Chapitre 16

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Le jour était tombé. Takeshi avait envoyé Vulcain et Ho Sang acheter de quoi manger chez une connaissance chinoise de l'autre côté de la rue. Le vieux Maître, Jigoro, Shinji, David, Rachelle, Damien et Rê s'étaient assis autour d'une table pour dîner. Peut-être serait-ce leur dernier repas ensemble. Ils savaient à présent que le juge les attendait déjà au Bronx, mais ils ne partiraient qu'à vingt-trois heures, soit dans deux heures quarante. Enfin, Vulcain et sa sœur revinrent avec le repas. Ils avaient acheté des nems, des rouleaux de printemps, des Ha-Kao, des Sui-Mai, des Nui-Mai, et des Guo-Tié. Chacun mangea en silence, essayant de ne pas penser à ce qu'il se passerait le soir-même. Chacun avait peur. Peur que son meilleur ami ne meure, peur pour lui, angoissé à l'idée de mourir.

A la fin du repas, Jigoro demanda à Ho Sang de venir avec lui et lui donna les faux papiers d'identité qu'il avait fait faire pour elle. La jeune fille sourit et ironisa :

- C'est sympa de savoir qu'ils pourront mettre un nom sur mon cadavre !

- Ho Sang...

- C'était pour rire ! Merci de me les avoir donnés. Mais, tu aurais pu me les rendre plus tard... de toute façon, on va s'en sortir !

- Je ne te savais pas si optimiste.

- Etre pessimiste et agressive ne m'a jamais rien apporté. Peut-être qu'être optimiste m'apportera du bonheur ?

- J'en suis convaincu, lui murmura-t-il en posant ses lèvres sur son front. Si cela réussit, Rachelle nous a promis de nous trouver des places dans un avion. Nous pourrons quitter ce pays.

- Tous ?

- Oui.

Mais, en lui-même, il savait qu'il mentait. Seuls les survivants pourraient venir...


Bill O'Neil se trouvait dans son appartement de Manhattan, un verre de vodka à la main et un bol en porcelaine empli de caviar devant lui, posé sur la table basse du salon. Il savourait d'avance sa victoire sur son ennemi. Tout lui annonçait qu'il vaincrait ce Jigoro Yoshikawa : ses hommes étaient beaucoup plus nombreux, ils encerclaient les alliés du Chinois, ils possédaient des armes à feu et non de vulgaires bâtons. Ce soir, dès minuit, il l'exterminerait.


Ho Sang attendait, paisible, allongée dans l'herbe du jardin, savourant ce qui pouvait être ses dernières minutes sur Terre. Née le douze avril 1986, sous le signe du tigre compagnon dragon, peut-être mourrait-elle à dix-huit ans et un peu plus d'un mois. Mais, mourir ne lui faisait pas peur. Elle craignait plutôt la mort de Takeshi, de son père, de Vulcain, de Rê... celle de Shinji également.

Elle regarda les étoiles, les tranquilles étoiles qui se fichaient bien de leur prochaine mort, des crimes de Bill O'Neil, de la mort de sa mère... Et, pourtant, elle aimait tellement les étoiles, en particulier les étoiles filantes, qu'elle regardait les nuits d'été avec le Maître et ses frères.

Un bruit vint à ses oreilles et la fit sursauter. Elle roula sur le ventre et regarda derrière elle. C'était Shinji. Le reconnaissant, la jeune fille se recoucha sur le dos. Le Chinois s'assit en tailleur près d'elle et s'amusa quelques secondes à enlever les pétales des pâquerettes qui se trouvaient là. Puis, il posa les yeux sur Ho Sang, qui l'observait, et murmura :

- C'est amusant que l'on ne commence à se connaître qu'au moment où l'on va disparaitre...

- Peut-être vivrons-nous encore ?

- Je voulais que tu saches une chose, si je devais mourir, essaye de conserver sur moi ceci dans un coin de ta mémoire. Je sais que j'ai toujours été jaloux de toi, j'ai souvent rêvé de te détruire et, dans mes cauchemars, tu revenais et m'assassinais pour prendre ma place. Mais, depuis ces derniers jours et ce que nous avons vécu, je me suis rendu compte que tu n'étais pas si méchante, agressive et sans cœur que je ne le craignais, que tu avais un passé tourmenté et que, je dois l'avouer, tu es en réalité intelligente, sensible, bien que sarcastique, et très belle.

- Xie xie, souffla la jeune fille, qui s'était redressée. Moi aussi je n'ai pas été facile à vivre, avec mes remarques blessantes, mes rictus et ma fierté. Je regrette réellement tout ce que je t'ai fait endurer, Shinji.

- Ho Sang, commença le Chinois, en prenant entre ses mains le visage fin de la jeune fille, je t'aime...

- Alors, embrasse-moi...

Ils fermèrent les yeux et s'embrassèrent longuement dans cette chaude nuit de printemps.


Jigoro regarda sa montre et demanda à David de chercher Ho Sang et Shinji, car d'ici cinq minutes, ils devaient tous partir. Le jeune homme s'exécuta, mais il le vit revenir sans même être sorti.

- Alors, pourquoi n'y vas-tu pas ?

- Vous me croirez si vous le voulez, Maître, mais ils sont amoureux...

- La flèche d'Eros a percé leur cœur, fit Takeshi, en souriant à son ancien élève.

- Tu l'avais deviné ?, demanda l'intéressé.

Le vieil homme se contenta de sourire pour répondre et sortit du dojo avec Rachelle, qui portait sa caméra, Damien, ses élèves, David et Jigoro. Il appela les deux jeunes, qui se levèrent et arrivèrent, prirent chacun un sabre japonais, qu'ils passèrent à leur ceinture, et avancèrent ensemble, dominant le groupe en marchant devant, main dans la main, symbole de l'alliance entre le groupe de Jigoro et celui de Takeshi.


Horoku vit arriver d'un bon œil Jigoro et leurs alliés, même s'il fut surpris de voir les précéder Shinji et Ho Sang, qui marchaient de front, main dans la main, et le sourire aux lèvres. Il était vingt-trois heures, et la nuit était totalement tombée, malgré la présence des lumières de l'immense ville, qui altérait la beauté de ce ciel sans pareil.

Le Japonais expliqua aux deux Maîtres que les hommes du juge s'étaient installés autour d'eux, dans trois ou quatre bâtiments, de sorte qu'ils pouvaient les encercler. Takeshi décida qu'il valait mieux rester grouper plutôt que de séparer. Déjà, il leur manquait Rê et Damien, qui se trouvaient avec Rachelle et sa caméra, derrière leurs ennemis. Ainsi, chacun s'installa, prépara ses affaires (bâton de bambou ou sabre) et se vêtit de façon à être le moins gêné par ses habits pour se battre. Pendant ce temps, les trois élèves de Jigoro, qui s'étaient préparés avant, et Horoku s'étaient postés à l'extérieur du bâtiment et attendaient l'attaque imminente de leurs ennemis.

Il restait sept minutes avant minuit. Après cela, ils auraient gagné une journée, ils mourraient le mercredi douze mai 2004, année du singe dans le calendrier chinois. Tous étaient prêts et sortirent du bâtiment. Ho Sang s'avança vers son père et le Maître, et leur dit :

- Quoiqu'il puisse advenir, tu auras été le meilleur père, et vous le meilleur Maître que l'on aurait pu m'offrir.

- Et toi, la meilleure fille, répondit Jigoro en serrant son enfant dans ses bras. La meilleure...

- Là-bas ! Regardez !, cria Shinji.

Tous regardèrent devant eux. Il était minuit. Ils aperçurent au loin le son d'une cloche et virent le juge O'Neil s'approcher.


Rachelle, Damien et Rê avaient dû se cacher lorsque le juge était passé. Le jeune noir avait décidé de passer par les toits, qui offraient une meilleure vue. Après avoir aidé Rachelle à monter, ils suivirent d'en haut la procession constituée de leur ennemi et d'une vingtaine d'homme, puis s'arrêtèrent sur un bâtiment pour installer le matériel.

LóngOù les histoires vivent. Découvrez maintenant