Bleuet

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Le premier jour, elle était venue s'asseoir près de moi. Je ne sais ce qu'elle avait vu, dans mes yeux chocolat et mon attitude, ou les traits de mon visage, qu'elle avait fini par apprendre par cœur, comme elle me le disait, mais elle était venue, simplement. Je lisais, profitant d'une heure libre entre deux cours, à l'ombre, et je l'avais remarquée, adolescente de ma classe dont je ne connaissais que le prénom : Lily. Elle s'était assise, un peu plus loin, sur le banc, sans un mot, avait posé son cahier devant elle, et s'était mise à écrire quelque chose. Je dis son cahier, mais en réalité, elle en avait plusieurs : celui qu'elle décorait avec le plus grand soin, le plus joli, et celui qui lui servait tous les jours, comme un brouillon, un pense-bête, sans doute, et dans lequel elle griffonnait ce jour-là. J'avais été intrigué par cette fille, qui, alors qu'il y avait de la place ailleurs et toute notre classe, exclusivement féminine, autour de nous, avait choisi de s'asseoir près de moi, garçon silencieux se cachant derrière ses cheveux bruns, et de s'enfermer dans un monde qui n'appartenait qu'à elle. J'avais été intrigué par son geste si naturel de replacer une mèche blonde derrière son oreille, près de sa couronne de fleurs, sans ciller, ses yeux bleus fixés sur la page. Elle semblait si loin, si loin de tout le monde... Comme une princesse. Une princesse de fleurs, d'étoiles et de silence. Dans ses cheveux jouaient des fleurs de bleuet, et, je l'apprendrais plus tard, le message qu'elles révélaient dans cette langue sans mots lui convenait bien : la délicatesse. Les minutes avaient passé, lentement, régulièrement, et j'avais repris ma lecture, acceptant la présence de cette étrange jeune fille qui, finalement, s'était approchée un peu de moi et, avec un sourire timide sur ses lèvres roses, m'avait demandé, regard glacé si doux, en écrivant et me faisant signe qu'elle ne pouvait parler :

Je peux voir ce que tu lis ?

C'est comme ça que tout a commencé... On avait discuté, sans jugements, et j'avais pu découvrir son rire, et son intelligence, et je la trouvais intéressante. Ce n'était pas la première fois, mais au moins, on était hors des cours, et je la voyais différemment. Alors, quand il a été temps de s'installer en salle de chimie, je n'ai pas hésité : elle s'est assise à une table du deuxième rang, loin de ceux qui préféraient les places du fond, et je me suis mis à côté d'elle. Lily a sorti ses affaires, placé son livre entre nous, et n'a rien écrit. Elle a seulement souri. Un sourire d'enfant, un sourire de petit soleil aux yeux de ciel, un sourire muet, qui valait davantage que tous les discours. Elle n'avait rien dit, mais j'avais compris.

Une Couronne de FleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant