Paisible Monotonie

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 Un bruit strident retentit, dans le noir complet, j'essaye de mettre fin à mon calvaire. J'agite mes bras violemment pour tenter de briser ce qui provoque cette torture auditive. Mon sens de l'orientation semble inexistant. Je percute enfin la chose qui maintenant gît sur le sol, la fréquence des sons s'intensifie. Il est 7h00 du matin, puis reprenant mes esprits, je me lève et désactive le réveil. Chaque matin, je me demande pourquoi je laisse cette torture perdurer, mais je préfère encore être réveillé par ces sons d'huîtres agonisantes que de me réveiller au son d'un air que j'aime et que je finirai par détester à force d'être coupable de détruire mes rêves. Monsieur Émile-Auguste Chartier a un jour dit, ou sûrement plutôt écrit : "Se réveiller, c'est se mettre à la recherche du monde." J'ai souvent eu l'impression que certains matins, c'est le monde qui me cherche, et pas simplement pour me faire la bise mais plutôt pour me coller une avoine.

C'est de cette manière que je rentre machinalement dans ma routine, mes matins sont toujours plus ou moins les mêmes, un réveil douloureux qui me plonge dans une humeur irritable. D'un pas titubant, je manœuvre mon corps à travers la pénombre de ma chambre, et, à force d'expérience, j'ai développé ce sixième sens qui sauve mes orteils des coins de meubles, et me permet ainsi d'arriver saint et sauf dans la cuisine.

Il y a tout de même quelque chose qui me remonte toujours le moral, j'ai beau avoir quitté la petite enfance, j'éprouve toujours un certain plaisir à prendre mon petit déjeuner, à choisir quelles céréales me remonteront le moral, à les verser dans un bol et ajouter soigneusement le lait jusqu'à ce qu'il les fasse monter. C'est le petit-déjeuner que je prends pratiquement tous les matins, je m'assois et plonge ma cuillère dans mon bol. Je suis très souvent dans un état second, comme entre l'éveil et le sommeil, voire même plutôt aux portes du coma. Mon regard se fixe sur un objet et progressivement, sans que je m'en aperçoive, mon cerveau s'envole vers les profondeur de mon inconscient. Je me mets à avoir conscience de mon existence, je possède mon corps, je vois à travers mes yeux, la capacité de faire bouger mes pieds m'apparaît alors comme un pouvoir prodigieux alors qu'il n'y a rien de plus naturel. Je sens maintenant le contact du tissu sur ma peau, je pense aux mots ; le nom des objets me paraît alors étrange, je les murmure. Les vibrations de l'air amènent les sons qui viennent heurter mon tympan, et secouer mes osselets, je trouve ces sons fascinants, j'ai conscience du tout, Je pense donc je suis. Très vite, je prends conscience de mon état de conscience, je secoue légèrement la tête et me voilà redescendu sur Terre. Mes céréales sont maintenant molles et immangeables. Je balance le tout dans mon évier au risque de le boucher et me précipite alors vers la salle de bains, il est 7h23, mes errements m'auront coûté un gros quart d'heure.

Chaque étape de ma fastidieuse matinée est chronométrée, je dois avoir fini de manger à 7h17, de me laver à 7h30, de m'habiller à 7h39, ce qui me laissera une dizaine de minutes pour me légumer devant les divertissements édifiants qu'internet aura à m'offrir avant de partir pour le travail à 7h54.

J'arrive dans la salle de bains, et me mets pieds nus sur le carrelage froid. J'admire le reflet de mes cernes et de mes yeux gonflés dans le miroir, puis après quelques secondes, je rassemble le courage nécessaire pour pouvoir entrer dans la douche. Je tourne le pommeau vers le mur pour éviter d'être directement frappé par l'eau glaciale. Je tourne le robinet ; l'eau jaillit et vient percuter le mur. Elle projette de fines gouttelettes qui viennent me heurter et me donner la sensation d'être transpercé par de petites aiguilles. Je vérifie la température de l'eau régulièrement puis quand l'eau est assez chaude, je réoriente le pommeau et la course contre la montre commence. Je n'ai que quelques minutes pour faire le nécessaire, me battant avec le rideau froid, qui, part quelque magie, ou plutôt quelque loi physique perverse vient coller ma jambe et me donner des sensations loin d'être agréables.

Me voilà maintenant propre, frais, respirant le beurre de karité, le lait d'amande douce et la tarte aux quetsches. Je me précipite dans ma chambre pour récupérer mes affaires qui pour la plupart sont étalées sur le sol. Je m'habille en hâte, cependant, je fais toujours attention à l'image que je donne de moi. J'essaye d'avoir l'air soigné mais sans l'être, de dégager un certain style sans que cela soit intentionnel, comme si j'étais victime d'une malédiction et que rien ne pouvait y faire. Je consacre donc quelques minutes à arranger mes cheveux et vérifier que je suis à peu près présentable. Me voilà enfin prêt pour démarrer la journée.

L'horloge affiche 7h44, je me dirige vers la cuisine. Il me reste quelques minutes avant de sortir, donc, comme à mon habitude, j'allume l'ordinateur et le pose sur la table, j'attrape la bouteille de soda brun mousseux qui est située sur mon buffet et remplis le verre qui est sur la table. Je dois avouer, et je suis loin d'en être fier, qu'il m'arrive de boire dans le même verre quelques jours de suite sans le laver. Une fois le contenu vidé, les quelques gouttes restantes s'évaporent, laissant le sucre brunâtre se cristalliser dans le fond. Mais pour moi le problème est résolu dès que la boisson est versée dans le verre et le sucre à nouveau dissout. Je n'ai que très peu de temps. Pour combler ce dernier, j'ouvre mes réseaux sociaux dans la quête de quelque chose de divertissant. Mon enthousiasme en prend un coup en voyant défiler sur ma page un carnaval de niaiseries, « partage si tu aimes les chats », « ma maman est mon plus beau soleil, partage si tu es d'accord ! ». Accablé, je ferme la page et éteins l'ordinateur. Je finis mon verre cul-sec avant d'aller me brosser les dents. Il est maintenant 7h52, je m'empresse de chausser ma veste et d'enfiler mes chaussures, ou l'inverse. Je m'assure que rien n'est resté allumé avant de refermer soigneusement la porte derrière moi.

Le jour commence à se lever et la journée est plutôt fraîche, ce qui est plus agréable que de marcher dans le froid. Une dizaine de minutes de marche me sépare de mon arrêt de bus. Cette marche me donne l'occasion de faire le point, de me pencher sur ma vie, penser à mes rêves, mes peurs. Je vis seul, ce qui me laisse bien trop de temps pour penser. J'ai peur que cette situation s'éternise. Quand j'étais plus jeune, je lisais la bande dessinée du chat Garfield dans laquelle le maître, Jon Arbuckle est un homme seul, assez maladroit dans la vie et entre autres avec le sexe opposé. Je me suis souvent amusé à comparer certaines personnes avec ce personnage qui essaye désespérément de rendre sa vie plus intéressante et qui notamment cherche quelqu'un avec qui la partager. Aujourd'hui, j'ai l'impression de me retrouver dans cette situation, je ne suis pas désespéré loin de là, mais j'aimerais parfois que ma vie soit moins monotone, avoir des imprévus, quelque chose qui la rendrait plus épicée. Je ne me donne malheureusement pas les moyens de changer le cours des choses. J'ai les mêmes amis avec qui je fais toujours les mêmes choses, non que cela me déplaise, mais ça ne laisse pas énormément de place au changement et à la folie. J'ai besoin de faire des expériences insolites, changer le cours de ma vie, voyager. C'est à ce moment précis, qu'au loin, j'ai vu mon bus approcher et il m'a fallu faire quelque chose que je trouve particulièrement humiliant, lui courir après.

Voici 1/3 du 1er chapitre de mon Roman , toute critique est la bien venue, et correction de l'orthographe également.
J'essaye de faire la promotion de ce livre qui j'espère sera publié fin 2018 ou début 2019.
Merci pour votre temps.

Mémoires moléculaires du 5ème typeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant