Chapitre 15: Balade des Champs-Fleuris

29 5 5
                                    


La nouvelle compagne de Rose lui faisait parfois penser à Pididom ; elle parlait beaucoup, sans trop écouter ce que elle avait à dire. Ses histoires étaient néanmoins plus intéressantes que celles du lutin ; mais, souvent, elle racontait des récits de prétendants, de qui était le plus beau, qui était la plus belle, qui avait les plus beaux cheveux, et cela l'agaçait profondément.

- ... avec de l'huile de rose, on obtient un léger reflet argent si on l'étale sur quelques mèches, regarde, il m'en reste un peu.  Oona m'a dit qu'il trouvait ça très beau, mais il dit ça à toutes les fées, ce coureur de tulipes. Dommage, il était plutôt mignon. Père avait pensé me marier à lui, mais hors de question de me lier à quelqu'un qui a encore de l'acné à son age, et puis...

Et puis Rose cessa d'écouter. Elle marchait dans l'herbe, Maab toujours assise sur son épaule ; et elle s'imaginait être une petite fée partant s'endormir sur les pétales d'un narcisse; se prélasser à l'ombre des tournesols, s'enivrer du doux parfums du lilas ; jongler avec les étamines ; et rêver, le soir, parmi les arnicas, les bleuets et les ciboulettes sauvages.

- J'aurais aimé être une fée... coupa Rose au milieu d'un récit de Maab.

- Pardon ?

- J'aimerais beaucoup être une fée, comme toi, pouvoir voler, voir les choses de plus près...

Maab ricana doucement et reprit :

- Donc tu aimerais être une fée, tu es sûre ? Tu aurais sans doute de plus beaux cheveux si c'était le cas.

- Oui, le monde doit être tellement plus beau quand on est minuscule, répondit Rose en ignorant la dernière remarque.

- Minuscule ? Et bien, merci! Rétorqua la fée. Puis ce n'est pas moi qui suis "minuscule", c'est toi qui es géante ! D'ailleurs je ne t'envie pas, ça doit être pénible ; et regarde sous tes pieds, tu viens d'écraser un coquelicot ; voilà ce que c'est d'être une géante!

- Oh !

Rose se rendit compte que, en effet, et ce depuis tout à l'heure, elle ne cessait d'écraser les fleurs sur son passage. Quelle tare !

- Excuse moi, déclara-t-elle pleine de compassion.

- Ce n'est rien. Mais fait plus attention.

- Je parlais au coquelicot.

-Humf...

Vexée, la petite fée se tût. 

Dorénavant consciente de son immense stature comparée aux pauvres fleurs, elle avançait tout doucement, sur la pointe des pieds, afin de ne pas les abîmer. Ce n'était pas un exercice facile.

Elle tentait d'imaginer la douleur des jacinthes courbant l'échine sous le poids de ses bottines. 

Au loin, toujours le champs de fleurs ; derrière on ne pouvait même plus distinguer les arbres de la forêt. Ici s'étendait un champs infini aux teintes venues du haut des Cieux, parfait équilibre d'une nature sachant composer avec les plus belles couleurs pour en peindre le plus magnifique des tableaux ; et c'est avec délicatesse que Rose s'y lançait, sans trop penser au chemin qui lui restait à parcourir, heureuse de pouvoir admirer encore et encore ce spectacle que lui offrait une Nature des plus simple.

De son côté, Maab était plutôt habituée à la vie en forêt, et ne s'émerveillait plus autant, faute d'un âge très avancé - quoique sa peau, son corps, son visage étaient toujours semblables à ceux d'une jeune fille à l'apogée de sa beauté. En vérité, les fées ne meurent jamais, et si un accident survient, elles naissent de nouveau, au creux d'une fleur qui leur confiera physique et caractère. Rien ne se perd chez les fées, tout se transforme, ainsi se déroulent leurs vies.

D'un geste secret, tandis que Rose avait le regard ailleurs, Maab épousseta délicatement l'une de ses ailes afin d'en récolter une fine poudre scintillante qu'elle déposa délicatement sur les cheveux de Rose. 

Alors qu'elle était occupée à regarder la pointe de ses bottines, Rose remarqua que le champs autour d'elle prenait de plus grandes allures, tout devenait graduellement plus grand, plus majestueux ; elle avait l'impression de s'enfoncer dans le sol, bien que ses pieds restaient collés à la terre ferme. Les boutons d'or devinrent alors d'immenses édifices, les brins d'herbe des cils d'un géant aux yeux verts. Elle rapetissait, jusqu'à atteindre la même taille que Maab.

- Oh mais que m'arrive-il ? Questionna-telle.

La seule réponse qu'elle obtint fut un rire narquois. En voyant la petite fée, elle se rendit compte qu'elle n'était non plus une petite fée mais une jeune femme de la même taille qu'elle ; et cela ne la rendait que plus belle. Elle distinguait alors parfaitement la finesse de son visage pailleté, les contours de ses vêtements de soie brune et verte, les coutures faites de brindilles tressées, ses cheveux de geai parfaitement lisses.

- Te revoilà petite-petite fille à présent, plus question d'abîmer un brin d'herbe. Tu voulais être minuscule – elle insista sur ce dernier mot – ton vœu est exaucé !

Tout était différent. Elle voyageait au centre d'une citadelle de fleurs tenue par quelques abeilles à l'ouvrage dans les calices de tulipes multicolores.

-Ah mais j'ai oublié une chose... lança Maab.

Elle reprit de nouveau un peu de cette poudre magique et en saupoudra le dos de Rose.

- Voilà, il te manquait encore des ailes, c'est mieux ainsi, hors de question de faire le chemin sans voler ; pas envie d'écorner mes jolis pieds.

- Oh mais... je peux voler ?

- Essaye !

Rose tourna la tête autant qu'elle pût et aperçu dans son dos le coin d'une aile transparente aux reflets presque imperceptibles dont les couleurs passaient du bleu au magenta, du magenta au doré, et ainsi de suite. Cela lui faisait penser aux reflets du soleil sur le Lac Gelé au matin.

Elle secoua tout naturellement ses petites ailes et ses pieds décollèrent du sol. Elle pouvait voguer parmi les fleurs, monter, descendre, virevolter, tournoyer.

- C'est merveilleux !

- Vas y doucement, il faut que tu t'habitues.

Mais Rose ne l'écoutait plus et volait à vive allure, tournait autour des fleurs à une vitesse folle, riant à tout cœur, chantonnant de joyeuses comptines et allait visiter les calices des tulipes et caresser la soie des marguerites. Elle tenta d'approcher une abeille pour discuter, mais celle-ci parût gêner par sa présence – elle était en plein labeur – et s'en alla continuer son travail ailleurs. 

Elle volait ; quelle joie.

Puis ce fut au tour des senteurs, les parfums d'un millier de fleurs déferlèrent comme une vague de jasmin à ses narines. Des parfums de bonbons, d'herbe fraîche, de joies nouvelles, des éclats de bonheurs et de soupçons de rêves lointains les romarins déversaient dans l'atmosphère. La petite fille sentit une soif de nouvelles odeurs lui monter à la tête et elle passait ainsi de fleur en fleur pour y découvrir tous ces nouveaux trésors.

- Doucement je te dis ! Criait Maab.

Ce monde nouveau se mit alors à tournoyer autours d'elle. Tous ces parfums, toutes ces couleurs. Tout cela devint flou à ses sens. Ses ailes semblaient se débattre d'elles même et rien ne pouvait plus les contrôler. Dans la volée, Rose cogna violemment la tige d'un liseron; et, sonnée, tomba au sol sur un tas de terre. Tout était flou. Sa vue était floue. Ce monde multicolore s'effaçait peu à peu dans un océan d'encre noire. Elle perdit connaissance. Plus rien.

Vous avez atteint le dernier des chapitres publiés.

⏰ Dernière mise à jour : Jul 16, 2017 ⏰

Ajoutez cette histoire à votre Bibliothèque pour être informé des nouveaux chapitres !

La Rose des NeigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant