Chapitre 2 : Laurine.

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Ça fait du bien de ne plus entendre ces deux femmes parler de moi comme si je n'étais pas là. Ce n'est pas parce que je ne prononce pas un mot que je n'entends rien. Et je crois que le garçon qui me fixait intensément tout à l'heure l'a parfaitement compris. Je n'ai pas hésité pour accepter son invitation implicite. Sur le moment, j'ai cru qu'il allait me parler, mais il s'est abstenu et s'est simplement installé au sol. Je l'ai imité.

Ce jardin n'est pas très grand. Tout comme la maison d'ailleurs. L'arrière de la bâtisse me rappelle chez moi. Quatre arbres font de l'ombre au fond du carré d'herbe et je crois que je vais aimer me poser sous cet olivier. Si toutefois cette Nathalie ne s'évertue pas à vouloir me faire la conversation. Elle a déjà essayé mais je l'ai ignorée. Et ce sera ainsi à chaque fois. J'espère qu'elle finira par le comprendre.

Le garçon n'a pas dit un mot depuis mon arrivée et je n'ai pas retenu son nom. Seulement la couleur de ses yeux qui semblaient me détailler scrupuleusement quelques minutes auparavant. Ils sont bruns mais d'une teinte différente l'un de l'autre. Le droit est plus foncé que le gauche. Pas de beaucoup, très légèrement seulement.

- Laurine ? Tristan ?

Tristan, voilà son nom. Je l'avais déjà oublié. Il se lève lorsque sa mère l'appelle et ne prononce toujours pas un mot. Est-ce que lui non plus ne parle pas ?

- Vous venez dire au revoir à Madame Morlin ?

Le garçon passe à côté de moi et entre dans la maison pendant que je reste ici, même si je commence à avoir très chaud sous ce soleil de plomb, vêtue de mon sweat épais. Ce n'est que le matin, mais la température est tout de même élevée.

- Laurine ? s'enquiert à nouveau la mère de famille.

Pourquoi veut-elle que j'aille dire au revoir à cette femme ? Tout d'abord, je ne l'aime pas. Elle ne cesse d'essayer de me forcer à parler ce qui ne sert à rien puisque de toute évidence, je ne dirai rien. Et ensuite, je ne compte pas lui serrer la main et encore moins lui faire la bise ou un quelconque sourire. Alors je reste là et Nathalie disparaît pour laisser place à mon assistante sociale qui vient s'asseoir à côté de moi.

- J'espère que tu te plairas ici, Laurine. Nathalie est une femme très gentille et Tristan est un garçon bien. Tu peux leur faire confiance.

Puis elle déblatère des recommandations inutiles que je n'écoute pas, préférant mille fois admirer les brins d'herbe non loin de moi. Ce n'est que lorsque sa main se pose maladroitement sur le haut de mon dos que je réagis. Je me redresse immédiatement sur mes deux pieds pour échapper à ce contact et fais tomber mon ours en peluche qui dévalent les trois marches. Je m'empresse de le récupérer et le serre dans mon poing.

- Je vais m'en aller, déclare la femme face à moi. À bientôt Laurine.

Puis elle entre dans la maison, un sourire crispé sur ses lèvres. Ce n'est que lorsque j'entends le bruit du moteur devant la maison que je passe la baie vitrée. Trois minutes de plus et je me liquéfiais à l'extérieur.

- Je te fais visiter la maison ? me questionne Nathalie le sourire aux lèvres.

Elle est tendue, je le vois. Elle ne sait pas comment agir avec moi et je la mets mal à l'aise. Comme toutes les personnes qui m'ont rendu visite au cours du dernier mois dans cet asile de fou où je n'avais pas ma place. Je ne suis pas folle et personne ne semble le comprendre. Personne ne le peut.

Comme je ne réponds ni ne fais de signe de la tête, elle fait comme si je lui avais dis oui.

- Donc ici, c'est le salon. Juste là, annonce-t-elle en me montrant une porte ouverte à ma gauche, c'est la cuisine.

Elle y pénètre, alors je la suis mécaniquement.

- Si tu as faim, tu te sers. Il y a tout ce qu'il faut dans les placards, le réfrigérateur est là, les verres et les assiettes sont ici et les couverts dans ce tiroir.

Puis elle sort et rejoint un long couloir. Je marche derrière elle et constate que son fils a disparu. Elle ouvre ensuite chacune des portes pour me montrer sa chambre, une première salle de bain, des toilettes, un bureau où elle passe son temps à travailler, une seconde salle de bain, la chambre de son fils, et enfin, la chambre que je vais occuper.

Les murs sont marrons clairs et blancs, un grand lit double est au centre de la pièce et recouvert d'une couverture brune. Une table de chevet, un bureau, et une armoire remplissent la pièce, ainsi que six gros cartons.

Nathalie me parle encore mais j'ignore ce qu'elle me dit. Je ne vois que ces cartons qui contiennent toutes mes affaires. Ne souhaitant pas m'attarder là-dessus, je me dirige vers le lit et m'allonge dessus, sans un mot, recroquevillée sur moi-même. Il est confortable. Bien plus qu'à l'hôpital, mais bien moins que dans ma maison.

- Je vais préparer le déjeuner, ce sera prêt dans une heure. En attendant, fais comme chez toi, m'indique-t-elle en me souriant.

Quand elle disparaît, j'ai déjà fermé les yeux. La fatigue me submerge chaque jour un peu plus et aujourd'hui, je ne tiens plus. Je ne les rouvre que quelques heures plus tard et ce n'est pas un cauchemar qui me réveille cette fois-ci contrairement à toutes ces autres fois, mais les rayons du soleil. Je devine alors que ma chambre ne donne pas sur le jardin et qu'elle sera ensoleillée tous les après-midi.

Je m'assieds sur mon lit et reste ainsi pendant de longues minutes. Je fais quoi maintenant ? Dans cet asile de fous, on me donnait des ordres et j'obéissais machinalement pour que personne ne me prenne la tête, sauf lorsqu'on me demandait de parler. Là, je refusais d'obéir. Mais ici, le seul ordre qu'on m'ait donné c'est de faire comme chez moi, ce que je ne peux décemment pas faire puisque je ne suis pas chez moi. Alors j'ignore ce que je dois faire. J'ignore ce que j'ai envie de faire, ça fait déjà plusieurs semaines que je n'ai plus envie de rien.

Je décide de me lever et de longer le couloir. Il n'y a personne dans le salon mais j'entends des voix dans la cuisine. Celle de Nathalie et celle d'un homme.

- Il va lui falloir du temps pour s'habituer à nous, mais j'ai peur de faire quelque chose de mal, s'inquiète la femme.

- Ça va aller Maman.

Cette voix doit être celle de Tristan, celle que j'entends pour la première fois et qui me cloue étrangement sur place. J'écoute alors la suite de la conversation.

- Je sais que tu feras de ton mieux pour qu'elle se sente bien ici, la réconforte cette voix grave mais pourtant si douce.

- Mais ce ne sera pas assez. Elle a perdu toute sa famille et je sais que rien ni personne ne pourra la remplacer, mais j'espère qu'elle acceptera tout de même notre aide.

- Il faut lui laisser du temps.

Un silence s'installe dans la pièce avant que Nathalie ne reprenne la parole. Sa voix est empreinte de tristesse et de pitié, je le perçois facilement.

- Je n'ose même pas imaginer ce qu'elle doit ressentir. Toute sa famille a été tuée sous ses yeux et personne de son entourage n'a pu l'accueillir. Elle doit se sentir tellement seule.

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