Partie II - 12

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Harry tient la main de l'Araignée. Branchée de partout. 

Ils n'ont pas pu la déplacer vers l'hôpital, ce sont les machines qui sont venues à elle. 

Harry a peur de tous ces fils qui lui trouent la peau, il voudrait les arracher. De toute façon, à quoi bon maintenant ? C'est pour quelques jours, heures s'il elle a de la chance. Ses paupière s'entrouvrent de temps en temps, ses pupilles délavées et troubles se posent sur le visage d'Harry, elle sourit à peine, n'a plus la force de parler. 

Sa famille est venue ce matin. Ses parents. Harry a du sortir de la pièce, il a attendu dans le couloir. Dix minutes. Ensuite, ils sont ressortis. Ils n'avaient pas l'air tristes, juste agacés, ennuyés, pressés que ce soit fini, sûrement. Ils ont regardé Harry pendant quelques secondes, air de dédain et de pitié puis ils sont partis. 

Harry a mal au ventre depuis. 

Il tient la main de l'Araignée, fort. 

Pour lui dire qu'il est là, qu'elle n'est pas seule au monde, qu'il comprend, que lui aussi sait que c'est difficile, que parfois on en est pas capable, de supporter la vie. 

De temps en temps, il caresse sa joue de sa main libre. Dans les creux il sent ses os, il a envie de pleurer. 

Une infirmière entre dans la pièce. Elle remplit une petite poche d'un liquide brunâtre et elle dit à Harry :

-C'est bientôt l'heure de manger, tu reviendras après. 

Harry secoue la tête. Il ne veut pas partir. Il attendra jusqu'au bout. 

L'infirmière se pince les lèvres. 

-Je ne peux pas te laisser rester en permanence ici. 

-Pourquoi ? 

Elle a l'air surprise. Harry ne parle presque jamais. 

-Ce n'est pas bon pour toi. Tu devrais sortir, aller respirer un peu d'air frais. Et surtout venir manger. 

Harry détourne la tête. 

-Je peux manger ici. Et il n'y a pas d'air frais dehors, votre putain de mur l'empêche de passer. 

L'infirmière lui répond mais il n'écoute pas. Il sent la main de l'Araignée se crisper légèrement dans la sienne. Il fixe son visage mais celui-ci reste impassible, quasiment translucide. Ses veines derrière les paupières sont comme une dentelle fine. 

L'infirmière referme la porte. Harry attend un peu puis il se lève et s'assoit sur le lit de l'Araignée, tout près d'elle. Il laisse filer le temps sans le compter. La chambre semble prise dans une éternité morne. Il observe la jeune fille allongée près de lui, son corps si fin, ses bras comme deux branches cassées en deux, ses lèvres gercées et craquelées, le duvet autour qui a bruni, ses poignets striés de cicatrices blanches, parfaitement horizontales. Il connaît mal ce corps, mais il a appris à aimer son âme. Il a envie de l'enlacer, lui qui la repoussait toujours, lui qui ne supporte plus les contacts physiques. Il a envie de sentir l'odeur de sa peau, de l'emporter bien loin avec lui. Il a envie d'entendre son souffle au milieu de sa poitrine, d'y être tout entier comme dans la mer. Il voudrait la sauver du monde entier, lui permettre de vivre à nouveau, de vivre sans manger, de vivre l'océan dans le ventre, de vivre d'amour de mots éparpillés, de vent, de couleurs mélangées dans le ciel. 

Dans l'ombre de la chambre, l'Araignée entrouvre les paupières. 

Elle bouge les lèvres. Son regard est presque entièrement bleu, une file pellicule translucide semble recouvrir sa pupille. 

Harry sait ce que ça veut dire. Il se penche vers elle, colle presque son oreille à sa bouche. Il a peur.  Sa voix est si faible qu'il retient sa respiration pour ne pas manquer un mot. C'est la dernière fois. C'est la dernière fois qu'elle parle. Il le sait. Il écoute. 

-Il faut que je te dise, Harry... Mon vrai prénom... C'est Coline. T'en prends soin pour moi, hein ? 

Harry ne répond rien. Il se contente de caresser le dos de sa main avec son pouce. Coline. C'est son vrai prénom. Celui qu'elle gardait secret pour le jour où elle sortirait enfin d'ici. Un prénom qui s'enfonce peu à peu dans sa poitrine, qui disparaît. 

Harry sent les larmes remonter dans sa gorge, à mesure que le souffle froid de la jeune fille diminue, que ses paupières tremblent légèrement. Il se penche à nouveau, les doigts serrés autour des siens, il a peur de la mort qui l'entoure mais il se penche pour l'embrasser, il ne sait pas pourquoi, il pose sa bouche sur la sienne, froide froide, le goût du sang remonte, son haleine est aigre mais il l'aime, c'est douloureux à ce moment, il sait qu'il l'aime plus que tout, que c'est un amour d'une seconde mais que c'est suffisant, que l'aimer comme ça est tout ce qu'il peut faire. Il aspire son souffle et puis il dit contre sa bouche :

-C'est moi qui vais emporter ton prénom hors de ces murs. Je te le promets. 

La voix étranglée. Ses larmes qui coulent sur les joues blanches de la jeune fille. Sa bouche qui se referme, il a envie de pleurer plus fort mais il ne le fait, ce sont juste ses larmes qui tombent entre les paupières mortes de l'Araignée. 

Et contre ses lèvres, il sent son sourire. Un dernier sourire. Il n'a besoin de rien d'autre. Alors il ferme les yeux, lâche sa main et se relève. Ses jambes tremblent. Il contourne le lit sans la regarder, il va jusqu'à la fenêtre, pose son front contre la vitre. Les larmes roulent sur ses joues. 

Les yeux ouverts fixés sur le ciel. 

Il n'entend pas le bruit des machines qui s'emballent. Il est déjà loin d'ici, au-delà des murs. 

Si loin. 

Il n'entend pas les infirmières rentrer dans la chambre, s'activer autour du lit de l'Araignée, et puis cesser tous mouvements, se regarder, tristes et soulagées à la fois, triste pour cette gamine de 16 ans, des rêves pleins la tête, un sourire adorable et tant d'amour à donner, soulagée que ce soit enfin fini, que son corps repose enfin dans la paix qu'elle méritait.  

Si loin. 

Il n'entend pas l'infirmière qui vient poser sa main sur son épaule, lui dit, ça va aller Harry, on va te reconduire à ta chambre, c'est fini maintenant mais ça va aller, on va te donner de quoi te reposer et tu vas vite oublier tout ça, c'est promis, ça va aller. 

Si loin. 

Au-delà du mur de ses souvenirs, en train de courir dans les vagues blanches, 

la main dans celle du garçon dont il a oublié le nom

les yeux dans les siens, 

des yeux bleus, infinis, 

des yeux des fonds marins. 

Si loin. 

Le prénom de l'Araignée

au milieu du vent et du soleil.

Si loin. 

Vivant. 

Fou.

(un jour) - Larry StylinsonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant