Chapitre 7

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Shinji et Horoku avaient croisé Jigoro une dizaine de minutes auparavant, alors qu'Horoku revenait du hangar abandonné. A présent, tous les deux se trouvaient dans leur camionnette avec les deux autres élèves, dont David. Ils retournaient encore au hangar, ils n'arrêtaient pas de faire des allers-retours depuis le kidnapping du Maître. Jigoro leur avait demandé de le surveiller, craignant que les deux Noirs ne tentent de le libérer, comme l'avait menacé Lóng.

Ils arrivèrent et entrèrent dans le bâtiment où, malgré les trente degrés Celsius régnant dehors, il n'en faisait pas même dix à l'intérieur. Les élèves et Horoku avaient revêtu, au-dessus de leurs T-shirts, un pull épais. Seul Shinji portait un pull en laine, que lui avait donné le Maître. Il le tenait d'Hinano, qui le lui avait tricoté, mais il c'était avéré trop petit pour lui.

La première chose que fit Horoku fut de vérifier que le vieil homme était toujours là. Ce qu'il vit lui fit plaisir, car le vieux Maître se trouvait toujours assis sur sa chaise, exactement comme il l'avait laissé. Il referma la porte de la pièce à clefs et rejoignit ses élèves, qui avaient déjà sorti leur repas.

Shinji s'était installé dans un coin de la pièce avec David et le deuxième élève, Jimmy. Malgré la fraîcheur du bâtiment, manger froid ne les dérangeait pas.

Le jeune Chinois, après avoir discuté un moment avec son ami, repensa au vieil homme. Qui pouvait-il être ? Quel était son nom ? Il était clair que c'était lui qui avait récupéré Ho Sang lorsqu'elle s'était enfuie mais, savait-il tout de Jigoro ? Cette sale garce lui avait certainement raconté toute sa vie et celle de son père, en même temps. Pourvu qu'elle ne lui ait pas dit qu'il avait tué un homme et pourquoi. Il ferma les yeux et reconstitua mentalement le visage du vieux Chinois. Il voyait les traits ridés et tirés de l'homme et ses cheveux gris et soyeux. Ce visage, orné de deux yeux très expressifs, le hantait, telle la silhouette de Hinano qui réapparaissait tout le temps à Jigoro. On pouvait comprendre, rien qu'en croisant son regard, que le vieil homme était un vieux sage, toujours calme, ne laissant trahir aucune émotion ou pensée. Jigoro pensait qu'il s'agissait, en réalité, d'un vieux Maître. Mais, dans ce cas, le vieil homme n'avait plus que la sagesse et la ruse de son côté, tandis que Ho Sang et ses deux frères devaient avoir uniquement sa force.


Jigoro, au dojo, attendait impatiemment qu'une mère d'un de ses élèves de karaté cesse de le harceler avec ses questions. Elle lui semblait pire que Rachelle Brown, alors que cette dernière, par son métier, se devait d'interroger les gens. Après avoir menti à la femme en lui disant que son enfant se débrouillait très bien, et dès que celle-ci fut partie, il se dirigea vers la chambre de Ho Sang, dont l'odeur d'ylang-ylang se répandait même dans le couloir. Sur le lit, appuyée contre le mur, se trouvait une guitare que seul le Maître, à présent, utilisait. Lorsqu'il était enfant, ses parents lui avaient enseigné le piano, mais Ho Sang semblait avoir toujours été une enfant vive et cet instrument ne l'avait jamais intéressé, trop peu rythmé selon elle. Le piano, elle ne l'aimait que lorsque c'était son père qui en jouait. C'était pour cette raison que le Maître l'avait mis dans la chambre de sa fille et s'apprêtait ce soir à en jouer. Il commença à taper sur le clavier la chanson préférée de son enfant.


Damien était loin de se douter, comme la jeune fille, que ce que murmurait Ho Sang était joué par son père, au même instant. Chanson mélancolique, lorsqu'elle était chantée par la Chinoise, quasi-dramatique à cet instant précis, comme elle était assise en tailleur contre le mur, boudant toute nourriture et refusant toute conversation. Elle semblait en pleine crise, les lèvres bougeant à peine, les yeux dans le vide, chuchotant la même chose depuis une heure : « Graver l'écorce, jusqu'à saigner, Clouer les portes, s'emprisonner ». Vulcain avait expliqué à Damien et Rachelle que Ho Sang chantait cela dès qu'elle était triste et avait des problèmes. Ce samedi-là, ça devait être un mélange des deux. Dire à ses frères où se trouvait la cachette de son père, même pour qu'ils puissent retrouver le Maître, avait été dur pour elle. Elle pensait avoir trahi son père, alors qu'elle tenait à lui comme à la prunelle de ses yeux. Mais elle aimait tellement Takeshi, les deux frères, et même, dans une moindre mesure, Rachelle et Damien.

LóngOù les histoires vivent. Découvrez maintenant