Mort: texte 1

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Les menottes me broient les poignets en creusant d'épais sillons dans ma peau. Mes cheveux sales collent à mes joues trempées de sueur et de larmes. Je viens de réaliser qu'ils viennent de me sortir de ma cellule. Et je sais pourquoi...

Le garde situé devant moi tire sur ma chaîne pour me faire accélérer et ne manque pas de m'insulter. J'obéis et marche un peu plus vite sans réagir à l'injure. Depuis sept jours, je me suis résigné. Je sais que c'est inutile de résister. La mort surviendra de toute façon. 

Les larmes me piquent les yeux et brouillent ma vision devenue grise du monde dans lequel j'ai le malheur de vivre.

Je pense à toi. 

On me pousse à l'extérieur, sur là place du village. Le soleil, étoile que je n'ai point vue depuis sept jours, m'éblouit de sa forte lumière. Une lumière froide, aigre. La lumière de la mort. Le soleil est un être vicieux qui a l'insolence de briller lorsqu'il ferait mieux de laisser la pluie prendre le relais.

Je pense à toi.

Bien sûr, il y a un public. Des adultes et des enfants sont agrippés aux barrières de fer et posent sur moi un regard empli de haine et de dégoût. Ce regard me blesse plus encore que les insultes du bourreau.

La petite fille qui brandit une affiche ne sait pas ce que signifient les mots qui la recouvrent. Elle imite l'attitude de ses parents, en me regardant comme on regarderait un animal défectueux qui part à l'abattoir. Pas avec pitié, non. Plutôt comme si dans ce regard, on devinait l'inutilité de la victime qu'éprouve son propriétaire à son égard et le crime qu'avait commis cette dernière. Là est la différence entre l'animal condamné et moi. Pour ces gens, je suis en tort.
Je ne pense pas que la petite fille sache ce que j'ai fait. Elle se contente d'imiter ses parents. J'aurais préféré pour elle qu'elle naisse dans un autre pays et un autre continent, en Europe, par exemple. Ainsi elle aurait appris à ne pas juger sans savoir. Je reconnais son père. Il m'était sympathique et je lui étais sympathique en retour, jusqu'à la semaine dernière. À présent, je le dégoûte. 

Je pense à toi.

Un adolescent meugle une insulte. Comme s'ils attendaient un signal, les gens rassemblés - tout le village - se mettent eux aussi à cribler ma personne d'insultes affreuses. Je ne peux pas soutenir le regard de cette petite vieille teigneuse qui me traite comme un déchet. Je baisse les yeux vers mes pieds nus qui foulent le sol froid.

Je pense à toi.

Un coup de poing dans le ventre me fait me plier en deux. Un murmure de contentement retentit tandis que mes pleurs redoublent. Le bourreau me fait signe de monter sur l'estrade. Tremblant, les mains moites, j'arrive à peine à faire un pas devant l'autre.

Je pense à toi.

Toujours les yeux baissés, je me place face à la foule, sur l'estrade de bois. On m'enlève mes menottes et aussitôt, les deux gardes brandissent leurs flingues vers moi, menaçants. Comme si, maigre et épuisé que je suis, j'étais capable de faire un geste. Involontairement, je croise le regard d'un des deux gardes. Je connais ce regard. On me l'a accordé cent fois depuis sept jours. C'est celui qui dit : "Fais un geste et je te mets une balle dans la tête, sale monstre". 

Pour ces gens, je suis un monstre. Je m'y suis fait.

Je pense à toi.

La foule s'impatiente et gronde. Le bourreau les fait taire d'un geste et ordonne aux gardes de m'attraper. Ils se saisissent de mes bras frêles, en s'attendant à une résistance de ma part, mais je me laisse faire. 

Je pense à toi.

Je les laisse me poser sur le tabouret comme si je ne pesais rien. Je les laisse me griffer, m'insulter ouvertement. Il y a sept jours, j'ai arrêté de me battre.

Concours d'écritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant