Des larmes de rage s'amoncelèrent dans les yeux d'Arkaën. C'était injuste ! La wansi enlevait toute équité au combat. Que n'aurait-il pas donné pour pouvoir, lui aussi, utiliser l'énergie fantastique ! Odvar tourna de nouveau son attention sur lui, le visage fermé.
— À nous deux, Arkaën. Je constate que je t'avais sous-estimé. Je ne ferai pas cette erreur une autre fois. Hedonn.
Arkaën tomba sur ses genoux comme un chien bien dressé ; ses muscles n'obéissaient plus qu'à la volonté du sergent. C'était ainsi : les wansiens humains avaient toujours figuré parmi les plus puissants des Terres de l'Aube. Même des sorts aussi simples que ces ordres revêtaient une impériosité impossible à déjouer. L'emprise de la wansi était si forte qu'il peinait à respirer et réfléchir.
Odvar dégaina son arme ; le crissement du fer fit tressaillir Arkaën.
— Je regrette de devoir en finir si rapidement, ronronna Odvar. Tu m'as bien distrait ces derniers mois. Enfin, je me consolerai avec la fille...
Ses doigts crochetèrent les mèches crasseuses du jeune homme et, d'une traction, lui levèrent le menton. Arkaën tremblait, les yeux écarquillés. Son corps refusait de lui obéir. Des larmes coulaient sur ses joues : allait-il vraiment mourir ainsi, abattu comme un chien sans pouvoir se défendre ? Les yeux métalliques d'Odvar l'hypnotisaient.
— Je te l'avais dit, pourtant. Ta vie m'appartient depuis que tu as posé le pied sur ce navire.
Il leva sa dague ; un rayon du soleil matinal glissa le long du tranchant effilé. Les muscles de son bras se contractèrent. Dans un état second, Arkaën la vit fondre sur sa gorge.
— Eh, rends-moi ça !
Odvar rugit de douleur et lâcha son arme. Furieux, il fit volte-face, arracha la lame plantée dans son épaule et l'abattit sur Kiarah ; la jeune fille bondit en arrière avec un hoquet qui se transforma en cri déchirant lorsque la pointe s'enfonça sous sa clavicule. Odvar se dégagea d'un geste brusque, et elle s'écroula à ses pieds.
— Tiens-toi tranquille, sale elfe !
Arkaën tomba sur les fesses : la wansi d'Odvar ne le maîtrisait plus. Son cœur cognait dans sa gorge. La terreur le submergeait encore et paralysait ses membres. Il ne parvenait pas à détacher son regard de Kiarah, qui porta une main à sa blessure, le visage déformé par un rictus. Le sang rouge teintait la fine chemise qui flottait sur son corps. Du talon de sa botte, Odvar l'écrasa sur le sol puis leva la main.
— Voilà qui devrait te servir de leçon, gronda-t-il. Riflane !
Des éclairs crépitèrent entre ses doigts et s'abattirent sur Kiarah. Elle émit un bref cri, eut un soubresaut et ses yeux se révulsèrent. Ses paupières entrouvertes laissaient voir ses iris bleus, vides de toute lueur.
Ses wystern commencèrent à s'effacer.
— J'y suis allé trop fort, commenta Odvar avant de se tourner vers le marin à qui il l'avait confiée. Toi, occupe-toi d'elle, et obéis cette fois.
Une rage brûlante libéra Arkaën de sa torpeur. Kiarah ne bougeait plus. Elle se vidait de son sang. Ce sale monstre allait la tuer ! Il s'empara de la dague abandonnée à leurs pieds et se jeta sur Odvar. Alerté par le sursaut du marin, le sergent bloqua l'attaque juste à temps et lui tordit le poignet ; horrifié, Arkaën lâcha l'arme. Odvar le repoussa avec une telle violence que le choc de son dos contre le parquet lui coupa le souffle. Il reprit ses esprits, et un craquement résonna dans tout son corps, jusqu'au fond de son crâne. Une ignoble douleur lui déchira la poitrine et obscurcit sa vision. Il s'étouffa, les yeux exorbités. Une toux réflexe provoqua une douleur plus intense encore, qui lui arracha une plainte étranglée. Des gouttelettes de sang s'échappèrent entre ses lèvres.
Une masse pesa sur sa poitrine, enfonçant un peu plus les os brisés dans ses poumons. Il hoqueta et ouvrit grand la bouche. Un étau se referma autour de son cou.
Sa vision revint et il retrouva ces prunelles métalliques qu'il haïssait ; une lueur de folie les animait et déteignait sur le sourire qui déformait la cicatrice boursouflée. Une voix résonna juste au-dessus de lui :
— Je pourrais détruire tes wystern, mais ta mort serait trop rapide. Je rêve de te voir ainsi agoniser depuis longtemps. Alors, combien de temps tiendras-tu sans respirer, petit elfe ?
Arkaën porta les mains à sa gorge comprimée. Ses poumons se contractaient ; la brûlure de sa côte brisée le disputait à la panique. Il étouffait ! De l'air ! Sa bouche grande ouverte ne parvenait qu'à émettre de faibles râles qui accentuaient le sourire du sergent. Les doigts épais d'Odvar formaient une barrière impénétrable autour de sa gorge, insensible à ses griffures désespérées.
Les petits points rouges qui dansaient dans sa vision se transformèrent en voile noir. Seuls les yeux luisants de son bourreau conservèrent leur netteté, comme deux puits métalliques qui s'apprêtaient à l'engloutir. Une grande lassitude envahit Arkaën ; il n'avait plus l'énergie de lutter. L'une de ses mains glissa sur le sol, inerte. Ses paupières lourdes tombèrent.
Dans la noirceur de sa semi-inconscience, Arkaën crut entendre, comme à travers une épaisse couche de coton, la porte s'ouvrir brutalement et un homme crier :
— Par les Créateurs !Qu'est-ce qu'il se passe ici ?
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Les Terres de l'Aube _Tome 1 : Minuit [PREVIEW - Terminé]
FantasyJadis, les Terres de l'Aube furent ravagées par les Aakshas, ces monstres venus d'un autre monde. Aujourd'hui encore, les effets de la guerre se font ressentir. Kiarah et Arkaën sont bercés depuis leur enfance par ces histoires horrifiantes. Cette n...