La porte s'ouvre soudainement et je sursaute en me rendant compte que j'ai espionné cette conversation sans même m'en rendre compte.
Sophia est face à moi, et s'il avait pu tuer, son regard m'aurait réduite en miettes. C'est Tristan qui a ouvert la porte et il ne m'a pas encore vue puisqu'il est tourné vers sa petite-amie, à qui il dit quelques mots :
- Je t'en prie, tu peux t'en aller.
J'écarquille les yeux sous le choc. Il quitte sa copine pour que je reste chez lui ? Mais il est dingue ! Je ne suis personne pour lui, pourquoi il me soutient comme ça ? Je fais si pitié que ça ? Probablement, vu la situation.
Je sursaute à nouveau lorsque Sophia lui assène une gifle magistrale qui me fait culpabiliser davantage encore. Quand elle sort de la pièce, elle se poste face à moi, son visage empreint d'une colère incommensurable et un regard empli de dédain. Dois-je lui rappeler qu'on ne m'a pas demandé mon avis et que je suis ici parce qu'on m'y a obligée ?
- Tous mes vœux de bonheur, crache-t-elle d'un ton hautain.
Sur ces mots, elle disparaît dans le couloir et Tristan se rend compte de ma présence. Je baisse les yeux, honteuse, et m'enfuis dans ma chambre, là où j'aurais dû aller immédiatement sans m'arrêter.
- Laurine, attends.
Je referme la porte et m'installe sur mon lit au moment où elle se réouvre. Mes doigts s'entremêlent sur mes genoux et j'aimerais lui demander de sortir, mais rien ne sort de ma bouche. Comme d'habitude.
Tristan s'assoit près de moi et je n'ose pas le regarder. J'ai bien trop honte, non seulement d'avoir espionné leur conversation mais aussi d'être responsable de leur rupture. Il n'y a qu'une seule façon de réparer ça, je le sais. Tristan ne veut pas culpabiliser en me demandant de partir, alors je dois le faire de moi-même. Même si je commence un peu à apprécier cette maison et ceux qui y vivent, je n'ai pas le choix. J'irai ailleurs pour quelques mois, ou quelques jours, s'ils ne veulent pas de moi plus longtemps et ça continuera jusqu'à ce que j'ai dix-huit ans.
Je me lève et m'empare d'un carton que j'ai replié il y a seulement quelques heures avant d'ouvrir l'armoire à moitié vide. Je tends le bras dans l'intention d'attraper un cintre, mais les doigts de Tristan se referment délicatement sur mon poignet et il m'éloigne de cette armoire.
- Qu'est-ce que tu fais ?
Son contact est chaud sur ma peau et, étrangement, je n'ai pas cette répulsion qui m'assaille chaque fois que quelqu'un me touche. Ce n'est pas pour autant que je le laisse faire, mais au lieu de me dégager brusquement et de hurler comme j'en ai l'habitude, je me contente de tirer légèrement sur mon bras pour lui faire comprendre que je voudrais qu'il me lâche. Il s'excuse en bafouillant et récupère sa main.
- Je suis désolé de ce que tu as entendu. Sophia a été très irrespectueuse envers toi. Et envers moi aussi d'ailleurs, mais peu importe. Elle n'est pas méchante au fond, tu sais. Juste un peu...
Il grimace et se reprend :
- Beaucoup jalouse. À l'extrême, j'en suis conscient. Et c'est pour ça que je tiens à m'excuser à sa place. Je sais qu'elle ne le fera pas. Elle ne l'a d'ailleurs jamais fait, que ce soit envers moi ou n'importe qui d'autre.
Je vois de la tristesse dans son regard lorsqu'il prononce ces mots, et ça se comprend. Il vient de rompre soudainement et à cause de moi.
Mes yeux se posent sur sa joue rougie à cause de la gifle qu'il a reçu et je me sens terriblement embarrassée.
- Ne t'inquiètes pas, je vais bien, dit-il pour me rassurer. Tu n'es pas la seule à qui Sophia en veut, tu sais. Elle méprise toutes les filles qui osent poser les yeux sur moi ou toutes celles qui croisent accidentellement mon regard. Je pensais qu'elle s'était calmée, mais après aujourd'hui, j'en déduis qu'elle ne souhaite pas faire d'efforts. Et contrairement à ce que tu pourrais penser, tu n'es pas responsable.
Si, je le suis. Il pourra dire n'importe quoi, je sais que je suis responsable de leur rupture. Même en n'ayant rien fait, d'ailleurs.
Ses yeux sont ancrés dans les miens et j'y vois de la sincérité. Il est touché par ce qu'il vient de se passer, mais il ne m'en veut absolument pas, je le vois. Et il n'a pas l'air de regretter son acte.
Le brun de ses yeux me fascinent durant ces quelques secondes de silence. C'est la première fois que je vois une différence de couleur entre deux iris, même aussi subtile. C'est d'autant plus flagrant lorsque je suis proche à ce point. C'est particulier mais magnifique et envoûtant. Tristan ne m'observe pas comme une bête curieuse, mais comme une jeune femme normale, et ça me fait beaucoup de bien. Avec lui et Nathalie, je n'ai pas l'impression d'être folle, comme lorsque j'étais à l'hôpital. Ici, j'ai la sensation qu'ils comprennent mon mal-être, même si ce n'est pas le cas. Ils essayent et ça me touche beaucoup. Ils sont présents pour moi, sans être étouffants et c'est plutôt apaisant.
- Tu as déjà joué à la console ?
Cette demande me réveille instantanément. C'est quoi cette question ? Il me parle de Sophia, s'excuse à sa place et me demande ça ?
Sans m'en rendre compte, je fronce les sourcils, ce qui provoque un éclat de rire chez Tristan, puis il me prend la main délicatement et m'entraine rapidement derrière lui.
- Viens.
Ai-je le choix ? Visiblement non. Je n'ai pas le temps de réfléchir que je suis déjà assise sur son lit, dans sa chambre, à le regarder allumer la console de jeu. Il est sérieux ?
- Tiens, dit-il en me remettant une manette dans les mains. Tu dois certainement connaitre Mario Kart et je ne sais pas si tu y as déjà joué, mais on va commencer par un niveau facile, pour que je sache comment tu joues.
Pendant ses explications, il fait les réglages du jeu, choisit son personnage alors que je fais de même et lorsqu'il me voit pencher la manette dans l'autre sens, à l'horizontale, il a un sourire suffisant et comprend que j'ai déjà joué. Il lance ensuite un des parcours les plus faciles et remarque amusé, que je peux aisément lui tenir tête et rivaliser avec lui, même si ça fait un moment que je n'ai pas joué. Il finit à la première place et moi à la seconde.
Durant la partie, ainsi que les quatre suivantes, je l'entends rire, jurer dans sa barbe et grommeler je ne sais quoi chaque fois que je passe devant lui. J'ai même gagné une course ! J'esquisse un léger sourire lorsqu'il râle à cause d'une peau de banane en travers de sa route, mais très vite, je sens que ma vision se trouble. C'est tellement flou que je vois très mal l'écran. Je ne comprends pas ce qu'il se passe.
- T'es trop nulle Laurine ! s'exclame la voix amusée de Noah. Comment tu as fait pour tomber ici ?
Une larme coule sur ma joue et la manette tombe lourdement au sol.
- Hé, qu'est-ce qu'il y a ?
La voix de Noah résonne au loin, comme si nous étions dans une immense pièce vide. Je n'arrive plus à respirer. Pourquoi je ne respire plus ? Je ne vois plus rien. Je ne comprends pas ce qu'il se passe.
- Laurine ?
Ce n'est plus la voix de mon frère. Où est-il ? Il était là, il m'a parlé, où est-il allé ? Je veux le voir, je veux l'entendre à nouveau !
Deux grandes mains se posent sur mes joues et essuient délicatement mes larmes alors qu'un sanglot me broie de l'intérieur. Ce ne sont pas les mains de Noah. Ce n'est pas Noah. Noah n'est pas là. Ça ne peut être lui. Noah est mort. J'ai vu son corps tomber au sol à quelques centimètres de moi. J'ai vu la vie s'éteindre dans ses yeux. Mon frère est mort.
Cette voix n'était pas celle de Noah et je ne l'entendrai jamais plus.
J'ai mal. Tellement mal.
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Notre Secret
RomanceSa présence m'apaise. Il me fait oublier les ténèbres dans lesquels je suis plongée depuis cette terrible soirée. Il me donne l'impression d'être de nouveau moi-même, mais cette fille-là est morte il y a plusieurs jours, et je ne peux plus être heu...