Arkaën somnola jusqu'au retour des marins. Il était affamé et il ne servait à rien de tenter quoi que ce soit avec ces chaînes autour des poignets.
Enfin, les deux hommes entrèrent dans la cellule. Ils avaient apporté une deuxième écuelle au cas où Kiarah se serait réveillée. Arkaën se laissa détacher et dévora son repas tout en les examinant du coin de l'œil. Ils étaient musclés et sur leurs gardes, avec de longues dagues pendues à leur ceinture. « Ils n'auront pas le temps de les sortir » décida Arkaën.
L'un d'eux s'approcha pour l'entraver de nouveau. Aussitôt, Arkaën tendit son bras et son poing cueillit l'homme sous le menton. Sa tête partit en arrière et cogna violemment le sol. Il resta étendu sans bouger, les yeux entrouverts. De la bave s'écoula à la commissure de ses lèvres. L'autre marin bondit aussitôt vers le prisonnier qui s'aplatit sur le sol pour échapper à son emprise. L'adolescent glissa entre les jambes de son agresseur et se releva derrière lui, balayant ses pieds. L'homme perdit l'équilibre ; Arkaën lui enfonça son coude dans le visage. Il plaqua les mains sur son nez brisé et repoussa le garçon d'un coup de pied en plein dans son plexus solaire.
Arkaën atterrit sur le dos, le souffle coupé. Il se remit sur pieds en même temps que le marin. Quand celui-ci brandit sa dague vers lui, il lui attrapa le poignet grâce à ses réflexes surhumains, passa dans son dos et tira d'un coup sec. Le craquement de l'articulation fut masqué par le cri que poussa l'humain. Arkaën remonta vivement son genou qui s'écrasa entre les jambes de son adversaire. Les yeux de celui-ci se révulsèrent et il tomba face contre terre avec des gémissements aigus.
L'adolescent se laissa tomber sur les fesses, essoufflé. La tête lui tournait. Cela faisait si longtemps qu'il ne s'était pas battu... Il secoua la tête pour chasser ses vertiges ; il devait mettre l'inconscience de leurs gardiens à profit.
Il se leva, chancela et ouvrit grand les yeux quand des taches noires apparurent devant lui. Il prit les clefs à la ceinture du premier marin qu'il avait assommé puis s'appuya sur le mur devant Kiarah avant de s'y laisser glisser.
Son amie n'eut aucune réaction. De plus près, il vit que quelques ecchymoses bleuissaient sa peau. Il pinça les lèvres, ravalant sa colère, et se concentra sur ses poignets. Quand il l'eut détachée, il l'empêcha de tomber et passa un bras sous ses épaules. Il l'appela de nouveau, plus fort, et la secoua avec douceur.
Elle ouvrit brusquement les yeux, désorientée, le souffle haché et se débattit entre ses bras.
— Ce n'est que moi.
Elle jeta des coups d'œil dans la pièce et reconnut enfin leur cellule. Ses doigts se resserrèrent sur les restes de la chemise d'Arkaën et, enfin, son regard se posa sur son ami. Aussitôt, son visage se contracta et des larmes roulèrent sur ses joues. Arkaën se retint de l'imiter et referma les bras sur ses épaules ; elle se blottit contre son torse, toute tremblante, et ses sanglots se firent plus violents.
— C'est horrible, Arkaën, articula-t-elle entre ses sanglots, d'une voix éraillée par les cris. Ce qu'il essaie de faire... J'ai eu l'impression qu'on m'arrachait quelque chose.
Perplexe, le jeune homme la tint serrée contre lui : si la douleur le terrassait toujours, jamais il n'avait éprouvé telle sensation.
— Je suis désolé, murmura-t-il. J'aurais dû agir plus tôt.
Elle ne dit rien ; au fond d'elle, elle lui en voulait de n'avoir rien pu faire. Elle savait pourtant que c'était injuste.
Ils restèrent prostrés un long moment, mais Arkaën ne voulait pas perdre de temps précieux. Il éloigna la jeune fille et posa une main sur sa joue. À ce geste, son corps se tendit comme la corde d'un arc et il se recula, penaud.
— Je t'en demande beaucoup, je sais, mais j'ai besoin que tu sois forte encore quelques heures. Après, nous serons libres et plus jamais nous ne reverrons ces maudits humains. Tu peux faire ça ?
Kiarah inspira profondément. Elle renifla, sécha ses larmes. Après quelques instants, ses yeux vibraient d'une détermination fragile. Arkaën esquissa un sourire.
La jeune fille tendit une main vers son épaule, les yeux écarquillés, et effleura sa peau lisse.
— Tes blessures... ?
— Soignées, grimaça-t-il. Pour laisser la place à d'autres. Il le fait parfois, lorsque je manque de mourir.
Elle le fixa d'un regard intense, le visage se couvrant petit à petit de culpabilité. Bien sûr, elle n'était pas la seule à souffrir. Elle se reprit : ce n'était pas le moment de s'apitoyer sur son sort. Si les marins les découvraient... elle ne voulait même pas y penser.
— Comment tu t'es libéré ?
Arkaën se décala de sorte qu'elle put voir les hommes étendus par terre puis lui relata son épique combat. Kiarah arbora un teint cireux qui l'interrompit.
— Ils ne doivent pas nous attraper, dit-elle d'une voix blanche.
Elle se tordait les mains ; elle avait peur.
— Bien sûr.
Tout à coup, elle se tourna vers lui, et son regard était accusateur.
— Tu sais ce qu'il veut... l'homme à la cicatrice. Tu ne m'as pas tout dit quand je t'ai posé la question à mon arrivée.
Arkaën soupira.
— À quoi bon, Kiarah ? Ça n'aurait fait qu'ajouter à ta terreur.
— À me montrer ta confiance, peut-être.
La moue piteuse du jeune homme lui fit ravaler le reste de ses paroles. Sa peur se transformait en colère et il était le seul sur qui elle pouvait s'épancher. Elle se mordit les lèvres.
— Alors ? Dis-moi tout, cette fois.
À contrecœur, il désigna son front où luisaient les signes violets, ses wystern.
— Il est persuadé qu'il pourra avoir accès à une source phénoménale de wansi à travers nos wystern. Il veut... l'aspirer hors de nous.
Kiarah ouvrit la bouche sous le choc ; la peur qu'elle s'efforçait de refouler emplit de nouveau son cœur. Les wystern étaient le point faible des elfes. Des signes dont personne ne connaissait le sens mais dont la disparition signifiait la mort. Toucher les wystern d'un elfe était le plus grand tabou de ce monde. Elle passa les mains sur son visage, accablée.
— Dis-moi que tu as un plan, murmura-t-elle.
— J'ai promis que je te ramènerai chez toi. Je le ferai, fit-il avec conviction.
— Mais nous sommes en plein milieu de l'océan, protesta-t-elle. Et le navire doit grouiller de marins.
Déjà, elle pressentait que cette tentative était vouée à l'échec.
— Je ne sais pas nager, ajouta-t-elle comme un ultime argument.
La nouvelle ne plut décidemment pas à Arkaën, dont les sourcils se froncèrent.
— Le navire longe les côtes pour éviter les milices maritimes, de ce que j'ai entendu dire. Je te soutiendrai.
Kiarah n'y croyait plus, mais elle poussa un soupir résigné ; ils ne pouvaient plus faire marche arrière, désormais.
— Tu me fais confiance ? insista son ami en captant son regard.
— Je n'ai pas vraiment le choix...
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Les Terres de l'Aube _Tome 1 : Minuit [PREVIEW - Terminé]
FantasyJadis, les Terres de l'Aube furent ravagées par les Aakshas, ces monstres venus d'un autre monde. Aujourd'hui encore, les effets de la guerre se font ressentir. Kiarah et Arkaën sont bercés depuis leur enfance par ces histoires horrifiantes. Cette n...