Prologue : Murmures dans la nuit

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Noliän~ Village d'Ewen


Tel un repère immuable, l'astre de la nuit se dressait fièrement dans le ciel. Cette nuit-là, aucun nuage ne vint entraver son règne. Les rayons lunaires venaient déposer leur lumière d'argent, couvrant de leur pâle manteau le monde des Hommes. Indifférente aux conflits qui déchiraient le continent, la lune poursuivait sa course dans le ciel étoilé, jour après jour, nuit après nuit. Les humains auraient beau s'éteindre, connaissant comme tout peuple des déclins et des apogées, elle continuerait de s'élever. L'immortalité de l'astre lunaire. La majesté du soleil, l'immensité des terre,l'inviolable influence des éléments sur la vie de tout un chacun :voilà ce que les Hommes avaient toujours convoité, et continuaient d'espérer, poursuivant aveuglément un mirage qui ne deviendrait jamais plus qu'un doux songe. Peu avaient le courage d'aspirer à une vie simple faite de bonheurs éphémères et de petites joies. La plupart s'étaient tournés vers la quête de l'immortalité ou du pouvoir. Des rêves fanés qui les aveuglaient tout le long de leur existence et leur faisaient prendre conscience de leurs vains espoirs au crépuscule de leur vie. Et lorsque tout espoir était perdu, ne restait plus que le regret.

C'était ainsi depuis des générations et des générations. Les royaumes se déchiraient, le peuple se scindait et les monarques perdaient leur influence sur leurs sujets. Les Hommes prétendaient servir les Dieux, mais en vérité, ce n'était pas eux qu'ils vénéraient :c'était leur immortalité, et tous les privilèges qui découlaient de cette faculté. Peu d'êtres humains s'étaient résolus à croire que leur mortalité était en réalité une bénédiction. La plupart voyaient cela comme un fardeau, une malédiction dont ils tentaient vainement de se libérer tout en sachant que c'était impossible.Malgré cela, les plus aveuglés continuaient de nourrir l'espoir qu'un jour, leurs prières soient entendues. Qu'un jour, ils puissent jouir des mêmes privilèges que les Créateurs et leurs émissaires.

Il y avait toutefois une raison à leur mortalité, que peu avaient été capables de comprendre. Si, du point de vue des humains, la mort était synonyme de tristesse et de deuil, de celui des dieux, ils'agissait plutôt d'une délivrance, ou plus précisément, d'un présent. En sachant que le temps de chacun était compté,inconsciemment, ces êtres apprenaient à apprécier chaque instant comme s'il était le dernier. Chaque détail, chaque chose qui pouvait apparaître comme banale ou habituelle se révélait dans toute sa splendeur. Les couchers de soleil, les montagnes baignées des rayons lunaires, le chant de la forêt, le murmure du vent, les naissances et les unions, les triomphes... Tout cela n'aurait jamais autant d'éclat aux yeux d'une créature céleste qu'à ceux d'un Homme. Les mortels, du fait de leur existence éphémère, se voyaient dotés d'une pureté à laquelle nul autre aurait pu prétendre. Ils étaient capables de voir le monde dans son entièreté et sa splendeur, là où tant d'autres n'en voyaient que des facettes pâles et indignes d'intérêt. Les dieux avaient donné aux Hommes ce qu'eux-mêmes désiraient et n'avaient jamais été capables d'obtenir.

Mais plutôt que de voir cet héritage comme un cadeau, ils s'étaient mis à considérer leur mortalité comme un fardeau. Dès qu'ils comprirent qu'il était possible de vivre éternellement, de traverser les âges et défier les lois du temps, ils s'étaient mis à désirer l'immortalité des dieux. Aveuglés par leur quête insensée, ils en vinrent à oublier la raison de leur condition. Peu étaient capables de garder à l'esprit que la mort n'était pas à craindre. Elle était simplement un passage vers un ailleurs mystérieux et imprévisible. Et depuis ce jour, les Hommes s'évertuaient à repousser le moment de leur déclin.

Depuis ce jour, le chaos était né, trouvant sa source dans l'envie et le doute et se nourrissant des lamentations désespérées des Hommes, brisant l'équilibre instauré par les Créateurs.

Noliän - La Complainte de l'Exilé [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant