Chapitre 11.

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Le temps de passer la porte elle avait changé de peau. Les garçons le savaient, dans cette société il ne faisait pas bon être une femme. C'est pourquoi Norah était devenue Richie. En voyant son nom, personne ne pouvait savoir qu'il s'agissait d'une jeune femme. Quand elle quittait le Manoir, c'était toujours sous les traits d'un homme d'une bonne quarantaine, à la longue chevelure brune attachée par un élastique dans sa nuque. Le Richie de l'extérieur avait un regard dur, noir, sous d'épais sourcils. Il avait aussi un bouc. Même Louis ne savait pas comment elle faisait pour changer son apparence aussi radicalement et aussi rapidement. Elle ne lui avait rien appris de cette technique. Peut-être, pensa-t-il, que ce n'était tout simplement pas une des technique-monstres qu'elle pouvait enseigner aux plus volontaires. Peut-être que Richie était tout simplement une magicienne douée de capacités qui dépassaient les limites que tout un chacun pouvait atteindre. Cela aurait expliqué tellement de choses...

- Je serais là pour le déjeuner, leur annonça-t-elle depuis l'encadrement de la porte, de la voix grave et assurée de Richie l'homme. Si vous voulez manger tôt, préparez le repas avant que j'arrive, et elle avait dit ça en regardant Louis.

Louis n'était pas très bon cuisinier, mais elle n'avait jamais vu ni Harry ni Niall aux fourneaux et, de toute façon, elle ne voulait pas qu'ils aillent et viennent dans la cuisine. Louis n'avait aucune envie de préparer le repas pour tout le monde. Une raison de plus d'espérer qu'elle rentre vite.

Richie monta dans un petit coupé sport noir et sortit de la propriété. En seulement quelques minutes, elle était en ville. Elle laissa sa voiture à quelques rues de la place du marché et marcha jusqu’à une petite boutique sombre dans une ruelle escarpée. Edwin Poretski, qu'elle avait toujours connu sous le nom de Ed, tenait ce genre de magasins minuscules où toutes sortes de babioles étranges s'entassaient sur des étagère poussiéreuses et où, pourtant l'on trouve toujours ce que l'on cherche. Il eut un sourire entendu en la voyant passer la porte. Elle lui rendit son sourire, tourna le verrou de la porte et en un éclair, à nouveau, c’était une jeune femme blonde et menue qui se tenait dans la boutique. Une petite pancarte marquée "FERME" descendit sur la porte pour en couvrit la vitre. Ed fouilla derrière son comptoir un moment avant d'en sortir une petite boîte d'aluminium.

- C'est exactement comme une tisane. Tu fais infuser trois feuilles dans de l'eau bouillante, tu bois ça une heure avant d'aller te coucher et ciao les vilains cauchemars!

Richie eut un soupir de soulagement et un sourire sincère.

- Merci, dit-elle, glissant un billet d'une somme importante à l'homme d'un certain âge.

Ed tenta de refuser l'argent, s'il aidait Richie c'était parce qu'il l'avait vue grandir et devenir une bonne personne dans un environnement pourtant si peu propice à l’épanouissement. Mais elle savait que les affaires ne marchaient pas bien pour Ed et elle voulait l'aider. De plus, l'aider elle, c'était aider Le Manoir et aider Le Manoir, c'était soutenir une potentielle menace au pouvoir en place. Ed se mettait en danger pour elle et elle voulait l'en remercier gracieusement. Le vieillard afficha alors un sourire mélancolique en rangeant le billet dans sa caisse. Il pensa qu’il avait bien de la chance de connaître cette gamine. Elle était une dernière goutte d’espoir dans un monde rendu gris par la corruption. Elle était la dernière à refuser de se soumettre aux riches et puissants qui semblaient pourtant tout gouverner. Son Manoir était comme une île encore préservée des attaques de bandes agitées. Edwin ne savait pas exactement ce que Richie faisait au Manoir. Il savait juste que c’était une sorte d’école et, pour être honnête, il pensait que si aucun groupe violent ne s’y était encore attaqué, c’était tout simplement parce qu’il était caché au milieu des bois et entouré de cette impressionnant muraille. Lui-même n’y était jamais entré et il n’en avait pas l’envie. Ce n’était plus vraiment le genre d’homme à poser des questions. A vrai dire plus aucune ‘petites gens’ n’avait encore la force ou le courage de poser des questions.

Lorsque Richie quitta la boutique, elle laissa sa voiture là où elle l’avait garée et se rendit au marché. Le soleil effleurait sa peau et elle fut déçue de ne pas pouvoir l’apprécier autrement que sous les traits d’un homme d’âge mûr. Elle sentit le découragement se développer lentement dans sa tête. La situation ne changerait jamais, et ses efforts n’avaient aucune véritable importance. Le Manoir était peut-être un havre perdu dans les bois, dans lequel une poignée d’êtres parvenaient encore à vivre comme si la paix et la liberté régnaient encore dans le pays, mais l’extérieur n’était d’un éternel champ de bataille. Dans un élan d’espoir déraisonné, la population s’était révolté et avait renversé un gouvernement oppressant. Mais aucune autre forme d’organisation satisfaisante n’était parvenue à se mettre en place et le pays avait sombré dans une anarchie malsaine largement dominée par les plus riches puisqu’ils étaient plus facilement capable de s’enfermer dans des forteresses extrêmement onéreuses. Nombre d’entre eux trempaient dans des affaires de grand banditisme qui restaient impunies puisqu’aucun pouvoir judiciaire ne semblait réussir à s’affirmer et personne, finalement, n’osait s’attaquer aux véritables empires qu’ils s’étaient créés. Chaque minute passée dans les rues était une minute d’angoisse. Pour qui que ce soit.

Le Manoir.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant