Partie 4

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Après le dîner, je faisais la vaisselle lorsque Nana entra dans la cuisine. Elle me demanda comment s'était passée ma journée de cours et des formalités d'usages. Elle avait à cœur de me voir épanouie et heureuse dans ma nouvelle école. Je lui répondis honnêtement qu'il me faudrai du temps pour me faire à cette nouvelle situation. Elle sembla peinée par ma réponse mais se contenta de me sourire.

_ Désolée Nana. Je ne devrais pas être aussi crue. Ne t'en fais pas. Auprès de ma famille, je ne peux que être heureuse.

Je m'agenouillai près de son fauteuil et la prit dans mes bras. Son sourire était plus sincère cette fois-ci.

Maman et Jeremy faisaient une partie de cartes dans le salon lorsque nous les rejoignîmes. Je les regardai s'amuser et tentai désespérément de capter du réseau sur mon téléphone.

_ Nana, où puis-je avoir ne serait-ce qu'une barre de réseau dans le coin ? J'aimerai écouter mes messages...

_ Le seul endroit où les jeunes captent leur truc pour leur machin est le stade. Ils ont installé une antenne relais sur un des projecteurs. Mais il est à l'autre bout de la ville. Le mieux que tu puisses faire est de trouver un point en hauteur... Dit-elle en piochant à son tour une carte dans le paquet.

_ Gardes le bras en l'air Lou. Pouffa Jeremy.

J'ébouriffais la tignasse blonde de mon frère et poussai la porte d'entrée.

_ Je vais tenter ma chance dehors. À plus tard.

Je vagabondais sur Harbinson Drive le bras en l'air, tenant mon téléphone le plus haut possible. Je me stoppai net quand une barre apparut sur mon écran. Mais elle disparut en un éclair. Je roulai les yeux, agacée par le sous-développement numérique de cette ville. À ce moment là, je remarquai la silhouette imposante d'une citerne d'eau s'élever au dessus de moi. L'échelle de service était accessible mais l'érosion et la rouille sur ses barreaux ne juraient pas sécurité. Peu importait, j'avais besoin de me reconnecter au monde extérieur...

Une dizaine de sonneries sonnèrent de mon téléphone simultanément lorsque je gravis le dernier palier de l'échafaudage, à peut-être huit ou neuf mètres de hauteur.

Mes amies ne m'avaient pas oubliés. Je lus les textos et écoutai un message vocal qui me réchauffa le cœur.

La vie continuait à San Francisco. Tout semblait continuer comme si je n'étais jamais parti. Casey faisait toujours autant de blagues. Jessy râlait contre sa petite-sœur qui lui volait ses vêtements. Et Sam était tomber amoureuse pour la cinquième fois ce mois-ci. Elle me fit rire lorsque j'entendis sa voix fondre de désir en écorchant le nom hispanique de sa dernière conquête.

Mon rire trébucha lorsque j'entendis trop tôt mes amies me saluer gaiement avant de raccrocher. Je frottai mon téléphone entre mes mains quand je remarquai comment Hamilton était calme vue d'ici. Il n'y avait pas de klaxons, de moteurs bruyants ou encore d'esclandres d'ivrognes qui perturbaient le voisinage.

Je n'entendais que le vent glisser sur le réservoir en tôle du château d'eau. Cela ressemblait presque à de la musique, un chant sifflant. J'activai le mode vidéo de mon téléphone et filmai le panorama de la vallée qui s'endormait peu à peu. Les lampadaires étaient encore en service à cette heure, me permettant de constater l'étendue de la petite ville.

Je sélectionnai la vidéo et fus tenté de l'envoyer à mes amies pour qu'elles se rendent compte elles-mêmes dans quel genre de trou j'habitais dorénavant. Mais l'image figée de la vidéo m'alerta.

Je regardai en direction de Heaven Gates et zooma le plus près possible sur ses néons colorés. L'image était pixelisée et floue mais j'étais certaine de distinguer le mot « Hôtel » sur l'un des bâtiments.

Mon téléphone comme meilleur allié, je tapai « Peter's Hotel - Heaven Gates - Mont. » sur un moteur de recherche.

Rien. Hormis quelques coupures de presse sur plusieurs hommes nommés Peter, l'hôtel ne semblait pas exister ici ou ailleurs. Et cette ville n'avait aucune trace sur la toile. J'étais une lamentable enquêtrice. Je finis par capituler et repartis chez Nana.

Le lendemain, les amis de Collin jugèrent le temps assez ensoleillé pour déjeuner dehors. Pour ma part, le froid polaire du Montana me givra les os lorsque je m'assis à leur table.

_ Alors Miss California, on prend un bain de soleil ? Demanda Collin quand il me vit enfoncer mon bonnet de laine sur ma tête.

Je ne m'habituais toujours pas à ce printemps frais du Montana. Ma veste en jeans recouvrait deux pulls en tricot et mes pieds se réchauffaient dans des bottes fourrées.

_ Je t'en prie, dis-moi qu'il ne fait pas toujours aussi froid ici. Grelottai-je.

_ Ne t'en fais pas. Me réconforta Ashlee, assise à côté de moi. Les températures monteront d'ici quelques semaines. Tu verras qu'il fera même parfois plus chaud que sur la Côte Ouest.

_ C'est vrai. En été on est tous en short. Et les filles en petites robes légères. Ricana Collin en adressant un regard entendu à sa petite-amie qui ne se priva pas de rire. Mais couvres-toi bien si l'envie te prend de faire de la randonnée dans les montagnes.

Je me tournai vers les hauts sommets enneigés. L'hiver paraissait encore régner en altitude. Je remarquai les pics de Heaven Gates et mon enquête de la veille me revint à l'esprit :

_ Allez-vous souvent à Heaven Gates ? Demandai-je en épluchant mon orange.

Le groupe d'adolescents me dévisagea comme si je venais de dire une blague. Je savais que c'était trop beau pour être vrai. Me faire des amis aussi facilement me semblait bizarre. Justin et Travor pouffèrent tandis qu'un couple dont je n'avais pas retenu le nom se moqua à voix basse.

_ La dernière fois que nous voulions y aller, Ashlee a faillit se faire pipi dessus tellement elle avait peur. Ricana Collin en caressant l'épaule de sa petite-amie.

Ashlee rougit d'embarras.

_ Pour ma défense, mon grand-frère avait vu quelque chose de très étrange se balader dans la forêt là-haut. Ce n'est pas de ma faute si Heaven a une réputation de ville fantôme.

_ Sérieusement ? Une ville fantôme ? M'enquis-je peu crédule.

_ Dans les années cinquante, Heaven était la ville-départ d'un trek super connu de la région. Expliqua Collin. La ville connaissait une grande vague touristique durant toute la saison. Mais il y a eu un énorme glissement de terrain et le tracé du trek a été modifié. Du coup, Heaven a été délaissée et plus personne n'y va depuis des années. Une ville fantôme, quoi.

_ Mais des gens y vivent. J'ai vu des lumières. Dis-je.

_ Peut-être, intervint Justin, mais ce n'est pas moi qui irai vérifier. Il y a bien trop de trucs qui s'y sont passé...

_ Comme quoi ?

Collin se racla la gorge :

_ Plusieurs groupes de randonneurs ont disparus en essayant de reprendre le trek. Des grands oiseaux y ont élus domicile. Ils sont sauvages et agressifs, il y a déjà eu des morts...

_ Oui enfin, personne ne les a jamais vraiment vu. Précisa Ashlee.

_ Et les grandes plumes noires, et les marques de serres retrouvées sur les corps... Ce n'est pas suffisant comme preuves ? Dit Travor.

Je me rappelai alors l'oiseau que j'avais aperçu le jour de mon arrivée. Mon sang se glaça quand je me dis que l'envergure extraordinaire de ses ailes n'était finalement pas sortie de mon imagination.

_ Bref, continua Collin, c'était il y a longtemps. Et cela a alimenté pas mal de légendes urbaines. Aujourd'hui, on se rend jusqu'au mur d'éboulement seulement quand on nous met au défi ou quand on veut se faire peur.

Le reste du déjeuner se passa dans le calme. J'observai Ashlee et Collin partager leurs desserts. Ces deux là allaient bien ensemble. Ashlee avait une silhouette athlétique. Une longue crinière cuivrée descendait en cascade dans son dos et son sourire éclatant suffisait pour me réchauffer. Elle était capitaine de l'équipe de soccer, Collin était celui de l'équipe de basket. J'étais persuadé que ces deux là finiraient roi et reine de la promo. Ce couple était un vrai cliché.

Heaven Gates -en pause-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant