Le 19 juin de cette année. En fin de soirée.
On est pas rentrés tout de suite dans son immeuble, au retour. Roxas m'a fait faire un détour. J'avais le souffle court et la gorge sèche, à force d'avoir tant parlé. Lui pas. Alors je reviens dans mes propres pensées, celles de ce jour-là, quand j'ai fait l'hypothèse qu'il était pas humain. Et ben, j'avais peut-être pas tort, finalement. Autour de nous, l'air se rafraîchi doucement, et les étoiles commencent même à piquer le ciel. C'est beau, là-haut.
Durant notre conversation, j'ai appris pleins de choses sur Roxas. Déjà, il aime les étoiles. Je dis ça parce qu'en ce moment, il a les mains derrière le dos, le nez en l'air, les iris levés vers la voie lactée, la bouche ouverte comme un gamin, et une mimique fascinée sur la figure. On marche côte-à-côte, l'herbe bruissant sous nos pas, et je fais même plus gaffe à autre chose qu'à sa silhouette grise qui se découpe près de mon épaule.
Le vent passe dans ses cheveux, caresse son visage, et moi je l'observe, balançant quelques coup-d 'œil discrets dans sa direction.
Quoique, pas si discrets que ça, puisqu'il tourne la tête vers moi en rigolant. Grillé. Je passe une main dans ma nuque, il me pousse en riant, toujours ce bel éclat dans le regard. Parfois, je le toise carrément, et même perdu dans toutes ces nuances de noir et de gris, je peux déceler une lumière au fond de ses yeux. Quelque chose qui me semble très bleu, qui tourne dans sa pupille, avant de s'évanouir dans des tons clairs et mouvants. Puis j'entends ses bottes qui frappent le sol de façon régulière, sa respiration qui se mêle à la mienne, le son de sa voix lorsqu'il parle de la couleur du ciel et des constellations.
Ce soir, je me rends compte que j'aime être avec lui.
En marchant, je repasse un peu ses différentes paroles dans ma tête, cherchant à m'en imprégner, à ne rien oublier de cette soirée. Déjà, il est peintre. Il m'a lâché ça alors qu'on était assis sur un muret granuleux, le genre de truc qui vous fait mal au cul en une demi-seconde. Je comprends mieux pourquoi il m'avait assassiné verbalement l'autre jour, dans le supermarché : il me l'a d'ailleurs dit droit dans les yeux.
« J'ai cru que tu te foutais de ma figure, quand tu as dit que les couleurs n'avaient pas d'importance. Les couleurs c'est toute ma vie, tu sais ? Elles dégagent des émotions, et font de chaque objet de la vie courante quelque chose d'unique, qui n'existe nulle part ailleurs que sur la Terre. »
Au début, j'ai vraiment failli me pisser dessus tellement ça m'a paru ridicule. Mais il m'a regardé avec tout le sérieux du monde, croisant les bras, bien droit sur son bout de mur, et j'ai vu qu'il ne plaisantait pas. Alors j'ai lancé un pâle sourire, presque penaud, et j'me suis excusé.
C'est vrai que je n'y avait pas fait attention avant, mais ses mains toutes pâles sont constamment tâchées. De petits cercles sombres, quelques points blanchâtres, et même deux larges estafilades aussi obscures que la nuit lui bouffent le dessus des phalanges, tout comme l'intérieur de la paume.
Pendant une heure, il m'a parlé des tableaux, de l'imaginaire, des rêves qui l'inspiraient. Une fois, il a même évoqué le songe d'une jeune fille aux cheveux rouges et courts, au sourire aussi nacré que les remous de la mer, qui sermonnait un garçon étourdi aux mèches brunes rêvassant sur la plage. D'après lui, elle tenait un coquillage en forme d'étoile dans la main et portait un pendentif en forme de perle. Ça m'a fait sourire.
Après tout, les rêves sont parfois étranges, et les coquillages en forment d'étoiles n'existent pas. Non ?
Au bout d'un moment, il s'est tu, et ce fut à mon tour de parler. Je dois avouer avoir été beaucoup plus bavard que lui, car n'ayant causé véritablement à personne depuis une dizaine d'année. Ça m'a soulagé à un point, tu peux même pas t'imaginer ! Et lui qui me considérait calmement, ses prunelles vrillées dans les miennes, son beau visage adouci par les rayons de la lune. J'exposais des trucs idiots en bougeant les mains, parlant de ma classe de primaire, de mes anciens boulots, de ma mère. On s'est tous les deux étranglés de rire quand j'ai rejoué la bourde monumentale de mes quinze ans, en plein milieu du cinéma, avec mes parents.
« Axel, mon dieu ! »
« Hmm, maman ? »
« Chéri, je crois que tu es assis sur... »
« Sur des fauteuils ? Ouais, je sais. »
« Non ! ça, ça... »
« Ça bouge, mon fils. Dégage de là ! »
« Arrrrrrrrrrrrrrrgh ! »
En fait, j'étais assis sur une gamine blonde, tellement discrète qu'elle n'avait même pas osé protester. Elle riait calmement, à mi-chemin entre l'amusement et les larmes, et moi je me confondais en excuses, en plein milieu de la séance de cinéma. Finalement, en plus d'avoir dérangé tout le monde, j'avais rien vu du film, ce soir-là. On est sorti par la porte de derrière, et la matrone était tellement vexée qu'on ne s'est plus adressé la parole jusqu'au lendemain, à la mi-journée.
Fantastique soirée.
Roxas riait, les mains sur les cuisses, les yeux humides, plié en deux devant moi. Et je passais encore pour un imbécile, cette fois pour mon plus grand bonheur. Il portait un blaser très lumineux, froissé par les tremblements de son diaphragme, et ses jambes s'agitaient dans le vide, moulées dans un pantacourt plus foncé. Le contraste était saisissant.
On est ensuite descendu du muret en se plaignant, jetant nos bâtons de glaces dans une poubelle du coin, encore secoués par nos rires. Puis il m'a pris par la main en courant, son visage reprenant une expression plus sérieuse, avant de demander :
« Axel ? Pourquoi t'es aussi triste, avec les autres gens ? »
J'ai pas su quoi répondre. C'est vrai, j'ai longtemps été maussade et blasé, voir mauvais, avec les autres. Et même avec moi-même. Mes collègues de bureau me traitaient de guignol mal coiffé, je leur rendais la pareille. Quant à mes manipulations lycéennes, elles ne sont jamais passées inaperçues. Mais... Triste ? Tant que ça ?
« J'suis pas triste, blondinet. Tu te fais des idées. »
A ces mots, il a diminué la distance entre nous, ne laissant que mon bras pendre entre nos deux poitrines. Son souffle effleurait la limite de mon cou, juste en dessous de la clavicule, renversant soudain le fond de mes intestins. Trop près. Vraiment trop près. A cette distance, je voyais son ventre se soulever peu à peu au rythme de sa respiration, sa gorge vibrer et sa mâchoire se tendre, signe d'un trouble ou d'une contrariété. Puis sa voix s'est fondue dans l'obscurité, plus rauque, plus froide, et j'ai vu ses yeux s'allumer dangereusement.
« 'Me la fait pas, à moi. Je commence à te connaître, Axel. En à peine deux jours, je sais déjà que tu es un mauvais menteur, un bon manipulateur, un feignant, et un type têtu. Alors tu réponds à ma question. S'il te plait. »
A ce stade, même pas besoin de politesse, son ton transpirait déjà l'autorité glaçante de celui qui sait ce qu'il veut. J'ai ris jaune, mal à l'aise, et il a croisé les bras sur son torse.
« Alors ? »
Alors quoi ? Je n'avais aucune putain d'idée de ce qu'il voulait entendre. J'ai secoué la tête, lâchant ses doigts chauds, avant de lui tourner le dos. Un vent glacé parcouru mon échine, et j'ai imaginé son visage durci par l'irritation, ses yeux dévorés par la déception. Merde, la soirée avait si bien commencé, hors de question que je gâche ça maintenant. J'ai soupiré.
« Honnêtement, j'en sais rien, Roxas. Au fond de moi, j'ai toujours été un peu malheureux. Disons juste que « les autres gens », sont moins agréables que toi. »
Je le sais, il a esquissé un sourire, dans mon dos. Car soudainement, le vent s'est réchauffé, la tension entre nous m'a paru moins sombre. Et puis il m'a pris par l'omoplate, m'a vivement retourné, avant de se plaquer tout contre mon corps.
Son nez dans mon cou, ses épis blonds contre ma joue, sa respiration brûlante contre ma peau. Inattendu. Ou tant attendu ? Je crois que je m'en fous.
Mes yeux se sont fermés malgré moi, et mon front s'est perdu dans ses cheveux.
Maintenant, je suis heureux.
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Kingdom Hearts - Tu Colores mon Âme
FanfictionCher journal, je te demanderais un jour comment recolorer mon âme. En attendant, saches que j'ai croisé un ange dans un Kebab. *** Tu Colores mon Âme, c'est l'histoire poétique de Roxas, et d'Axel. Mais surtout d'Axel. Et aussi un peu de mon histo...