Chapitre 1 3/3

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 Il faut tout de même que je m'active. J'aime cuisiner quand je suis disposé, le problème, c'est que je ne le suis que trop rarement. Puiser dans ma précieuse énergie pour couper trois légumes et faire cuire un morceau de bidoche n'en vaut pas vraiment la peine, mais puisqu'il faut bien que je me nourrisse, je finis toujours par rassembler le courage nécessaire pour bricoler un petit quelque chose. Je me dirige donc vers mon frigo et déniche un morceau de veau et de quoi lui tenir compagnie. Je fais chauffer la poêle et y lâche une noisette de beurre. Pendant que le beurre fond, j'émince avec délicatesse une gousse d'ail que je dépose aussitôt dans la flaque de beurre. Le tout chante et les odeurs commencent à envahir la cuisine. Juste avant que le beurre ne prenne une teinte plus foncée, je le recouvre de la pièce de veau qui se met aussitôt à me chanter une berceuse. Ce qui était pénible devient agréable, je me surprends à aller chercher dans mon petit jardin une branche de persil. De retour dans ma cuisine, je retourne le veau, puis dépose sur la face brunie le persil que j'ai finement haché. Je fais un peu de place dans la poêle pour y déposer des pommes de terre que je fais sauter, ces mêmes pommes de terre qui traînaient dans mon frigo et que je pensais condamnées aux ordures se voient maintenant donner une nouvelle chance. Je sors une assiette sur laquelle je dépose la pièce de viande puis je l'entoure des patates qui ont maintenant un aspect doré et semi-croustillant.

Je sors des couverts, je m'assois à table et remplis mon verre d'eau pour me donner bonne conscience ; j'ai toujours entendu dire qu'il fallait boire au moins un litre et demi d'eau par jour pour être en bonne santé, donc entre deux verres de soda, j'essaye de me donner l'illusion que je prends soin de mon corps. Je suis habitué à manger seul, même si parfois la solitude est tellement présente qu'il faut que je lui rajoute un couvert et, de temps en temps, je dois en rajouter un deuxième pour son ami l'ennui, mais bon, cela fait pas mal de temps que je ne l'ai pas vu mais il passera sans doute bientôt pour dire bonjour. Il m'arrive d'allumer la télévision en mangeant pour regarder les informations, j'essaye de me tenir au courant de ce qui se trame dans le monde. Mis à part ça, je ne regarde jamais la télévision. Je ne supporte plus les publicités incessantes ou les émissions mises en scène pour attirer les foules. J'ai l'impression que de nos jours même les journalistes veulent faire de l'audience, ils déforment l'actualité pour lui donner une saveur épicée, plus rien n'est pur, mais tout est déguisé pour servir de spectacle. Quand j'étais petit, je considérais comme particulièrement étranges les familles qui n'avaient pas de télé, mais maintenant, avec du recul, c'est ceux qui la regardent trop souvent que je trouve étranges.

Immédiatement après avoir fini de manger, j'entasse mon assiette et mes couverts pour éviter que ceux-ci ne restent sur la table une éternité. Je les mets ensuite directement dans le lave-vaisselle. Le lave-vaisselle est probablement l'un des meilleurs investissements que je n'ai jamais fait. Avant je n'avais jamais le courage, et je doute l'avoir d'avantage maintenant, de faire la vaisselle. J'assistais démoralisé à l'aggravation de ma corvée et laissais tout en plan jusqu'à ne plus avoir ni assiette ni couvert. Cela me demande toujours un peu de discipline, mais j'évite de passer de longues heures de corvée pénible plongé dans les odeurs nauséabondes d'une nourriture envahie par une armée d'aspergillus ou de penicillium.

Tout étant rangé, je file vers la salle de bains pour me décrasser avant de m'affaler sur le canapé. C'est un moment que j'apprécie particulièrement puisque c'est à cet instant précis que le poids de ma journée s'évapore. Mes yeux se ferment une dizaine de minutes, je pense. Mon cerveau me diffuse les temps forts de ma journée, je repense à tout ce qui s'est passé, le vieil homme dans le bus, ma journée au travail puis je me projette dans la journée de demain, qui devrait être sensiblement la même que celle d'aujourd'hui. Très vite je me dis qu'il faut que je sois productif et que je me sorte de cet état comateux. J'ouvre donc les yeux et attrape la première chose que je vois sur ma table basse. Par manque de chance, je me retrouve avec un article scientifique intitulé "la structure chimique des porines bactériennes et leur résistance aux fluoroquinolones". Ce n'est pas que le sujet n'est pas passionnant mais ce n'est pas ce qu'il y a de plus récréatif. Je dois alors faire le choix entre bouger ma carcasse pour aller dégotter quelque chose de plus divertissant, ou commencer à lire cet article qui traîne sur ma table depuis un peu plus d'un mois. Le choix est difficile, mais résigné, je commence ma lecture. Au bout de quelques lignes, mes paupières deviennent lourdes, je m'engage dans une bataille contre le sommeil que je ne peux gagner. Finalement, je me rends compte que je ne retiens rien de ce que je lis ; c'est exactement le prétexte que j'attendais pour pouvoir arrêter. Je lirai l'article le mois prochain.

Je rassemble mes dernières forces pour me hisser sur mes jambes, puis je décide de mettre fin à cette journée et d'aller me coucher. Je fais un crochet par la cuisine pour prendre mon ordinateur et de quoi becter. Après avoir vérifié que tout est fermé, je me dirige là où tout a commencé, mon lit. Je m'installe, mets l'ordinateur sur mes genoux et commence à regarder mes mails. Ma boîte mail est toujours inondée de courriers inutiles : des publicités, le journal de mon entreprise que je n'ose pas mettre dans les indésirables et des invitations de toutes sortes de la part d'établissements pharmaceutiques ; ce soir là ne faisait pas exception. Je partais pour tous les supprimer quand j'ai vu qu'un de mes amis m'avait envoyé quelque chose. Le mail comportait le lien d'une vidéo auquel il avait ajouté "pour toi Einstein". C'était une compilation d'expériences chimiques avec des produits soi-disant de la vie de tous les jours, comme si quelqu'un d'ordinaire débouchait un évier à l'acide nitrique, préservait ses aliments dans l'azote liquide ou se débarrassait des taupes avec des barrettes de sodium. Puis mon intérêt a été piqué par une vidéo qui se trouvait dans la barre de propositions et qui avait été étonnamment vue plusieurs millions de fois. Un homme chauffait à blanc une boule de nickel et la lâchait sur un ourson en gelée géant puis une autre proposition m'a conduit à un documentaire sur la méthode de production des oursons en guimauve et, c'est en suivant ce procédé que je me suis retrouvé deux heures plus tard à regarder une vidéo sur des chasseurs imitant le bruit des perdrix pendant la période de chasse.

Mes yeux ont alors croisé la pendule qui m'a brutalement fait comprendre qu'il était temps d'arrêter. Il m'a fallu rassembler tout le courage qu'il me restait pour pouvoir stopper cette addiction absurde. Où ce temps est-il parti ? Mon réveil sonnera dans un peu plus de sept heures, il est donc temps de faire dormir les yeux. Mais avant cela, je décide de commencer une résolution que j'ai prise dernièrement. Je saisis de quoi écrire et me lance dans l'écriture de mon journal.

Tout Grand homme cherche à laisser une trace de lui dans l'Histoire avec l'espoir de ne jamais être oublié. Quelle trace suis-je en train de laisser? Jusqu'à quand se souviendra-t-on de moi? C'est pour ces raisons, peut-être un peu égoïstes, que j'ai décidé d'énoncer les faits les plus intéressants de ma vie, de romancer ma vie, pour que mon image soit véhiculée à travers les âges et pouvoir faire perdurer ma personne aussi longtemps que possible. Je ne sais si ma vie mérite d'être lue, ou si les faits qui la composent intéresseront ceux qui liront ces lignes, mais c'est l'empreinte que je souhaite laisser de moi. Je crois qu'il est donc temps de rechercher un peu l'aventure, j'en ai besoin. Il faut juste que je m'en donne les moyens.

Voila la dernière partie du 1er chapitre, je vous invite à aller visiter la page facebook MMD5T. Si vous avez des questions ou des suggestions je suis ouvert. J'espère que vous avez apprécié. Merci d'avoir pris un peu de temps pour faire cette lecture.

Mémoires moléculaires du 5ème typeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant