Noliän - La Complainte de l'Exilé [Sous contrat d'édition]

Chapitre 2 : Je suis

Noliän ~ Zephiria

Tel un spectre, le garçon quittait la désolation qu'il avait semée pour le nouveau monde que l'entité lui avait promis. Las et blessé, Noliän continuait d'avancer sans s'arrêter, sa cape à la merci de l'impitoyable vent annonçant la saison des neiges et alourdissant sa démarche déjà chancelante. Chaque pas était un supplice et cependant, il poursuivait son chemin. Ainsi vêtu, on aurait pu le croire vagabond ou exilé. Peut-être était-ce ce qu'il était devenu en fuyant les terres maudites qui avaient bercé son enfance et qui brûlaient désormais du feu de sa vengeance. La douleur de ses blessures le lançait, mais elle n'était rien comparée à la souffrance à laquelle était livré son cœur en cet instant. Avec le recul, il avait l'impression d'être un lâche, un traître en abandonnant ainsi son village, laissant pour trace de son passage le cadavre de Zweyn et un vaste brasier ; de tourner le dos à ses erreurs, incapable de les affronter. Pourtant, le souvenir de la cruelle satisfaction qui avait illuminé son regard et enflammé son cœur ne cessait de ressurgir. Il avait observé, impassible, la voix de sa magie exprimer les souhaits qu'il n'avait osé ne serait-ce qu'imaginer tant ils étaient sombres et terrifiants. Il l'avait observé détruire un village et les souvenirs qui y étaient associés. Le détruire lui, pour qu'enfin l'enfant maudit soit délivré de son fardeau.

Mais avait-il réellement changé ? Bientôt, toute son enfance deviendrait une page blanche. Le nom d'Ewen, de ses propres parents et même celui de Zweyn lui seraient étrangers. Pour autant, deviendrait-il une autre personne sans ces souvenirs ? Une terrible intuition lui signalait le contraire. Elle lui soufflait que le mal était ancré en lui, que rien ni personne ne pourrait l'en délivrer. Il était le fils du chaos. L'erreur d'une erreur. Noliän connaissait la légende du Créateur d'Ombre. Tant de rumeurs prétendaient qu'il y était lié -et ceux qui les avaient répandues ne croyaient pas si bien dire. Il avait plusieurs fois surpris les conteurs du village faire le récit de la naissance de la créature et la façon dont les Aelniens y étaient associés. Et même s'il avait toujours refoulé l'étrange sentiment d'appartenance aux histoires qui dataient pourtant de plusieurs siècles, il savait au fond de lui qu'il était lié -d'une façon ou d'une autre- à l'existence du Créateur d'Ombre.

Certaines personnes étaient rassemblées par la lumière et l'espoir. Eux l'étaient par leurs ténèbres. Des ténèbres si sombres que seuls les plus fous se risquaient à approcher. Alors qu'autrefois sa mention évoquait une douce chaleur dans le cœur de Noliän, cette fois, le nom de Zweyn ne fit naître qu'une vague amertume au creux de sa gorge. Ses paroles lui revinrent en mémoire. Violentes. Transcendantes. Cruellement porteuses d'une trahison que son cousin n'aurait jamais pu soupçonner de sa part. Il était le seul à avoir gagné sa confiance -un présent que le garçon n'accordait qu'à très peu et qui pouvait se volatiliser à la moindre erreur. Zweyn l'avait appris à ses dépens, jouer avec les sentiments de Noliän pouvait s'avérer périlleux. C'était un dangereux jeu auquel le garçon lui-même ne se serait pas livré, et pourtant, dieu savait qu'il aimait jouer avec les limites. Il s'était toujours dit qu'elles étaient faites pour être déjouées, sinon, comment pouvait-on grandir en se limitant à ce qui était permis ? L'inconnu et le danger effrayaient la plupart des Hommes, mais c'était une source inépuisable de convoitise et d'attrait pour certains.

L'appel de l'inconnu. La promesse d'un monde meilleur. L'abandon du passé. Voilà ce qui avait poussé le garçon aux cheveux sombres à marcher sans s'arrêter vers l'est, en direction des monts brumeux dont le contour se découpait sur un ciel gris. Certains osaient à peine regarder en cette direction, prétextant que c'était le foyer des ombres, un royaume où les ténèbres régnaient sans partage. Un lieu hors du temps dont la beauté trompeuse dissimulait sa véritable nature. Noliän savait que c'était faux. Il avait passé des lunes entières à guetter ce paysage lointain dont il se sentait pourtant infiniment proche. Ô combien de fois son regard s'était perdu dans la contemplation de ces pics sombres qui semblaient côtoyer les nuages...