and maybe i'll die tonight

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Je me laisse tomber lourdement sur le sol, le carrelage froid contre mes cuisses nues. Les larmes coulent le long de mes joues et certaines viennent s'échouer dans mon cou. J'essaye de me calmer, de respirer calmement. Mais je n'y arrive pas. Je suis prise de haut-le-cœur en me remémorant leurs paroles. Leurs insultes. Alors je me lève brusquement et ouvre chaque tiroir avec frénésie. Je croise mon reflet dans le miroir ; j'ai les cheveux emmêlés et mon mascara à coulé, laissant de longues traînées noires sur mes joues. J'ai l'air d'une folle. C'est ce qu'ils ont dit d'ailleurs, que j'étais folle. A force de l'entendre je vais finir par le croire.

Je trouve enfin ce que je cherchais, les lames de rasoir de mon père. J'en sors une et la tient entre mes doigts, juste au dessus de mon poignet. J'observe mes veines qui ressortent légèrement. J'ai trouvé bizarre qu'elles soient bleues sachant que le sang circule à l'intérieur.

J'approche la lame de mon poignet, de façon à ce qu'elle le touche à peine. Il me suffit d'appuyer et mes veines s'ouvriront pour laisser couler le sang. J'ai fermé la porte à clé et ma mère ne rentrera que dans une demi-heure. D'ici là, je serais morte...

Mais au dernier moment, je laisse tomber la lame dans un bruit sourd et m'écroule, en larmes. Parce que je suis trop lâche. Ou peut-être suis-je simplement humaine ? J'ai entendu dire que l'instinct de survie nous pousse à vouloir vivre coûte que coûte. Pourtant, je ne veux pas vivre coûte que coûte. Je veux simplement que la douleur disparaisse. Alors je prends mon courage à deux mains et attrape la lame. Je m'entaille le poignet à l'horizontale, pour être sûre de ne pas perdre trop de sang. Et alors pendant quelques secondes, juste quelques secondes, j'ai l'impression que la douleur a disparu. Mais elle est toujours là. Cette douleur qui ne partira jamais.

Une goutte d'eau salée atterri au coin de mes lèvres. Je regarde mes poignets et voit un mince filet de sang s'écouler sur le carrelage. Je commence à ressentir de la douleur. Mais pas cette douleur, une autre. Qui ne fait pas aussi mal. Malgré tout, je bande mes poignets et nettoie le sol marbré de tâches rouges. Ce n'est pas ce qu'elle aurait voulu. Elle m'aurait dit de vivre ma vie. Elle m'aurait dit que ce n'était pas de ma faute. Mais de toute manière, je ne l'aurai pas crue. Car c'est de ma faute. Et uniquement de la mienne. Et je ne supporte plus de vivre avec cette culpabilité.

Je me relève, ouvre la fenêtre et passe ma tête à l'extérieur. Je me penche le plus possible et regarde les voitures. Si je sautais, je ne souffrirai sûrement pas. Si je sautais, ma mort serait instantanée. Si je sautais, la douleur partirait. Si je sautais, je la rejoindrai. Mais ça ne reste que des si car j'en suis incapable.

Quand j'entends la porte d'entrée claquer, je referme la fenêtre, nettoie la lame de rasoir et la remet dans le tiroir. Je me recoiffe, essuie les traces de mascara et tire sur les manches de mon gilet pour cacher les bandages sur mes poignets. Puis je respire un bon coup et ouvre la porte de la salle-de-bain.

Ma mère m'embrasse et me demande comment s'est passée ma journée. Et je fais semblant, comme d'habitude. C'est ce que nous faisons tous. Car ma sœur est morte. Par ma faute.

Recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant