III/ Le capitaine de l'Hisebh (2/3)

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Un voile brouillait la vue des adolescents lorsqu'on les allongea sur de minuscules lits. Le trajet était passé comme dans un songe. Les couchettes étaient si confortables comparées à leur petite cellule qu'Arkaën se serait endormi sur l'instant s'il n'avait pas eu si mal.

Le chirurgien était plus préoccupé par l'état de Kiarah dont il dénuda l'épaule.

— Tiens, prends ça, ordonna-t-il en lui tendant un bol rempli d'un liquide odorant. C'est de la rondine, elle va calmer ta douleur.

Il l'aida à boire avant de la rallonger puis sortit de sa besace une aiguille et y accrocha un tendon.

— Ne regarde pas.

Eyrad posa ses mains sur la sienne pour l'empêcher de bouger et elle détourna la tête.

— À trois je commence. Un... Deux...

L'adolescente poussa un cri étranglé quand l'aiguille s'enfonça dans la chair sensible autour de la blessure. Essoufflée, elle ferma les yeux. Elle sentit alors Arkaën se laisser tomber à côté d'elle et lui prendre la main.

— Plus que deux et c'est bon.

« Plus que » répéta-t-elle en serrant les dents. Elle prit une grande inspiration et attendit que le chirurgien achevât son travail, des gouttes de sueur coulant sur sa peau.

— Voilà, c'est fini.

Elle ne l'entendit même pas. Le gros bonhomme lava sa blessure et l'enroula dans un bandage propre avant de la couvrir avec une couverture rêche. Eyrad aida de nouveau Arkaën à marcher et l'allongea. Le jeune homme but lui aussi la tisane de rondine avant que le chirurgien ne lui tendît une autre décoction.

— Celle-là va te faire dormir. T'en as besoin, avale tout.

Après un dernier regard méfiant, il avala la potion. Aussitôt, une chaleur apaisante naquit dans son ventre et se répandit dans tout son corps, jusqu'au bout de ses doigts. Ses paupières s'alourdirent et occultèrent la lueur des lanternes. Cette lassitude irrépressible et soudaine l'apeura : ses membres inertes refusaient de lui obéir. Alors qu'il luttait contre les ténèbres, il crut entendre des voix résonner dans l'hospice normalement silencieux :

— Mon Général –

La voix s'interrompit. Arkaën tenta d'émerger de cette langueur collante, sans y parvenir. Trois légères pressions sur son crâne le firent frémir ; les ténèbres se renforcèrent. Sans crier gare, elles le plongèrent au plus profond de lui, dans un bain d'angoisses et de visions terrifiantes.

* * *

Quelques jours plus tard, Arkaën et Kiarah étaient plantés devant la porte qui menait au bureau du capitaine. Eyrad frappait sur le battant pour annoncer leur arrivée. Kiarah avait un bandage enroulé autour de son épaule. La blessure s'était presque refermée et aucune infection ne s'était déclarée grâce aux onguents du chirurgien. Arkaën, lui, devait attendre que ses côtes se ressoudent d'elles-mêmes. Il posait une main sur son torse dès qu'il était debout pour contenir la douleur. Les mauvais songes provoqués par la potions somnifère du chirurgien n'étaient plus que de vagues sensations.

Eyrad les fit entrer et ils prirent place dans les fauteuils moelleux. Les mains jointes en coupole, le capitaine poussa un profond soupir ; il avait tant de choses à faire et cette histoire le retardait dans ses tâches urgentes. Le visage sombre d'Arkaën le rappela au présent.

— Je vous dois des excuses.

Arkaën laissa échapper un petit soupir méprisant.

— Comme je te l'ai dit, inspira le capitaine pour garder son calme, votre emprisonnement n'était pas de mon fait.

Les Terres de l'Aube _Tome 1 : Minuit [PREVIEW - Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant