Maintenant.
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Je nous ai toujours senti à part, ma famille et tous les gens comme nous. J'ai appris très tôt qu'il y avait Eux et Nous, et j'ai vite su faire la différence. Ce n'était pas compliqué : c'était soit moi, soit les autres s'en chargeaient.
Il faut dire qu'une enfant qui fait griller toutes les lumières de son école maternelle ça n'a rien d'Ordinaire, en effet. Pour ma défense, ça n'est arrivé qu'une fois et si je me suis mise dans un tel état c'est parce qu'un autre enfant m'avait traité de monstre. En réalité, quelques ampoules à changer ça n'était rien, j'aurais pu faire bien pire. Pourquoi ai-je pris la mouche si vite, si ce n'est parce qu'il y avait de la vérité dans les paroles de mon petit camarade ?
Je fais bien parti des monstres, des anormaux, ceux qui ne rentrent pas dans l'ordre des choses. Évidemment, nous ne nous nommons pas ainsi, nous préférons les «Extradoués», en référence à nos facultés hors du commun. Eux, ont également un nom : nous les appelons les «Ordinaires», les humains normaux, quoi. Moi, je ne suis pas pour ces noms ridicules qui nous séparent et nous catégorisent, je ne me sens pas supérieure parce que je suis née avec un don; au contraire, j'aimerais être Ordinaire, être normale et ne pas avoir à me cacher. Mais on n'a jamais ce que l'on désire, n'est-ce pas ?
En fait, je suis née au mauvais moment, juste quand nous avons commencé à nous déchirer. Coïncidence ? Parce que, à la base, le problème n'est pas entre Eux et Nous mais entre Nous et Nous. Absurde, hein ? C'est au sein même des Extradoués qu'il y a un conflit, mais l'objet n'est autre que Eux, les Ordinaires. Les plus radicaux d'entre-nous considèrent que nous devons arrêter de nous cacher et reprendre la place qui nous revient par nature : celle de dominants. Autant dire que je suis totalement contre cette pensée, j'ai toujours voulu vivre avec les Ordinaires et non au-dessus d'eux. Mes parents et beaucoup d'autres sont morts pour cette idée, mon enfance a été une véritable guerre civile, un combat invisible, dissimulé aux yeux des Ordinaires qui n'en ont même pas entendu parler, alors qu'ils en sont la cause.
Aujourd'hui, les Extradoués, ceux que je nomme les Traîtres, pensent la guerre finie, puisqu'il ne reste que mes frères, mes sœurs et moi, autrement dit : six gamins. Pourtant, je suis sûre d'une chose : temps que nous leurs résisteront ils n'auront pas gagné.
Je sors soudainement de mes pensées. Il est assis sur le fauteuil en face de moi. Noah. Mon petit frère à présent âgé de 15 ans. Impulsif, colérique et renfermé. Je me demande où est passé le petit gamin au regard malicieux qui hante mes souvenirs. Depuis quand est-il là? Je ne l'ai pas entendu arrivé. Il me fixe de son regard étrange, indéchiffrable. Il me met mal à l'aise. Il n'a pas pu entendre ce que j'étais entrain de me dire, mais alors pourquoi me fixe t-il comme ça ? Je soutiens son regard. Et s'il pouvait lire dans mes pensées ? Non, impossible, Thaïs possède déjà ce don. Arrête de flipper pour rien, lui tout ce qu'il peut faire c'est foutre le feu. Oh oh...
La voix de Maë nous fait sursauter:
-Hé mais qu'est-ce que vous avez à vous dévisager comme ça ? On dirait que vous aller vous sauter dessus.
Elle émet un petit rire bref.
-Vous auriez dû voir vos têtes !
Noah se lève brusquement et quitte la pièce. Il n'aime pas trop qu'on le taquine. Susceptible.
Maë hausse les épaules mais reste plantée devant moi. Je la dévisage un instant. Comme à son habitude, elle n'a pas démêlé la crinière blonde qui lui sert de cheveux. Je note qu'elle a fait un petit effort niveau tenue, jour de rentrée oblige. Elle porte un large pull beige à motif ethnique sur un leggings noir. Julian nous a fait la morale: «il n'est pas question que vous vous fassiez mal voir dès le premier jour», a-t-il décrété de sa voix la plus sérieuse et autant dire que ce n'était pas gagné : avec sa gueule d'ange et ses yeux bleus, difficile de le prendre au sérieux! Il a beau être notre grand frère, maintenant c'est lui le chef de famille.
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Eux et Nous
Teen FictionL'existence d'Ava était plutôt paisible, jusqu'à la Division. Elle avait six ans, des parents aimants et était la troisième d'une fratrie de six enfants. Plutôt banal ? Cela aurait pu l'être si elle n'avait pas possédé, comme ses frères et soeurs...
