LA MARTINGALE DE LA CHANSON

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Chartin, au courant de ma venue, avait décidé d'aérer en grand les locaux chargés d'air enrichi au Davidoff. Cette démarche bienveillante à mon endroit avait généré à cette époque de l'année un gigantesque courant d'air froid qui semblait faire croire que Paris se trouvait sur la latitude du pôle Nord ou que la maison d'édition était sise dans un congélateur dernier cri. Bref, en entrant, j'avais le sentiment d'être un représentant éminent de la confrérie des glaçons alors que Chartin déambulait en chemisette, protégé qu'il était par la trentaine de kilos superflus sauf dans ce cas de figure précis.

Lui faisant part du nouveau mort exécuté par contrat pour le compte de Lisa, Chartin me regarda fixement sans prononcer un mot comme s'il venait d'être changé en statue de marbre, ce qui lui conférait une sorte de solennité inattendue.

Un peu surpris par cette réaction étonnante, je mis quelques secondes avant de reprendre le cours de mon récit.

Lui indiquant que ce tueur était le même que celui qui était en charge du contrat passé sur ma tête, Chartin décida de faire évoluer sa pose initiale vers celle du penseur de Rodin.

Lui faisant part pour finir des écoutes qui seront posées chez Lisa, il se redressa brutalement comme si toutes ces informations distillées progressivement avaient fait sens subitement.

Dans son élan, sa bedaine qui faisait de plus en plus preuve d'indépendance entreprit de procéder à un ménage succinct, en disposant dans la poubelle de bureau via un magnifique mouvement tournant les cendriers pleins disposés jusqu'ici en bordure de son bureau.

– Cela commence à faire beaucoup ! lâcha-t-il tout en récupérant les cendriers vides de la poubelle, je me demande s'il ne serait pas plus raisonnable de stopper là notre projet de livre sur cette affaire, continua-t-il en cherchant comme d'habitude sa boîte de cigares.

Il me semble qu'un lien douteux est en train de s'installer entre la vérité et la maison Borniol, dit-il.

Financièrement, le jeu en vaut la chandelle, mais comme la rentabilité financière semble inversement proportionnelle à la capacité de rester en vie, je m'interroge sur l'opportunité de continuer notre enquête journalistique, dit-il tout en allumant frénétiquement un énième Davidoff.

– Il faut bien reconnaître que cela fait sacrément peur, dis-je à Chartin tout en pensant intérieurement à ma première expérience d'homme braqué qui, il faut le reconnaître, était aussi traumatisante que les pensées d'un participant à un jeu de télé-réalité.

Puis, continuant la réflexion, j'en arrivai à la conclusion qu'ayant déjà testé ce sentiment de peur à plusieurs reprises depuis le début de cette histoire, je commençai progressivement à l'appréhender. Cela me renvoyait à mon passé de « voileux » et plus précisément aux angoisses rencontrées lors de navigation par gros temps et dans des conditions limites de sécurité.

À l'issue de cette réflexion intense, je déclarai à Chartin :

– Je pense que cela se tente !

– Vous souhaitez donc continuer ? demanda Chartin avec des yeux exorbités au milieu d'un visage en forme de tiroir-caisse.

– Oui, avec 3 ris dans la grand-voile, cela doit être possible !

Interloqué par ma réponse, Chartin me regarda fixement comme s'il allait à nouveau jouer les intermittents du spectacle dans la catégorie « mime de statue », aussi intervenais-je immédiatement pour déclarer :

– Effectivement, je souhaite continuer pour savoir d'abord si ma capacité de rester en vie est réelle et pour d'autre part toucher les émoluments que vous m'aviez indiqués précédemment.

A LA VITESSE DU CON, LE MUR EST EN OPTIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant