Une semaine est passée depuis mon anniversaire. Comme aujourd'hui il fait beau et un peu plus chaud que ces dernières semaines, j'en profite pour me prélasser dans le jardin du Champs-de-Mars. Autant en bénéficier avant que la pluie et le gèle ne reviennent pour un temps indéterminé. Les touristes et les Parisiens en tirent aussi parti : des femmes promènent leur enfant, des scolaires déjeunent en groupe sur l'herbe, des gitans arnaques de pauvres chinois venus faire un voyage d'exception dans la ville, des sportifs font de la course et les autres sans-abris à proximité dorment sur les bancs ou boivent en étant indifférent à ce qui se passent autour d'eux. On se croirait presque en plein mois de Juin. Sauf que nous sommes bien en Janvier et qu'il doit faire sept ou huit degrés au soleil. Je m'allonge sur l'herbe fraîche en me protégeant les yeux des rayons du soleil qui tapent juste au-dessus de ma tête. Si seulement toutes les journées d'hiver étaient comme cela là.
− Bonjour, Sam.
Je lève la tête vers la voix qui m'a interpellé. Alain, un ami que j'ai rencontré il y a deux ans maintenant dans un centre d'accueil pour jeune mineur, se tient debout à ma droite. Avec une pointe de regret, je reprends ma position assisse avant de lui proposer de prendre place en face de moi en le saluant à mon tour. Il s'exécute en me remerciant. Je le regarde quelques instants et remarque quelques couleurs sombres qui dépassent de ses lunettes de soleil noires. Ce n'est pas encore le moment de sortir celles-ci, bien qu'aujourd'hui il fait particulièrement bon. Je comprends donc que ce n'est pas par envie qu'il les a mis sur le nez mais par nécessité. Il ouvre son sac et sort un sachet blanc
− Tiens, je te refais quelques courses, me dit-il en me tendant le plastique
Je fronce les sourcils. Je déteste quand il fait ça et je ne manque pas de lui dire, mais intérieurement je le remercie car il m'offre toujours des choses dont j'ai vraiment besoin. Là, par exemple, il m'a repris trois tubes de mousse à raser et un savon carré. Je vois aussi qu'il m'a acheté sept sandwichs, huit bouteilles d'eau et trois canettes de coca-cola. Il est chiant mais je sais très bien que sans tout ça, je ne ferais pas long feu, surtout que l'on se voit uniquement pendant le printemps et l'été la plupart du temps, seules saisons où on peut se rencontrer tous les jours. Autant dire qu'aujourd'hui, c'est un jour bien particulier puisqu'on se voit alors que nous sommes en hiver.
− Tu n'aurais pas dû prendre de l'alimentaire. C'est beaucoup trop.
− Arrête tes conneries, tu veux ? tu as besoin de manger ! Regarde-toi, tu maigris à vue d'œil, dit-il en me regardant de bas en haut. Alors, quoi de neuf ? Me demande-t-il en passant ses doigts dans ses cheveux de jais
− Pff, rien. L'ennuie total. Et toi ? demandé-je à accrochant le sachet à l'une des sangles de mon sac, n'ayant plus de place dedans.
− Pareil. J'attends avec impatience d'avoir dix-huit ans pour me barrer de chez moi
Le contraire m'aurait étonné. Alain a dix-sept ans et c'est un enfant maltraité. D'après ce qu'il m'a expliqué, il a toujours connu la violence dans sa famille mais ce n'est qu'à l'âge de treize ans qu'il a compris que sa vie familiale n'est pas normale. Le problème, c'est qu'il ne veut pas aller voir les flics ni les associations qui viennent en aide aux enfants en danger car il pense que personne ne va le croire. Je suis sûr que c'est ses connards de parents qui lui ont foutu ça dans le crâne.
− Tu n'es pas obligé d'attendre ta majorité. En allant voir des adultes compétents, tu pourrais partir de chez toi en quelques semaines. Je te l'ai déjà dit. En plus, ce n'est pas comme si tu n'avais pas de preuve sur ton corps, rappelé-je en fixant son regard caché derrière ses lunettes.
− Sam, dans deux mois j'ai dix-huit ans. Maintenant, c'est trop tard pour crier un S.O.S. Le temps qu'on me vienne en aide, j'aurais dix-huit ans. Qu'est-ce que les services sociaux feront d'un ado tout juste majeur ? Non, le mieux c'est que j'attends d'être majeur. Là au moins je pourrais partir de chez moi et commencer une nouvelle vie.
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Moi, Sam, sans-abri (BxB)
General FictionSam n'a que 15 ans lorsque ses parents le foutent à la porte. Il n'était qu'un ado innocent. Trois ans plus tard, il est devenu un jeune adulte démuni d'émotions et d'espoir tandis qu'il vit dans le plus impitoyable des mondes : la rue Histoire d'am...