Chapitre 7 - N.XIII

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Le 16 Mai de cette année, vraiment trop tôt.

J'espère que tu as bien dormi, parce que moi, non. C'est absurde de causer à un bout de papier qui reflète son âme et ses doutes, j'ai envie de te déchirer.

En même temps, ce n'est pas la solution. Alors je me calme, j'inspire. J'expire. C'est mieux. J'ai changé ta date, au fait. Parce qu'il fait beau aujourd'hui, et que ça me gonfle le cœur. Malgré mon horrible nuit, ce spectre blotti contre mon torse, ses mains douces et froides, il fait beau. Je vois l'éclat du soleil qui déchire de ses rayons les rideaux usés, et c'est magnifique.

Avant, je me foutais du soleil : il allait pas changer ma vie, ce misérable astre lointain, bouillant comme les casseroles en terre cuite de ma grand-mère.

Pourtant, il brille aujourd'hui comme une lueur d'espoir. Alors je me lève, je me dessape, et je me dis qu'il faut que j'aille prendre une bonne douche. Comme quoi, le moral ça tient à peu de choses.

Soudain, je sens un regard peser sur moi. Intense, gris et invisible, j'en suis sûr. Je grommelle un truc et me retourne d'un seul coup, comme pour le prendre par surprise.

− N. XIII, arrêtes tes billevesées, ou le futur Shakespeare que je suis va coller son poing dans ta tronche d'homme actuellement invisible. Par la miséricorde, montres toi, ange des Cieux !

Je tiens à préciser qu'il s'agit d'une menace. Je suis mort de rire, tout seul dans ma chambre, j'ai plus de vingt ans, et je débite des conneries. Misérable. Il n'empêche, m'instruire pour ne pas écrire trop mal dans ton être de papier, ça peut avoir un bon côté, puisque j'ai appris pleins de nouveaux mots.

Maintenant, parlons de N. XIII. Je l'ai appelé comme ça, cette ombre masculine.

Parce que le 13, c'est le jour où il s'est tapé l'incruste dans mon âme. Depuis, il part plus. C'est à la fois effrayant, déroutant, amusant, très chiant et plutôt agaçant. Au soleil, il me parait moins froid que la nuit.

Il sourit, encore. Je ne sais pas s'il a compris, mais il continue de me regarder, pas gêné pour deux sous. Quand j'y pense, est-ce vraiment ça que mon esprit veut ? On dit que les hallucinations sont les fruits du subconscient, il me semble. Je voudrais donc qu'un type croisé dans un Kebab me regarde en long en large et en travers, complètement nu, en dormant, vingt-quatre heures sur vingt-quatre ? Peut-être. En attendant, je lui balance un coussin pour qu'il s'écarte, ce qu'il ne fait pas. Je l'ignore.

Mon regard se reporte sur le petit miroir de la commode, il m'observe à nouveau. Je touche mes côtes, admirant mon état de décrépitude. Hors de question de laisser la flemme destructrice me dévorer un jour de plus. Je palpe mes joues, glisse mes mains sur mon ventre, pince la chair qui laisse douloureusement pointer les os de mes hanches.

Direction la douche, N. XIII sur mes talons, revenu squatter mon esprit pour un moment. Je me lave, à l'eau froide, en gémissant. J'ai horreur de ça. Y'a plus d'eau chaude, l'argent manquant et la facture plus salée chaque mois. Je sors, je m'habille, lui me fixant toujours.

Vraiment, il faut que je retrouve un job. Un job où les couleurs sont pas importantes, où on s'en fout de savoir si le document il est vert ou si je souligne un truc en bleu. Pas secrétaire, non non, j'ai pas les qualifications. Peut être photographe ? Tirer des photos tout en contraste, c'est un truc qui a la côte, en ce moment. Je glousse comme une gamine.

Avec mes diplômes j'ai de quoi devenir caissier, guère plus. N. XIII, assis sur ma table de nuit, lève un sourcil désintéressé et pousse un soupir léger. Je l'interroge du regard, il se tait, encore.

− T'en pense quoi, toi ?

Pas de réponse. Cette fois, c'est un rire sec qui s'échappe de ma gorge. Qu'il aille au diable, ce fantôme du néant. J'enfouis donc mes questions d'avenir au plus profond de mon âme, dans un petit tiroir à gauche, et termine d'enfiler un polo, usé, laid, et blanc. Enfin, il est peut être jaune. Cela fait une décennie que je n'ai pas dû porter cette horreur là. Bah, ça change mes habitudes, et mine de rien, j'aime ça. L'impression d'être un être nouveau, aspirant le soleil du matin dans ses habits propres et à la limite du ridicule.

Aujourd'hui, oubliées les angoisses, l'anxiété du mal perpétuel de ces derniers jours. Jetant un coup d'œil à N. XIII, je souris.

Il est grand temps de s'octroyer une petite virée en ville, dans un endroit rafraîchissant et aéré, afin de s'adonner à l'activité que j'aime le plus au monde − non sans user d'une minuscule pointe de sarcasme.

Faire les courses.


Kingdom Hearts - Tu Colores mon ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant