Le fonctionnaire, l'individu et « no problème »

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Sur la route du retour, le Commissaire Morfois m'appela pour m'indiquer que mon téléphone avait parlé en réponse aux tortures infligées par la police scientifique. Suite à ces révélations, Didier Civray aurait été tué sur un bateau dans un port de plaisance qu'il restait à définir et le corps ramené à Paris avait pour but de faire croire à un crime de rôdeur.

– Avait-il un bateau de plaisance ? demandai-je d'un ton que je voulais le plus innocent possible.

– Il semblerait qu'il possède un bateau basé soit à Deauville, soit à Trouville, mais nous n'avons pas encore procédé aux vérifications de rigueur.

Puis, passant d'un sujet à un autre, sans aucune transition, comme s'il avait eu l'impression de trop parler, il m'indiqua que je pouvais passer récupérer le portable.

Le ton employé par le fonctionnaire indiquait clairement que la discussion était close et je ravalai une dernière question de justesse tout en lui indiquant que je passerai chercher mon téléphone le lendemain à la première heure, ce qui fut fait.

Le fonctionnaire est quand même une race à part, une sorte d'ovni placé entre l'homo sapiens, l'homo erectus et l'homo civilisus.

Cette engeance étrange vit, semble-t-il, en dehors de ses contemporains et ne souhaite d'ailleurs pas s'intégrer davantage au monde qui l'entoure puisqu'il considère qu'il y a lui et les INDIVIDUS.

Un « INDIVIDU » est donc une sorte d'entité décrétée par l'administration, qu'elle soit d'ordre judiciaire, policière ou autre.

Cette entité n'a pas le moindre point commun avec le FONCTIONNAIRE, d'où une certaine suspicion émanant du représentant de l'administration qu'il convient d'appréhender dès le départ pour tenter de comprendre son comportement parfois étrange.

Le FONCTIONNAIRE est par nature obtus, car il ne peut déroger à ce qui lui a été enseigné sans se sentir perdu puisqu'il n'a pas été habitué à penser par lui-même.

De ce fait, il ne s'agit pas de mauvaise foi de sa part, mais d'incapacité à prendre des initiatives en raison d'une infirmité propre au monde des fonctionnaires dénommée « la maladie du formulaire ».

Je m'explique, l'impossibilité de répondre autrement que par « oui » ou « non » ou de cocher des cases 1, 2 ou 3 pendant toute la sainte (pour les croyants) journée conduit à une atrophie du cerveau expliquant ce qui précède.

De retour à la maison, je narrai à Véronique le résultat de mes investigations et de mes rencontres avec Chartin et la maréchaussée. À l'issue de ce compte-rendu, elle me fit remarquer :

« En toute logique, on peut penser qu'il cherchait à brouiller les pistes, le port d'Ouistreham étant nettement moins exposé que celui de Deauville. »

Sur ces entrefaites, le portable lança l'introduction de la chanson « Tequila » du grand Hubert-Félix Thiéfaine, annonciatrice d'un coup de fil imminent. La lecture du numéro affiché me renvoya direct à Ouistreham puisqu'il s'agissait de monsieur « no problème ».

– Le fils est de retour..., il est intéressé par la navigation dont vous parliez hier... et propose de vous rencontrer... au port Ouistreham... Plus précisément devant la capitainerie.

J'attendais quelques instants avant de prendre la parole, ne sachant pas si quelques salves syncopées, genre reggae, n'étaient pas encore à venir. Puis, n'entendant rien qui puisse ressembler de près comme de loin à d'évanescentes allégories jamaïquaines, je décidai d'intervenir :


– Formidable, mais quand cela est-il possible ?

– Aujourd'hui si vos disponibilités...vous le permettent...en début d'après-midi.....À partir de 14 heures.

– Parfait, répondis-je.....J'y serai.......Encore merci....Pour votre action.....répondis-je sur le même tempo, lequel s'était imposé à moi le plus naturellement du monde via un mimétisme de bon aloi, puisque musical.

No problème....

No problème ...

Et la discussion s'arrêta net comme si la fin du monde avait enfin trouvé la porte de sortie qu'elle cherchait depuis 2000 ans.

De toute évidence, l'action initiée commençait à porter ses fruits et je devenais furieusement accroc à cette histoire au point de vouloir en décrypter toutes les occurrences.

Sur la route qui me ramenait façon boomerang à l'endroit d'où je venais, je testai les capacités routières d'un véhicule récupéré de chez mes beaux-parents.

Cette voiture venait en remplacement d'un vieux tromblon en déliquescence presque totale et en délicatesse extrême avec les archétypes de la sécurité routière. Cet engin symbolisait à merveille la décrépitude résultant de la phase de vieillissement inexorable et applicable à tout ce qui existe sur la planète Terre.

Rapporté au genre humain, cet état de régression systématique est de nature à saper définitivement le moral du plus optimiste des joyeux drilles actuellement en vie sauf si celui-ci relève d'une catégorie échappant à ce long processus de dégradation ; or, il n'y en a pas !


« La vieillesse est un naufrage », avait dit le grand Charles, et il faut bien reconnaître que pour y voir autre chose, il faut au choix être sous ecstasy ou bien être dépositaire du mètre-étalon de la connerie.

A LA VITESSE DU CON, LE MUR EST EN OPTIONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant