I.O.U.

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Sherlock analysa le rythme des pas de l'homme qui venait de lui tourner le dos et qui s'éloignait à présent de lui: posés et lents. Sans même le suivre du regard, par le simple son de la semelle de ses chaussures frappant le sol, il sut qu'il descendait l'escalier, marche après marche, les bras le long du corps, le regard noir fixé droit devant lui. Il l'entendit ralentir légèrement sur la seule marche de l'escalier qui grinçait, puis reprendre sa descente de cette même lenteur détestable. Il pouvait parfaitement le voir dans sa tête: un air satisfait et une petite moue faussement désolée déformant ses trais tandis qu'il traversait, maintenant, tranquillement le couloir du rez-de-chaussée.

Alors que l'absence soudaine de bruit signifia qu'il s'était arrêté, Sherlock, depuis l'étage, la mâchoire contractée, vit cet homme, comme s'il était en face de lui, debout devant la porte de l'appartement 221A avec un sourire de prédateur étirant ses lèvres. Le détective serra les poings quand il eut une pensée pour Mme Hudson qui n'avait sans doute aucune idée que l'homme le plus dangereux de toute l'Angleterre se tenait derrière sa porte. Il ne fit pourtant aucun mouvement pour intervenir, prêtant sa plus grande attention aux moindres bruits de l'immeuble, au moindre grincement de porte qui suggérerait que ce criminel se soit invité chez leur logeuse. Il attendit, toujours planté au milieu de son salon, les muscles tendus sous la présence de la lourde menace qui sévissait un étage plus bas. Enfin, le bruit distinctif de quelques pas et puis ce fut la porte d'entrée qui s'ouvrit et se referma doucement sur l'homme en costume clair avant de laisser, à nouveau, le silence retomber dans toute la résidence.

Un silence mortel.

Jim Moriarty, criminel consultant, venait de quitter l'appartement du 221B Baker Street comme s'il n'y avait jamais mis un pied. Une ombre qui n'avait fait que s'étirer et se retirer sans se presser, sans laisser de trace. Une mise en garde déguisée en une simple visite de courtoisie.

Sherlock ne put, malgré lui, respirer librement que quand il eut la certitude que sa Némésis aie bien quittée l'immeuble. Il laissa échapper un soupire tremblant en fermant les yeux fortement, de légères rides se formant au coin de ses yeux. Il porta une main à son visage et se pinça l'arrête du nez, se concentrant pour tenter de renoncer à se rendre à l'évidence, à l'évidence que maintenant, il était temps. En effet, Moriarty venait, sans le savoir, de donner le feu vert. De donner le signal. Le célèbre détective, grâce ou à cause des paroles lourdes de sens de son rival, savait qu'il était maintenant urgent de faire quelque chose. D'assurer ses arrières. Le criminel consultant, avait été clair dans sa menace, clair dans ses intentions le concernant: il n'en avait plus pour longtemps.

Dès lors, Sherlock compris que la vie qu'il avait mené jusqu'à aujourd'hui, dans cet appartement, avec John, ne serait plus la même.

Les muscles toujours tendus, la tension dans la pièce toujours palpable, il eut subitement la tête qui tourna à cause du tourbillon d'émotions qui l'assaillit brusquement. Sous le choc, il tomba plus en arrière qu'il ne s'assis sur le fauteuil noir longeant le mur de la pièce. Haut dessus de lui, grossièrement peint en jaune sur la vieille tapisserie du mur, un visage criblé de balles et figé dans un sourire semblait le narguer.

Il joignit, dans une vieille habitude, ses deux mains, collées l'une à l'autre, sous son menton et déglutit difficilement. Il cligna plusieurs fois des yeux, les maudissant silencieusement d'être si humides et tenta de se reprendre, de refouler la peur qui montait dangereusement en lui. La peur de tout perdre. Du jour au lendemain.

Ses coudes appuyés sur ses genoux, légèrement penché vers l'avant, il fixa, un instant, d'un regard vide ce que Moriarty avait laissé sur la petite table basse qui séparait son fauteuil de celui de John, entre deux tasses de thé vides. Un présent, un funeste rappel de ce qui l'attendait.Une pomme empoisonnée dans laquelle était gravé:

One More Miracle (Recueil OS)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant