Chapitre 16 - Où est-ce que tu vas ?

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Le 20 août de cette année.

Août, pour la chaleur cuisante de cette gifle et la brûlure de ce reproche.

Août, parce que je transpire depuis des heures dans le même vêtement, et que l'environnement dans lequel nous sommes me rappelle les bars bondés où j'allais l'été, lors de maintes beuveries à côté de la plage. Août, parce que je me noie sans prévenir dans les ténèbres du sommeil, et que l'eau de cette mer me parait foutrement salée.

Ou remplie d'alcool.

« Tu ne m'écoute pas. »

« Je suis ivre. »

« Je m'en fiche. »

Je ricane. Le coude à demi-plié sur une table floutée, la tête posée contre sa paume, Roxas me regarde. Une seconde avant, son bras s'abattait comme un fouet cinglant sur ma joue, main tendue, pour me faire revenir à la réalité. Sa réalité. Mon rêve.

Il est quelque chose comme... Une heure peu acceptable. Les aiguilles sur le mur au-dessus de sa tête dansent et s'entrecroisent, tournant, se touchant presque, dans un cycle sensuel aussi rond et précis que la ligne de l'horloge qui les maintient ensemble, bien trop parfaite. En fait, c'est sûrement juste une excuse pour dire que j'y vois que dalle. Mais c'est assez beau, et les vapeurs du rhum me montent doucement à la tête, alors peu importe.

Le bonheur a quelque chose d'éphémère et de chaud, une chaleur éclatante qui vous inonde de l'intérieur, pareil à un long fleuve de lumière qui ne cesserait plus de couler. Et la vision de Roxas, tout près, fait glisser dans mes veines une adrénaline molle, un frisson immobile qui me donne aussi bien envie de l'embrasser que de tout envoyer péter au sol.

C'est l'effet qu'il me fait, ce soir. Son être flotte devant mon regard, lascif, et laisse imprimé sur mon visage un air parfaitement ravi, presque somnolent. Hier, avant que l'horloge n'indique minuit et que je n'arrive plus à lire l'heure décemment, il m'a trainé ici. Dans ce bar sombre, impersonnel, à cinq minutes de l'endroit où il m'a enlacé. On a traversé la route, l'herbe, les pavés, comme dans un rêve mou où le temps cesse sa marche infernale. Des voitures nous ont éblouis, je les ai gratifiés d'un salut doigté fort peu utile, et Roxas a ri.

Je sentais plus mes pieds, ni mes jambes, ni mes mains, ni même mon visage. Anesthésié par le précédent contact de son être, j'ai crié, m'étranglant de rire ou de bien être, l'odeur de son parfum subsistant encore fugacement contre ma peau.

J'avais oublié le bonheur que procurait un simple câlin.

Juste la douceur d'un rapprochement bref, un lien léger qui joint deux personnes l'une près de l'autre, parce qu'elles se sont comprises. Parce que l'une d'elle en avait besoin et que, tacitement, le corps de l'autre s'est mu tout seul pour lui apporter cette apaisante chaleur.

C'est ça, un câlin. C'est innocent, propre comme une assiette sortie tout droit du lave-vaisselle. Mais ce n'était pas n'importe quel câlin, là. C'était Roxas et moi. Et ce câlin tissait encore nous tout autre chose, comme une sorte de fil d'Ariane, dont le bout serait enfin atteint.

Il m'a lancé sa perche, et je l'ai attrapée. Même si je deviens aveugle, je peux continuer à suivre ce putain de fil rouge qu'il me tend, petit à petit, en toute confiance. Confiance qui me perdra peut être, un jour.

Mais pas ce soir.

Ce soir, on est dans cette pièce tamisée, pleine d'une poussière d'ombres noires, avec le brouhaha des inconnus autour de nous. Y'a une ampoule blanche qui crève au plafond, pendue par son propre câble électrique, et des tables, et des chaises, et du marbre faux, et des murs tâchés. Quelques photos cornées trouées par des punaises, une horloge que je vois plus, des fleurs fanées par l'odeur enivrante des gais lurons venus boire un coup. Ils puent tous, mais ils ont l'air heureux. A moins que ce soit ce que j'imagine.

Kingdom Hearts - Tu Colores mon ÂmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant