il viendrait nous voir dès qu'il en saurait plus.

Je pris ma mère dans les bras et elle fondit instantanément en larmes. Nana cacha son visage dans ses mains et sanglota aussi. J'inspirai profondément et gardai mes larmes pour plus tard. Je devais d'abords essayer de comprendre ce qu'il s'était passé.

J'avais l'habitude du jargon médical. Mais le discours sans fin que l'interne de garde nous déblatérait depuis plusieurs minutes était beaucoup trop technique. Je compris que Jeremy avait fait une détresse respiratoire et que son cœur ne pompait pas assez. Qu'il devait l'hospitaliser d'urgence et faire des tas d'examens. Mais je ne saisissais pas son diagnostic.

Quand l'interne sortit de la salle d'attente, j'interrogeai maman. Elle resta aphasique.

_ Maman !

Elle leva enfin la tête vers moi et me sourit :

_ Ils vont le garder un moment ici, pour le surveiller. Dit-elle la voix tremblante. Ils ne sont pas sûr pour l'instant. Mais apparemment, ton frère aurais besoin d'une greffe.

_ Un nouveau cœur ? Soufflai-je.

_ Où va-t-on trouver l'argent pour l'opération ? Pleurnicha Nana.

Maman sourit mais ses larmes trahissaient son effroi. J'étais sur le point d'exploser en mille morceaux. Je trouvai un prétexte pour sortir de la pièce et contrôlai mes jambes pour garder une démarche mesurée et ne pas m'enfuir en courant.

Je marchai quelques mètres après la sortie réservée aux ambulances avant de m'effondrer sur le trottoir. Le béton était froid et humide. Je resserrai mes genoux et les plaquai contre ma poitrine. Jeremy était né dans cet hôpital, et il allait sûrement y mourir aussi. Le cœur au bord des lèvres, je fis le vide en moi.

La vie ne tient pas à grand chose. Une maladie, un accident, et tout est réduit à néant. Sans aucune chance de grappiller encore quelques instants partagés avec l'être cher. Je crois finalement que c'est pour ça que j'ai du mal à me lier d'amitié, et je ne parle même pas d'amour... Les gens nous quittes ou bien c'est nous qui nous éloignions. Et les gens oublient. Ils passent à autre chose. Leur vie continue alors que la notre se rompt brutalement.

À la mort de papa, j'ai soudain pris conscience que Dieu aimait nous voir souffrir. J'ai compris que l'amour, ce sentiment puissant qui faisait nous sentir plus fort pouvait aussi nous faire affreusement mal. À à peine dix ans, je décidai de ne plus croire en un Dieu assez sadique pour nous faire endurer autant de souffrances.

Le deuil. Le manque. Je ne voulais pas vivre cela une nouvelle fois avec Jeremy. Hors de question. Des larmes chaudes et salées coulèrent lentement sur mes joues. Je cherchai un mouchoir dans la poche de ma veste en cuir. Je ne voulais pas que les passants me voient dans cet état lamentable. Même si je refusais la mort imminente de mon petit-frère, je ne pouvais rien y changer. Je n'étais pas capable de lui trouver un autre cœur.

Mon impuissance transforma mes sanglots en boule de rage au fond de mon estomac. Je sortis mes mains de mes poches pour agripper le trottoir de toutes mes forces. Au creux de ma main droite, je retrouvais le billet de cent dollars que Peter m'avait donné une semaine auparavant.

Cet argent, j'en avais besoin, cruellement besoin. Mais je ne voulais pas dépenser ce salaire d'un soir qui était probablement tombé de la poche d'un pervers. Je ne voulais pas. Jusqu'à ce soir.

Je n'avais plus le droit d'avoir des scrupules. Il fallait trouver de l'argent, et je savais où.

Je chiffonnais Benjamin Franklin au fond de ma poche en me dirigeant vers la salle d'attente. Peter m'avait donné autre chose avant que je ne m'enfuis. Je tripotai le petit objet entre mes doigts et le sortis. Une pièce de cinq cent. Cent dollars et cinq cent. Peter était précis dans ses comptes...

J'arrivais à la salle d'attente et vis le docteur Lewis discuter avec maman et Nana :

_ Je ferais tout pour lui. Mais je n'ai plus de mutuelle. Dit maman.

_ Vous avez celle de l'hôpital avec votre emploi ici. Et la facture baissera de moitié grâce à ça. Raisonna le docteur.

_ À combien s'élève la facture ? Intervins-je. Combien coûte une telle opération.

_ Nous n'en sommes pas encore là, Lou. Dit aimablement le docteur. Bien heureusement. Nous devons faire plusieurs analyses avant de proposer une transplantation. Ne t'en fait pas pour l'argent...

_ Combien ? Répétai-je.

Lewis soupira :

_ Plus ou moins huit cent mille dollars.

Maman poussa un petit cri. Elle attrapa une chaise et s'assit avant de tomber dans les pommes. Quant à moi, la rage grignotait doucement mes poumons et m'étrangla. Le docteur savait que c'était un choc pour tout le monde. Il se voulut optimiste :

_ Mais comme je viens de vous dire, votre mutuelle paiera la moitié. Et nous pouvons solliciter le Comité de l'hôpital pour qu'il fasse un geste... De toute manière, cette opération est en dernier recours. Jeremy suit encore son traitement et nous l'avons stabilisé. Ce soir était juste une alerte. Priez. Et tout ce passera bien.

« Priez. » Prier ? Un médecin nous demande de prier ?!

_ Combien de temps peut-il tenir ainsi ? Avant que l'opération soit nécessaire ? Dis-je la voix serrée.

_ Lou, c'est difficile de...

_ Combien de temps ?

_ Trois mois.

_ Donc nous avons trois mois pour trouver quatre cent mille dollars.

_ Le problème avec les transplantations, c'est que le donneur peut se présenter à n'importe quel moment. Surtout en pédiatrie, les donneurs sont rares.

_ Alors quatre cent mille dollars pour demain ?

_ Disons le plus tôt possible...

Je regardai maman se blottir dans les bras de sa mère. C'était trop pour elle. Pour elles deux. Elles avaient travailler toute leur vie et une somme pareille était simplement irréelle. Sur quoi les médecins se basaient-ils pour estimer ainsi la vie d'un enfant ?

Mais moi je connaissais un endroit où l'argent était facile. Un hôtel où un vieil homme était prêt à payer une fortune seulement pour que je tende des clés et tienne un stylo...

Je sortis mon billet vert et le tendis au docteur Lewis :

_ Voilà déjà cent dollars. Je vous apporterai le reste très vite.

_ Louisiana Evans ! D'où sors-tu cet argent ? S'écria Nana.

_ J'ai trouvé un travail. Soufflai-je.

_ Où ça ? Quoi comme travail ? S'inquiéta maman.

_ C'est un travail de nuit, c'est payé double. Vous voulez vraiment parler de ça maintenant ? Grondai-je les deux femmes larmoyantes. Inscrivez mon frère sur la liste d'attente, docteur.

Je traversais la pièce et embrassa rapidement maman avant de sortir.

_ Où vas-tu ? Demanda maman.

_ Je vais chercher quatre cent mille dollars et je reviens. N'oublies pas de prier. Souris-je.

Heaven Gates -en pause-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant