Prologue

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«Candice! Il faut le dire si mon cours ne t'intéresse pas.

Je sursaute, interrompue par mon professeur de mathématiques, un homme psychorigide, grisonnant, plus où moins 45 ans, au beau milieu d'un moment artistique consistant à écrire des citations d'amour et à dessiner des coeurs sur mon cahier.

- Excusez-moi, je... J'étais dans mes pensées...

Il s'approche afin de pouvoir admirer mon œuvre, que j'essaie en vain de cacher.

- Ce n'est pas ta vie sentimentale, apparemment bien remplie, qui va te faire réussir le brevet, et vu tes notes en ce qui concerne ma matière, à ta place, je me concentrerais un peu.»

Je lui fais un petit sourire d'excuses, incapable de trouver une réponse valable. Vivement la fin de l'année! Décidément, il ne mapprécie vraiment pas... Ce qui est réciproque, d'ailleurs.
Il a l'air prêt à me lancer une nouvelle réplique cinglante quand la sonnerie annonçant la récréation retentit enfin. Sauvée par le gong!

Je range mes affaires en vitesse, j'attrape mon sac et sors de la salle en courant, impatiente d'aller retrouver James.

J'adore cette sensation magique qui me donne des papillons dans le ventre et fait accélérer les battements de mon cœur quand je sais que je vais le voir.
Je me demande encore comment c'est possible de ressentir autant de choses sans que ma poitrine n'explose. Ça tient du miracle à mon avis.
Je l'aime tellement que je ne me pose aucune question. C'est l'homme de ma vie.
Le seul garçon qui m'ait attirée.
Pourtant loin d'être un top modèle, il est brun, plutôt petit, mais vu que je suis minuscule, même lui paraît grand à côté de moi. Il fait du basket tous les mercredis après-midi, ce qui le rend plutôt musclé.
Il porte un appareil dentaire, comme beaucoup d'autres dans notre collège, alors ça ne me choque pas.
Mais ce sont surtout ses yeux, d'un bleu sombre qui m'ont attiré. Et son sourire, même s'il le montre rarement. En tout cas avec moi.

Il est relativement populaire, plutôt bien entouré alors que moi, j'ai quelques amis, mais nous sommes plutôt ceux qu'on évite, habillés par nos parents (à la mode d'il y a 20 ans), et des mentalités un peu décalées, catalogués comme le clan des nazes, simplement parce que nos opinions divergent des leurs...

Je ne m'intéresse pas à la mode, ni à l'actualité people.
J'ai les cheveux bouclés, mais pas comme ceux des stars.
Non, les miens sont indisciplinés, et je ne cherche pas vraiment à en tirer quelque chose, pour être honnête.

Je porte des lunettes horribles, parce que, quand on est comme moi, c'est à dire myope comme une taupe, le jour où on va choisir ses lunettes est un grand moment : il y a des miroirs chez l'optitien, mais il y a des tablettes devant qui empêchent de s'en approcher. Comme je n'y vois rien à plus de 30 cm, ma mère a dû choisir pour moi... Et voilà le résultat!

Pour arranger le tout, je ne me maquille pas, puisque mes parents m'interdisent d'aller au collège «comme une dépravée», et les mecs ne m'intéressent pas, à part James.
Autant dire que les élèves n'ont généralement pas beaucoup envie de venir me parler.

Moi, j'aime les livres, depuis les romans d'amour aux thrillers, en passant par Freud ou encore Platon, ce qui est plutôt rare, pour une fille de 15 ans... Du coup, je n'arrive à tenir aucune conversation avec la plupart des jeunes de mon âge.

Avec james, on s'est tourné autour pendant deux ans.
Discrètement.
Ça dure depuis un peu plus d'un an maintenant, même si j'aimerais qu'on se voit plus et qu'on puisse discuter, mais personne n'est au courant.
Quand j'ai voulu le dire à mes amis, il me l'a interdit. Il pense que les gens sont jaloux du bonheur des autres et qu'ils ne peuvent pas s'empêcher se tout détruire.
Alors nous gardons le secret.
De toute façon, il ne reste plus qu'un mois et demi de cours. Ensuite fini le collège, fini le regard des autres, puisqu'il ira dans un autre lycée que moi.

Depuis quelques minutes déjà, je fouille la cour de récréation, à sa recherche.

Quand je l'aperçois enfin, la mâchoire m'en tombe.
J'ai l'impression qu'on vient d'arracher mon cœur de ma poitrine pour pouvoir le découper en petits morceaux et le piétiner afin que jamais je ne puisse le réparer.

Je ferme les yeux le plus fort possible, puis les rouvre, espérant avoir mal vu, mais le cauchemar est bien réel.
Il est dans les bras d'une autre fille.
Pas grande non plus, mais bien plus jolie que moi. Blonde, mince, mais avec de jolies formes où il faut, alors que je suis brune et plutôt ronde.
De là où je me trouve, je ne peux pas voir ses yeux, mais je suis sûre qu'ils doivent être bleus, magnifiques. À l'opposé des miens, d'un marron on ne peut plus classique.

Je m'enfuis en courant avant qu'il ne me remarque et que je sois encore plus humiliée.
Toute la journée, je tente de nier l'évidence. J'ai beau l'avoir constaté par moi même, je ne peux m'empêcher d'espérer qu'il y ait une explication à ça.
Il ne peut pas en être autrement.

Seulement, parfois, vous pouvez toujours essayer de fuir la réalité, elle vous rattrape et vous assène un second coup de poignard, comme si le premier n'avait pas suffi à vous mettre à terre.

James m'a évité toute la journée, et quand je l'ai eu au téléphone le soir, il a été terriblement cruel.

«Non mais, Candice... Y'a jamais eu de nous. Ne sois pas naïve, j'ai quinze ans, je voulais juste baiser.
D'ailleurs j'ai failli abandonner tellement ça a prit du temps.
Mais bon, maintenant, j'ai trouvé mieux. Et en plus, dans quelques mois on ne se reverra sûrement jamais, alors c'est pas la peine d'en faire un drame.

- Très bien, j'ai compris. Je te souhaite d'être heureux, James. Et surtout, je te souhaite de trouver quelqu'un qui t'aimera autant que moi.»

J'ai raccroché avant de me mettre à pleurer et à le supplier de ne pas me quitter, cherchant à préserver le peu d'amour propre qu'il me restait encore.
Ensuite, j'ai passé des semaines à n'être plus que l'ombre de moi-même, incapable de sourire, ou même verser une larme.
J'avais perdu l'appétit, et je vomissais quasiment tout ce que j'avalais
C'était comme si en le perdant, je m'étais perdue aussi, ce qui, à bien y réfléchir, était un peu le cas, puisque je lui avais tout donné, et qu'il s'était enfui sans rien me laisser.
Ou presque rien...

Envers et contre toutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant