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Mercredi 3 Septembre

Lorsqu’elle se réveilla, le ventre de Victoire se mit aussitôt à lui faire atrocement mal. Elle avait l’impression qu’il se tordait, se tournait et se retournait dans tous les sens possibles, lui causant des crampes insupportables. Depuis son arrivée ici à la fin de l’été, il n’avait fait que ça son ventre : lui causer du mal. Mais pourtant, elle s’obligea à ignorer la douleur et se leva difficilement de son lit aux draps verts ; parce qu’il fallait bien se préparer pour le lycée. Une fois arrivée dans la salle de bain, la brune laissa retomber ses cheveux qu’elle avait attachés pour la nuit le long de ses épaules. Elle aimait tellement les sentir contre son cou, comme s’ils la protégeaient de quelque chose.

Elle fit son rituel habituel, se coiffa et se maquilla avec une lourde charge de mascara sur les yeux ; c’était sa marque de fabrique : un mascara bien noir pour des yeux noisettes d’une douceur féline. Cela lui allait vraiment bien, mais il ne fallait juste pas que l’on puisse deviner la fatigue et la peur dans ses yeux ; ce n’était pas l’impression d’une fille faible qu’elle voulait donner, mais celle de quelqu’un de fort qui n’a pas de problèmes. De toute façon, personne ne montre réellement qui il est, alors il n’y avait pas de mal à ce qu’elle aussi, elle le fasse.

Lorsqu’elle passa devant la table du salon, où sa mère avait préparé le petit déjeuner avant de partir travailler, une vive crampe s’empara à nouveau de son ventre. Victoire soupira et s’assit tout de même à la table, cherchant du regard quelque chose qui lui plaisait. A peine prit-elle une bouchée dans son bol de céréales qu’une nouvelle crampe se manifesta, donnant à la jeune fille une violente envie de vomir. Dans une quinte de toux, elle recracha sa nourriture dans le bol et, dans un accès de panique, attrapa rapidement un verre d’eau qu’elle bu d’une traite. Avec un regard de dégoût, elle repassa en revu la nourriture posée : des toasts tous près avec de la pâte à tartiner à disposition, des fruits de toutes les variantes possibles et enfin, les céréales qu’elle venait de recracher. A nouveau, une envie de vomir remonta de son estomac, la faisant grimacer. La brune finit par repousser son envie de manger et attrapa son sac avant de sortir, direction son arrêt de bus. Tant pis pour le repas.

Le trajet en bus lui fut douloureux. Sans cesse ballottée par la conduite tout sauf diplomatique du chauffeur et ses crampes qui redoublaient, Victoire gémissait en silence, la tête appuyée contre la vitre et la musique dans les oreilles. Il n’y avait que ça de bien dans la vie, la musique. Le paysage campagnard se dissipait peu à peu, laissant apparaître les premières traces d’immeubles annonçant l’entrée dans la ville. Tout passait rapidement dans les yeux de la jeune fille, bien trop fatiguée pour se rendre compte de quoi que ce soit. Lorsque son arrêt arriva enfin, elle se leva, s’accrochant comme elle pu à une barre métallique pour tenir debout. Ses jambes ne semblaient pas très coopératives aujourd’hui et en plus, sa tête lui tournait. Décidemment, ce n’était vraiment pas son jour !

Elle peina quelques peu à se rendre jusqu’au lycée, sans cesse tirailler par son ventre ou sa tête. Mais que ce passa-t-il ? Que lui arrivait-il ? Elle failli même être en retard mais réussie, de justesse, à entrer en classe avant que le professeur ne referme la porte sur elle. Victoire se dirigea ensuite à sa place, aussi vite que son ventre le lui permettait.

Elle ne fit attention à rien, pas même au sourire que lui adressa sa voisine de couloir.

Avalon.

J’étais assise à une table du foyer avec Camélia, Louis et sa copine, Helana. Nous étions inséparables. Depuis le début de la seconde, nous nous étions tout de suite trouvés et très bien entendu. Je n’étais pas dans la même classe qu’eux, parce que j’avais choisis une filière différente mais cela ne nous empêchait pas de nous retrouver à chaque pause.

« Alors Ava, tu as parlé avec les gens de ta classe ? Ou tu te contente de leur lancer des regards menaçants pour ne pas qu’ils viennent ? »

La table ria à la remarque de Louis. C’était un garçon plutôt grand, aux beaux yeux bleus et aux cheveux faussement blonds. Je le surnommais « la fausse blonde » d’ailleurs, car ça avait le don de l’énerver. Et j’adorais ça.

« Eh bien non, je n’ai parlé à personne. Répondis-je d’un ton cynique. Mais pour ta gouverne, je ne suis pas la seule. »

Pour preuve, je montrais d’un signe de tête la table se trouvant à quelques mètres de nous et où était assise Victoire, la nouvelle. Et c’est vrai, même si elle semblait très gentille, elle ne parlait à personne et personne ne venait lui parler. Elle m’avait même ignorée lorsque j’avais voulu lui dire bonjour.

Elle releva les yeux au même moment que mes amis se tournaient pour la regarder, n’arrangeant rien au malaise qu’elle paraissait déjà éprouver, semblant plus intéresser à jouer avec sa nourriture qu’à la manger, d’ailleurs. Je soupirais en me disant que personne ne devait rester seul comme ça, encore moins au tout début de l’année, ce sont les pires moments. Je me levais donc, sans prévenir personne et me dirigeais à la table de la brune.

La cafétéria du lycée, appelée plus grossièrement le foyer, était rempli. En ces premiers jours, les élèves préféraient rester à l’intérieur, histoire d’apprendre à connaître les autres et ne pas rester seuls. Pourtant, Victoire elle, se sentait bien seule : personne ne lui avait adressé la parole depuis qu’elle était arrivée. La jeune fille avait toujours été quelqu’un de sociable, qui se faisait facilement des amis. Elle aimait la présence des gens autour d’elle mais là, elle était paralysée par… La peur ? Elle n’en savait rien, mais elle se sentait terriblement seule, ça c’était sûr.

« Victoire ? »

Elle sursauta. Devant elle se tenait une jeune fille à la peau légèrement mat, arborant une longue tresse en épis sur son épaule gauche et un petit sourire maladroit. C’était Avalon, sa voisine de couloir en cours. Enfin, si c’était son prénom, elle ne s’en souvenait même plus.

La métisse repris la parole lorsque ses orbes presque gris se connectèrent aux pupilles noisettes de Victoire.

« Tu veux venir manger avec nous ? »

La brune hocha la tête, répondant d’un sourire à Avalon, ravie de parler à quelqu’un.

Mais lorsqu’elle se leva avec son plateau pour rejoindre la jeune fille à sa table, Victoire sentie sa tête lui tourner et ses jambes trembler. D’un coup, son plateau lui parût d’une lourdeur incroyable et la cafétéria ne devint qu’un espace flouté au brouhaha bourdonné. Ses yeux la brûlaient, ses jambes s’entortillaient et son souffle devint court.

« Victoire, il y a un problème ? »

La jeune fille n’entendit pas Avalon revenir vers elle, un regard anxieux sur le visage. Elle ne la vit pas non plus se précipiter vers elle lorsque son plateau heurta le sol, répandant la nourriture à ses pieds. Elle ne l’entendit pas non plus l’appeler lorsque ce fut à son tour de cogner le sol, inconsciente.

Hazel EyesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant