Les couloirs étaient sombres, il était effrayé. Il n'avait ni mangé ni bu depuis un moment et ne savait toujours pas où il était. Un bâillon cisaillait ses lèvres et un bout rêche, trop élimé pour servir encore de cordage, frottait contre ses poignets déjà irrités par les menottes. Où qu'il posât le regard, il n'y avait aucune issue. Un marin le tirait par le coude et lui jetait des coups d'œil antipathiques. L'homme qui marchait d'un pas vif devant lui portait des vêtements plus confortables, plus chers. C'était la première fois qu'Arkaën le voyait et il lui faisait froid dans le dos.
C'était la nuit. Ils ne croisèrent personne et montèrent des volées d'escaliers jusqu'à atteindre une autre pièce verrouillée par une grosse clé. Le chef des marins l'ouvrit. Un frisson glacé remonta le long du dos de l'adolescent quand il vit une chaise entourée d'un bazar indescriptible. Le marin le libéra de sa poigne.
Le chef se tourna pour la première fois vers lui et Arkaën s'obligea à ne pas détourner le regard quand le visage balafré sortit de l'ombre. L'homme esquissa un sourire qui se voulait rassurant, mais ses yeux restèrent froids et incisifs. D'un geste de la main, il invita Arkaën à s'asseoir. Celui-ci obtempéra après une seconde d'hésitation.
— Pardonne ces précautions, je ne voudrais pas que l'on te découvre ici et qu'on te jette par-dessus bord, fit l'humain en lui retirant son bâillon.
— Vous me voulez quoi ?
— Tu vas m'aider à découvrir quelques secrets de ta race.
— Je sais rien des elfes. Je ne vis pas avec eux.
— Oh, ce n'est pas grave. Ton corps a déjà toutes les réponses que je veux.
Arkaën voulut répondre mais le bâillon lui fut brutalement remis en travers de la bouche. Il se débattit alors que le marin l'attachait solidement à la chaise en ignorant ses coups.
— Ne t'en fais pas. J'ai juste besoin de ça, fit l'homme en pointant ses wystern.
La peur déferla dans l'adolescent qui se débattit de plus belle. On lui avait toujours dit que ses wystern étaient sa ligne de vie. Personne ne devait y toucher. Le chanvre lui écorchait les poignets. Odvar attrapa une boule luminescente qu'il posa au pied de la chaise.
— C'est juste un rituel pour éveiller la wansi qui sommeille en toi, assura-t-il sans pouvoir contenir la lueur malsaine qui s'échappa de son regard.
Une lueur bleue émana de traits gravés sur le sol, ils formaient un cercle autour du garçon. De minuscules éclairs sortirent du plancher, lui causant instantanément une grande souffrance. Le bâillon étouffa son cri, son corps se cambra. Il se tortilla sur la chaise, l'esprit embrumé. La boule posée à ses pieds attirait tous les éclairs et les lui renvoyait, l'énergie creusant de profonds sillons dans sa chair ou s'abattant sur lui comme un coup de poing.
Arkaën ne voyait plus rien autour de lui, seulement des taches floues qui dansaient devant ses yeux. La sueur plaquait ses cheveux contre son crâne et inondait ses vêtements. Il ne parvenait plus à calmer sa respiration chaotique.
La douleur cessa d'un coup. Avachi sur la chaise, il se demanda s'il rêvait de cette accalmie. Son bâillon glissa sur ses genoux, trempé de salive et de sueur. Il eut à peine le temps de sentir ses mains se libérer avant de perdre conscience.
Le capitaine s'impatientait. Arkaën chassa le souvenir avec rage.
— Debout, Kiarah, on part. Si Malié ne veut pas de nous, on ira ailleurs.
Il la prit par la main et la tira derrière lui. Le capitaine se renfrogna : il pensait pourtant avoir conquis le garçon. Enfin, il n'avait pas dit son dernier mot.
— Je ne sortirais pas de cette pièce si j'étais vous.
Les enfants se figèrent. « Ce jeune homme a un regard effrayant quand il veut. Si personne ne le canalise, il pourrait devenir dangereux. » Il s'installa plus confortablement dans son fauteuil. Sans wansi et désarmé, l'elfe était pour le moment un petit chiot qui montrait les crocs.
— J'espérais ne pas en arriver là mais puisque vous insistez. Dans la nature, vous représenteriez une menace pour nous : vous avez eu accès à trop d'informations. Je ne peux pas vous laisser partir... du moins pas vivants.
Arkaën ferma brièvement les yeux pour se donner du courage puis bondit sur l'humain. Celui-ci empoigna le coupe-papier qui s'arrêta à un cheveu de sa gorge. « Je devrais moins l'aiguiser. » La petite lame avait déchiré la peau de ses doigts et de sa paume. Selon tout apparence, le petit chiot avait appris à mordre.
— Et si je vous prenais en otage ? gronda le jeune elfe, les yeux rivés dans les siens.
— Ne fais rien que tu pourrais regretter. Accepte ma proposition et j'oublierai que tu m'as menacé.
— Et si je refuse, que comptez-vous nous faire ? Je croyais que votre Général s'intéressait à nous, il ne serait pas content que vous nous blessiez.
L'homme baissa le ton de sorte que seul l'adolescent pût l'entendre :
— Pour être honnête, il en attend beaucoup de toi. De toi uniquement. (Il désigna Kiarah des yeux) Si je dois la menacer pour te garder auprès de nous, je n'hésiterai pas. Ce serait dommage, mais tant pis. J'ai mes ordres.
Arkaën serra les dents ; l'arme trembla dans son poing.
— Sois raisonnable, mon garçon. Si tu obéis, je te jure qu'il ne lui sera fait aucun mal.
— Soyez maudit, siffla-t-il.
Il se recula et jeta l'ouvre-lettre par terre avec rage. Le capitaine réajusta sa tenue.
— Le rituel, donc. C'est une belle occasion qui s'offre à toi, Arkaën. Plus personne n'osera comploter contre toi.
Le jeune homme le foudroya du regard tandis que Kiarah venait se poster près de lui, une main crispée sur sa manche. Pourquoi ne bougeait-il plus ? Ils devaient se dépêcher de fuir !
— J'ai votre parole ? articula enfin son ami en l'ignorant.
— Sur les Créateurs.
— À propos de quoi ? s'affola Kiarah.
La situation lui échappait, elle le comprenait. Arkaën se tourna vers elle et la lueur dans ses iris détruisit tous les espoirs de la jeune fille.
— Tu avais promis... protesta-t-elle, les larmes aux yeux.
Comment pouvait-il ne serait-ce qu'envisager de rester sur l'Hisebh ?!
Il rompit leur contact visuel, les lèvres pincées : il ne pouvait plus supporter son regard. Il était terrifié lui aussi : il n'était pas un criminel, il n'avait rien à voir avec ces pirates. Le capitaine se racla la gorge. Arkaën n'avait pas le choix.
Il n'avait pas le choix et pourtant, au fond de lui, la perspective de devenir un véritable wansien l'excitait. Le capitaine n'avait pas tort au fond : c'était là le moyen de s'arracher à sa misérable condition, de s'arracher au joug de ses parents et de leur rendre la monnaie de leur pièce.
Ignorant Kiarah qui lui broyait le bras, il planta ses yeux dans ceux du capitaine.
— Vous avez gagné, j'accepte, grogna-t-il.
L'humain eut un petitsourire.
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Les Terres de l'Aube _Tome 1 : Minuit [PREVIEW - Terminé]
FantasyJadis, les Terres de l'Aube furent ravagées par les Aakshas, ces monstres venus d'un autre monde. Aujourd'hui encore, les effets de la guerre se font ressentir. Kiarah et Arkaën sont bercés depuis leur enfance par ces histoires horrifiantes. Cette n...