David
Je pars me réfugier dans ma chambre, l'esprit en surchauffe et le corps en ébullition. Je ne fais même pas attention à Sam qui me suit de près en m'interpellant d'une voix inquiète. Ce n'est pas que je ne veux pas le voir, mais j'ai besoin d'être seul un petit moment pour encaisser...tout ce que j'ai à encaisser. Je referme donc ma porte de chambre au nez de Sam et la ferme à clé avant de me laisser tomber sur le lit. Et dans le silence paisible de la pièce, une seule question me taraude : comment ai-je fais pour ne rien voir depuis toutes ces années ? Je connais Alain depuis le jour de sa naissance, puisque j'avais quatre ans quand il est né, et jamais je ne me suis posé la question sur ce qui se passait derrière la porte de leur appartement. A chaque fois que j'allais les voir pour un dîner ou autre, ils avaient toujours l'air d'une famille aimante, chaleureuse et unie. Le père d'Alain le noyait de câlins, d'encouragements et de tapes admiratifs sur l'épaule. Maintenant, avec le recul, je comprends les dessous de ces démonstrations d'affection : il lui rappelait de bien se tenir et de ne pas dire de paroles suggestives. Et le pire dans tout ça c'est que sa mère n'a rien fait, n'a rien dit, pour sortir son enfant de cet enfer. Quoique, peut-être qu'elle subit elle aussi des violences conjugales. Mais même, dans un cas comme celui-là, il faut partir dès la première gifle ou le poing qui se lève. Et même si je ne juge jamais les gens, là, j'avoue ne pas comprendre ces personnes qui restent avec leur conjoint violent. C'est l'une des rares choses qui me dépasse dans la vie.
─ Putain mais quelle merde ! Marmonné-je en me frottant le visage.
Il faut que je trouve une solution pour sortir Alain de cet engrenage infernal, quitte à tout faire pour qu'il accepte de porter plainte contre son père, ce qui ne va pas être facile : bien que cet homme soit un connard, il reste l'homme qui a contribué à lui donner la vie. Lorsque je reviens au rez-de-chaussée – en repassant dans la chambre d'ami j'ai vu qu'Alain s'était assoupi – Clara est en train de dîner tandis que Sam essaye d'avaler quelques bouchées de son assiette. Il va devoir faire un combat contre lui-même pour remanger normalement. Et tout ça, c'est de ma faute. Qu'est-ce que j'ai fait pour quasiment tout détruire dans ma vie ? Heureusement, Clara me montre toujours autant son amour et ma start-up se porte très bien.
─ Tiens, t'as fini de culpabiliser dans ton coin ? Me demande Sam lorsque je m'assois en face de lui.
Je hausse les épaules pour toute réponse tandis que je me sers dans les différents saladiers se trouvant sur la table.
─ Tu sais, tu n'as pas à te culpabiliser. Les seules personnes à le savoir sont sa mère, bien évidemment, et moi, explique-t-il sous mon regard complètement choqué. Ne me regarde pas comme ça, David. Alain a toujours su sauver les apparences, que ce soit avec le corps pédagogique de son collège-lycée ou avec ta famille.
─ Comment et pourquoi il te l'a dit à toi, un gars qu'il connaît depuis deux ans seulement ?
─ Oh mais...Il ne m'a rien dit, répondit-il en touillant sa fourchette dans ses pâtes. Je l'ai deviné tout seul, comme un grand. Tu sais, étant originaire d'Argenteuil, j'ai vu des choses bien pire lorsque je vivais là-bas...
─ T'abuses pas un peu, là ? Lui demandé-je en arquant un sourcil.
OK, Argenteuil n'est pas la plus paisible des villes, mais ce n'est pas les quartiers Nord de Marseille non plus.
─ Ouais, si, un peu, concède-t-il un riant légèrement. La vérité c'est que j'ai su voir au-delà des apparences et que, surtout, je l'ai rencontré dans un centre d'aides aux jeunes. Dans un lieu comme celui-là, les jeunes sont soit des camés, des sans-abris ou des enfants maltraités. Alain n'avait ni l'air d'être un junkie, ni manquer d'un foyer.
Donc, si je comprends bien, il avait déjà crié à l'aide à une tiers personne. Pourquoi les services sociaux ne l'ont pas amené loin de ses parents ?
─ Je vais tout de suite enlever tes espoirs : Alain n'a jamais été parlé à un bénévole. Il est juste entré trente secondes avant de repartir dans la rue en courant. C'est moi qui suis parti à sa poursuite, il avait l'air tellement mal en point à ce moment-là. Ensuite, on a parlé toute l'après-midi.
Je ne savais pas qu'Alain était de ceux qui arrivaient à parler librement à des inconnus. Personnellement, je n'ai jamais été comme ça.
─ Ravi d'apprendre ça, finis-je par répondre.
─ Tu sais, parfois, il vaut mieux parler à des purs inconnus qu'à nos proches. Ça nous enlève la peur du rejet ou du jugement, dit-il en détournant le regard. Et c'est beaucoup plus facile avec des gens qu'on ne connaît pas.
Il dit ça comme ça, juste pour la forme, ou veut-il me faire passer un message sur son passé ?
─ Heu...D'accord. Si tu le dis.
─ Ouais. Je le dis, en effet, marmonne-t-il en roulant des yeux.
OK, là, il y a plus de doutes possibles : il parle bien de son passé.
─ Tu veux en parler ? Demandé-je alors qu'il prépare un plateau pour Alain.
Il hausse les épaules.
─ Il n'y a rien à dire que tu ne sais pas déjà. Je me dis juste que j'aurais dû aller parler à un inconnu au lieu de me confier à mes parents. Ça m'aurait évité trois années loin de mon petit frère et de mon foyer. Mais bon, ce qui est fait est fait !
Lorsqu'il commence à prendre le plateau dans ses mains, je le lui prends sans l'avertir. Il faudra aussi que je m'occupe de ses parents, ils ne s'en sortiront pas comme ça. Et même si je vais devoir être très subtil pour trouver leur adresse et leur faire entendre raison, il est hors de question que je ne tente pas quelque chose pour réunir Sam et sa famille, ou du moins, Sam son petit frère qui grandit sans lui. Mais d'abord, je dois convaincre Alain de porter plainte contre son père.
─ Laisses-moi lui amener le plateau, dis-je en lui embrassant le front. Je dois lui parler un peu, de toute façon.
─ D'accord, acquiesce-t-il en partant s'occuper de la petite qui essaye de sortir de sa chaise haute.
Je les regarde quelques instants avant de remonter à l'étage. Lorsque j'arrive dans la chambre d'ami, Alain dort toujours. Je pose donc le plateau sur le lit et lui secoue un peu l'épaule pour qu'il se réveille. Il sursaute instantanément et apporte ses mains à son visage, comme pour se protéger. Devinant qu'il n'a jamais dû avoir un réveil en douceur, je contiens du mieux que je peux ma colère et mon envie de commettre un meurtre.
─ Calmes-toi, t'es en sécurité ici, dis-je doucement en lui caressant les cheveux. T'as faim ? Sam à fait des nuggets, des petits pois et des pâtes.
Il acquiesça faiblement en bâillant. Puis, il se met assis contre les oreillers avec difficulté. Je finis par lui mettre le plateau sur ses genoux et je m'assois sur le rebord du lit. Il commence à manger...Avec avidité. Ça donne un contraste saisissant avec Sammy qui lui, a à peine touché à son assiette. C'est lorsqu'il fronce les yeux en me regardant que je comprends que je le fixe depuis quelques minutes.
─ Quoi ? Demande-t-il, inquiet.
─ Il faut qu'on parle, Alain, répondis-je seulement.
Il soupir, mais ne dit rien. Il comprend qu'il ne pourra plus rester muet et bien que je remarque dans son regard que cela ne lui plaît pas, je ne change pas d'avis : on va parler et on va le faire tout de suite.
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N/A : Bonsoir ! Après un moment d'arrêt de l'histoire, je reprends son écriture :D. Même s'il reste 4 ou 5 chapitres avant l'épilogue lol.
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Moi, Sam, sans-abri (BxB)
Fiksi UmumSam n'a que 15 ans lorsque ses parents le foutent à la porte. Il n'était qu'un ado innocent. Trois ans plus tard, il est devenu un jeune adulte démuni d'émotions et d'espoir tandis qu'il vit dans le plus impitoyable des mondes : la rue Histoire d'am...