Elle a passé la soirée avec son téléphone et n'est pas venue manger, préférant écouter en boucle les répondeurs de ses parents et de son frère. Sur ce point là, je la comprends tout à fait ; j'ai fait la même chose à la mort de mon père en lui laissant des dizaines de messages vocaux. Si elle pouvait parler, Laurine l'aurait sans doute fait.
Maman a été obligée d'aller la voir après le dîner. Elle était allongée dans son lit avec sa sœur, et elle lui faisait écouter des voix qu'elle n'entendra plus jamais.
Maman lui a d'abord retiré le téléphone et si elle avait pu, Laurine lui aurait hurlé de le lui rendre. Puis Lydia a été replacée dans son lit. Elle dormait déjà depuis longtemps.
Depuis le couloir, j'ai vu ma colocataire s'affoler et paniquer. Elle pleurait, tournait la tête dans tous les sens, complètement perdue. Ma mère a alors attrapé son visage à deux mains et lui a dit des choses que je n'ai pas entendu, puis elle s'est effondrée dans ses bras. Des sanglots bruyants ont envahi la pièce pendant de très longues minutes, avant qu'elle ne finisse par s'endormir d'épuisement.
Quand elle m'a rejoint, ma mère était livide. Elle m'a expliqué à quel point c'était difficile, mais qu'elle ne comptait pas renoncer. Moi non plus.
Je suis allé me coucher près de Laurine cette nuit. J'ai remarqué qu'elle ne faisait pas de cauchemar quand elle dormait avec moi, alors je veux lui épargner une douleur supplémentaire ce soir.
Étant recroquevillée sur elle-même, je me suis installé derrière elle, plaquant mon torse contre son dos, mon bras sur son ventre. Elle n'a pas bougé d'un centimètre.
Le lendemain, je me réveille avant elle. Même avant Lydia. Mais je reste allongé sur le dos, à attendre qu'elle ouvre les yeux, ce qu'elle fait une trentaine de minutes plus tard. Elle semble étonnée de me voir près d'elle mais ne s'en formalise pas. Je me tourne sur le côté pour la regarder alors qu'elle se redresse légèrement pour voir si sa sœur dort encore. C'est le cas, alors elle se place face à moi.
Je ne lui demande pas si elle va bien, je connais déjà la réponse. Je ne lui parle même pas. À la place, je pose délicatement ma main sur sa joue et caresse sa peau douce, sans dire un mot. Elle ferme les paupières quelques instants, et lorsqu'elle les ré-ouvre, ses yeux sont brillants de larmes. Puis elle s'approche et vient se blottir contre moi, son visage contre mon cœur. Je passe mon bras autour de sa taille et la serre très fort en déposant un baiser sur son front.
J'aimerais embrasser ses lèvres, comme je l'ai fait quelques jours plus tôt mais j'ai bien trop peur de la brusquer. Ce soir-là, j'étais tellement paniqué à l'idée de l'effrayer que j'ai longuement hésité. Mais je ne regrette pas du tout. Parce qu'elle ne m'a pas repoussé et a même répondu timidement à ce baiser.
Marina avait raison. Laurine me plaît beaucoup et j'adore la voir sourire ou l'entendre rire. J'aime quand elle se moque de moi. Je me délecte de la sensation de l'avoir dans mes bras, de dormir avec elle, de l'embrasser. Je l'adore. Et ce n'est aucunement de la pitié.
Plus tard, dans l'après-midi, je suis sur le canapé en train de regarder une émission de cuisine vraiment nulle lorsque Laurine entre dans le salon, son téléphone à la main. Elle ne l'a pas quitté de la matinée.
Elle s'installe à côté de moi, très proche, et place le portable à l'horizontale au niveau de mes yeux. L'écran est noir, mais elle appuie au centre et une vidéo se met en route. J'entends un rire d'enfant avant de voir le visage d'une petite fille blonde. Je la reconnais immédiatement ; c'est Amanda. Elle rit à voix basse et j'entends un chuchotement qui lui intime le silence. La petite hoche la tête et ouvre une porte située à sa droite.
Je découvre un homme allongé dans un lit, sur le dos, seulement vêtu d'un short de sport bleu. Noah. Il dort et ronfle très fort, ce qui fait rire Amanda. Je vois ensuite la main du caméraman entrer dans le champ de vision et elle tient une bombe de mousse à raser. La main gauche de Noah est rapidement remplie et Amanda vient frôler le nez de son frère du bout des doigts. Ce dernier réagit exactement comme il le fallait puisqu'il se retrouve le visage tartiné de mousse. Il jette un regard endormi et perdu à sa sœur et en réserve un bien moins sympathique à la caméra du téléphone.
- Cours ! crie une voix lorsqu'un tee-shirt vole pour atterrir sur la tête de Noah.
La petite fille file à toute allure en riant et je devine que le caméraman fait de même puisque l'image bouge beaucoup. Les deux personnes arrivent dans le salon, et s'installent sur un canapé où deux adultes sont assis. Les parents de Laurine.
J'entends un hurlement au loin et la mère soupire.
- Qu'est-ce que vous avez fait encore ?
- Rien, rit Amanda.
- Ah oui ! s'exclame le père qui s'esclaffe à son tour. Rien du tout en effet.
- Je vais vous tuer, annonce Noah.
La caméra dévoile un grand frère très en colère à l'entrée du salon, puis elle se tourne vers Amanda qui pince les lèvres pour retenir son rire :
- Oh oh. Je crois qu'il est fâché.
Un cri aigu me parvient avant que la vidéo ne se coupe. Je ris en me tournant vers Laurine.
- Quelque chose me dit qu'il s'est vengé !
Elle s'esclaffe et me le confirme d'un hochement de tête. Je lui demande ensuite si c'est elle qui filmait et là encore, elle acquiesce. J'ai donc réussi à entendre sa voix mais je suis déçu qu'elle n'ait prononcé qu'un seul mot, qui a été dit en criant en plus.
Laurine me montre ensuite une autre vidéo en faisant glisser l'écran sur la droite. Je lui prends l'appareil pour mieux voir et elle pose sa tête sur mon épaule. Nous admirons Noah et Amanda se chamailler pendant deux minutes et vingt-quatre secondes. La suivante est celle d'Amanda qui joue avec un chat gris.
Sur celle d'après, je vois un terrain d'herbe et la fille qui est sur le fond d'écran du téléphone. Immédiatement, Laurine se redresse et tente de me retirer le téléphone des mains mais je suis plus rapide et le tire hors de sa portée. Elle ne veut pas que je vois ça ? Ça me donne encore plus envie de regarder.
Elle rougit instantanément et essaie d'attraper le téléphone. Elle passe au dessus de moi mais je ramène l'objet tant convoité de l'autre côté. Je me lève et cours jusqu'à la cuisine où je m'enferme en riant comme un gamin. Elle tambourine contre la porte que j'ai bloqué en m'asseyant devant et je lance la vidéo.
Le paysage bouge un peu à cause du mouvement du téléphone mais se stabilise rapidement. La jeune fille brune sourit et une autre, aux longs cheveux blonds la rejoint. Quand elle se tourne face à la caméra, je découvre le visage serein et joyeux de Laurine. Ses cheveux longs lui vont bien. Elle est tellement belle.
- C'est bon, tu es prête ? demande-t-elle.
- Ouais. Je lance la musique.
Laurine acquiesce et les deux jeunes filles se mettent en place, puis la musique démarre. Elles entament alors une danse magnifique et c'est totalement envoûtant. Elles sont douées. Très douées. Je ne parviens pas à décrocher mon regard de l'image que renvoie ma colocataire. Elle est rayonnante, c'est incroyable.
Je comprends alors que Laurine faisait de la danse avant ce désastre et à voir son sourire à la fin de la vidéo, elle adorait ça. Elle est sublime.
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Notre Secret
RomanceSa présence m'apaise. Il me fait oublier les ténèbres dans lesquels je suis plongée depuis cette terrible soirée. Il me donne l'impression d'être de nouveau moi-même, mais cette fille-là est morte il y a plusieurs jours, et je ne peux plus être heu...