Chapitre 4: Chapodru

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C'était un chant doux et mélodieux, quoiqu'aux tonalités un peu taquines, qui perça l'ombre de le clairière:


Rose, Rose, petite rose,

Si loin de son village morose,

Rose, Rose, petite rose,

Elle cherche quelque chose.

- Qui chante ainsi ? Demanda Rose qui ne voyait personne. Le son semblait venir du haut d'une petite souche morte non loin d'elle.

La voix reprit :

Rose, Rose, petite rose,

Si blanche et si morose,

Rose, Rose, petite rose,

Que l'approcher je n'ose.

Rose, Rose, petite rose,

Qui n'a plus rien de rose,

Rose, Rose, sombre rose,

Pauvre, petite chose.

- Ce n'est pas gentil de se moquer ainsi de moi alors que je suis perdue et obligée de dormir dans le froid.

- Oh oh oh ! Fit-un rire aigu.

- Montrez vous donc et aidez moi plutôt que de rire, ce n'est pas drôle.

Rose commença à sangloter. Soudain, une silhouette apparût sur le haut de la souche, à l'endroit même où elle avait entendu le chant.

- Ne t'inquiète plus petite Rose.

C'était un bonhomme bien étrange ! Il n'avait pas grand chose d'un bonhomme à proprement parler d'ailleurs. C'était un lutin de petite taille, portant sur le haut de sa tête un curieux chapeau tressé de feuilles mortes, dans un mélange de jaune, d'orange et de rouge. Son chapeau était si grand que l'on ne voyait quasiment pas son visage en dessous, mais seulement deux petits ronds jaunes comme des topazes qui devaient être des yeux.

- Vous êtes rigolo ! Lança-t-elle. Sa petite frimousse la faisait bien rire.

- En tout cas on dirait que je tombe à pic. Aïe !Je me suis assis sur un stalactite ! Eh bien voilà que c'est toi qui te moque maintenant !

- Je ne me moque pas, c'est juste que... Votre chapeau, il vous tombe sur les yeux !

Et elle se mit à rire de plus belle !

- Je préfère que mon chapeau me tombe sur le yeux plutôt que ma robe me tombe sur les genoux !

Rose l'inspecta un instant du regard:

- Mais vous n'avez pas de genoux ! (ce qui était vrai, on aurait dit qu'il avait pour jambes deux fragiles brindilles,et pas l'ombre d'un genou, ni gauche, ni à droite.)

- Mince alors ! Je n'avais jamais remarqué !

Alors Rose fut prise d'éclats de rire. Ce petit lutin des bois ; en voilà un être singulier ! A entendre le rire de Rose, lui même se mit à rire. On entendait plus que cela dans toute la forêt, si bien que les bois s'éveillaient de leur torpeur. Quel étrange tapage nocturne pour un endroit d'habitude si calme. Se dit-elle. « Ce n'est rien, allez vous coucher. » Demanda Maman Lapin à ses petits qui, curieux, avaient sorti le bout de leur nez hors du terrier.

Il rirent comme cela pendant de longues minutes. Et plus l'un rigolait, plus l'autre se mettait à rire de plus belle. Quelle cacophonie !

- Veux-tu que je te prépare une tasse de thé à la vanille petit lutin ? Il me reste aussi un peu de sucre glace dans mon sac.

- Volontiers chère amie ! Quoi de mieux qu'un thé et qu'une bonne rigolade pour faire connaissance ?

- Mais au fait, comment connais-tu mon prénom ? Je te l'ai entendu chanter tout à l'heure.

- Rose ? Je l'ai deviné quand je t'ai vue. Tu as une tête à t'appeler Rose !

- Oh ! ...

Rose ne savait pas si elle devait prendre cela pour un compliment ou non.

- Et toi tu as une tête à t'appeler Chapodru.

- Oh oh oh ! Ce n'est pas exactement cela, mais va pour Chapodru !

Ainsi ils discutèrent, au milieu des bois, une tasse de thé bien chaude pour réchauffer leurs petits cœurs, ainsi qu'un peu de sucre glace pour adoucir leurs humeurs. Pour la première fois depuis qu'elle était partie, Rose oublia un instant son doux village, alors qu'elle discutait avec un nouvel ami. Chapodru... Quel nom !

- Dis moi petite Rose, que viens tu fais au beau milieu des Bois Perdus ?

- A vrai dire je cherche quelqu'un... un ami à moi, Timothée. Peut-être l'aurais-tu croisé ?

- Timothée ? Les humains portent des prénoms bien étranges...

- Ce n'est pas pire que Chapodru !

- Mais cela n'est pas mon vrai nom ! Répondit-il en rigolant.

- Il m'a dit de le rejoindre par delà l'Arc-en-Ciel,mais je n'ai pas grande idée de comment y aller. Si ce n'est en allant au Nord.

- L'Arc-en-Ciel ? Demanda-t-il surpris.

- Tu sais comment y aller ?

- Jamais entendu parler. Mais si tu veux aller au Nord, il va falloir faire très attention à ne pas te perdre. Ce n'est pas pour rien que nous appelons cet endroit le Bois Perdu, car lui même est perdu depuis bien longtemps et ne sait plus pourquoi il est là. Ici la vie suit son cours sans se poser de question, et les desseins d'antan de la forêt sont oubliés depuis bien longtemps...

- Les dessins d'antan ? Étaient-ils jolis ? (Rose aimait beaucoup dessiner toute sorte de chose dans la neige avec un bâton).

Cela fit rire le lutin.

- Desseins, pas "dessins". Plus personne ne s'en rappelle aujourd'hui.

En disant ces mots le lutin afficha une mine triste. Rose se demanda si elle n'avait pas vu quelques larmes d'or perler au coin de ses yeux. On pouvait y percevoir la mémoire d'anciens souvenirs à jamais perdus, et une nostalgie venue du fond des âges qui perdurerai toujours.

- Et toi, tu pourrais me conduire hors de la forêt ? Il avait l'air soudainement très vieux. Bien plus qu'elle n'aurait pu l'imaginer de prime abord.

- J'aimerais pouvoir t'accompagner petite Rose, mais il m'est impossible de quitter cet endroit, je fais parti de cette clairière, j'y suis lié éternellement... Mais hauts les cœurs !Je vais te trouver un compagnon pour te guider sur ton chemin !

Chapodru cligna alors de l'oeil, et une petite luciole toute jaune et toute brillante parût se détacher de ses petits yeux, comme s'ils étaient eux mêmes faits d'un amas lucioles collées ensembles.

- Voilà ton guide, elle te conduira hors de la forêt.Peut-être nous reverrons-nous un jour pour manger de nouveau ces petits gâteaux qui étaient si bons ! Sois prudente sur ton chemin douce enfant. Et surtout ne perds pas la luciole des yeux.

Tous les deux s'étreignirent comme de très vieux amis ; c'était comme s'ils s'étaient toujours connus. Quitter Chapodru serait une épreuve difficile, d'autant que Rose devrait de nouveau faire face à la solitude et l'obscurité. L'étreinte fut douce comme une barbe-à-papa, chaleureuse comme un feu de bois un soir d'hiver. Quelques larmes coulèrent à cet instant, mais pas une d'entre elle ne contenait une once de tristesse.

-Merci Chapodru.

La Rose des NeigesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant