Chapitre 5 - Comme avant

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Matteo


Après manger, pendant la pub à la télé, ma mère me demanda de descendre les poubelles. En bon fils aimant que je suis, j'ai râlé et je suis descendu. À pieds, forcément, parce que l'ascenseur est encore en panne.

Au niveau du palier entre mon étage et celui de Raph, la fenêtre était grande ouverte. Un courant d'air frais s'engouffrait dans l'escalier. Sur une des dernières marches, assise en travers, emmitouflée dans un sweat à capuche bleu, le dos appuyé au mur et les genoux repliés, Lia lisait. Elle devait être vraiment captivée par l'histoire, parce qu'elle ne m'entendit pas arriver, avec ma poubelle pleine sur l'épaule. C'est quand j'ai posé le sac dans un grand bruit qu'elle a sursauté. Elle leva des grands yeux perdus vers moi.

- Salut, dit-elle avec un sourire.
- Salut, je lui réponds. Il fait pas trop chaud pour mettre un pull ?
- Il est tout doux, et puis j'avais un peu froid.
- Un pull tout doux, c'est sûr qu'il n'y a rien de mieux.

Un silence s'installa. Ce n'était pas un de ces silences gênants où personne n'ose parler, non, c'était juste un moment où on profite d'être enfin réunis après toutes ces années, même sans parler.

Alors, je me suis approché de la fenêtre ouverte, et je me suis accoudé au bord. Lia s'est levé et est venue se mettre près de moi, son coude contre le mien. Tous les deux, le regard plongé dans le paysage qui s'étalait sous nos yeux, on était perdus dans nos pensées. Enfin, elle était égarée dans les limbes de son esprit alors que moi, je me demandais à quoi elle pensait, par cette belle nuit dégagée, à la fois si près et si loin de moi.

- On ne voit pas les étoiles, remarque-t-elle comme si elle lisait en moi.
- C'est parce qu'on est en ville, il y a trop de pollution lumineuse.

Elle pouffa.

- Je préfère la campagne. On peut lire dans le ciel, là-bas, continua-t-elle.
- Tu as toujours aimé ça, les étoiles et l'astronomie. Depuis qu'on est petits, tu m'en parles. Tu me racontes les histoires des constellations, tu m'expliques le système solaire... Tu as cette étincelle dans les yeux, quand tu parles du ciel ou de l'espace. Ça, c'est en toi, ça n'a pas changé et ça ne changera jamais.

Alors, elle tourna vers moi son regard sombre, et elle me sourit, avec les yeux brillants.

- Tu n'avais pas une poubelle à descendre ? me rappela-t-elle d'une petite voix.
- Ah si, j'avais oublié ! Tu seras là quand je reviendrai ?
- Peut-être, je ne sais pas.
- J'espère.
- J'espère aussi.

J'ai attrapé ma poubelle, et je suis descendu. Quand je suis remonté, elle n'était plus là, mais la fenêtre était encore grande ouverte. Je me suis arrêté un instant, j'ai regardé le ciel, comme avant, et j'ai repensé à nos vacances ensemble à la campagne, quand on avait six ou huit ans, et qu'on attendait que les étoiles se lèvent, allongés tous les trois, avec Raph et Lia, sur des couvertures dans l'herbe, les yeux rivés vers le ciel à parler de tout et de rien, de nos théories sur le monde et de nos projets d'adultes. On s'imaginait déjà comme nos mères, meilleurs amis pour la vie, habitant tous dans le même immeuble et élevant nos enfants ensemble.

Tous nos soirs d'été étaient peuplés de ces rêves. Mais c'était avant. Avant que la rivalité entre nos mères ne prenne trop de place dans leurs vies. Avant que ma meilleure amie ne déménage.

Au début, quand elle est partie, je passais mon temps à me remémorer tous ces moments qu'on avait passé ensemble. Du haut de mes douze ans, c'était le seul moyen que j'avais de me sentir encore un peu proche d'elle. J'avais si peur de ne jamais la revoir et de l'oublier !

Et puis ensuite... Après des mois entiers à courir pour regarder dans la boîte aux lettres avec l'espoir de plus en plus mince qu'elle m'ait écrit, j'ai commencé à la détester. Elle avait dit qu'elle m'écrirait, mais au bout d'un an, je n'avais toujours rien reçu. Deux ans après son départ, j'ai appris que Raph et elle pouvait continuer à se voir, alors que je n'avais pas la moindre nouvelle d'elle.

Oh, je leur en ai voulu longtemps, à tous les deux. Pendant trois mois, je n'ai pas adressé la parole à mon meilleur ami. C'est à ce moment là je suis devenu ami avec Maeva, Eléonore et Axel. J'étais toujours triste comme une pierre et en colère. Je passais tout le temps entre les cours assis dans le couloir. Et un jour, j'ai entendu quelques personnes qui se disputaient à voix basse.

- Mais t'es folle ! protestait une voix de garçon. Pourquoi tu veux lui parler ? Tu ne penses pas que s'il avait voulu des amis, il aurait été parler à quelqu'un ?

- Axel, arrête un peu, à la fin ! répondit une fille. Je veux juste comprendre pourquoi il est aussi triste. Il ne peut rien m'arriver, calmes-toi.

- Elie, reprit le garçon, dis-lui qu'elle fait quelque chose de stupide ! Elle t'écoutera, toi.

- Moi, je ne pense pas que ce soit une mauvaise idée d'aller lui parler, annonça la troisième voix. Au contraire, c'est vraiment gentil de la part de Maeva de vouloir y aller. Personne ne devrait être aussi seul et triste à notre âge. Regarde-le ! Est-ce que tu l'as déjà vu sourire au collège ? Moi non, et c'est dommage. Je suis sûre qu'il a un beau sourire. Ne sois pas jaloux parce qu'elle veut être ami avec lui, Axel, ça ne sert à rien. Tu resteras à jamais notre beau gosse préféré.

- Bon, fais comme tu veux, moi je t'attends en bas. Tu viens, Elie ?

Ainsi donc, Maeva est venue me parler. Elle m'a demandé pourquoi j'étais seul, je lui ai dit que je ne parlais plus à mes deux meilleurs amis. Elle n'a pas insisté, et je l'en ai secrètement remerciée. Elle m'a alors proposé de traîner avec eux, et j'ai immédiatement accepté. Au fond, je ne suis pas fait pour rester seul. Cette période où je ne parlais plus à Raph et où je n'avais pas d'amis a été la pire de ma vie, je crois.

Au bout d'un mois et demi, forcément, Raph est revenu me voir en m'appâtant avec le dernier jeu vidéo qu'il a eu en cadeau. Il m'a dit qu'il s'en voulait terriblement et qu'il avait peur de ma réaction en apprenant qu'il restait en contact avec Lia. Il m'a assuré qu'elle allait bien, qu'elle avait des amies dans son collège et qu'elle demandait tout le temps comment j'allais. Alors, j'ai arrêté de leur en vouloir. Comment le pourrais-je ? Ils sont mes deux meilleurs amis. Je les adorais, et je les adore toujours autant aujourd'hui.

Enfin, maintenant, c'est fini, tout va bien. Tout est redevenu comme avant.

Mais est-ce vraiment possible que tout soit exactement comme avant ?

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