Comme elle nous apparaît

4.3

Est-ce que je ne me soucie vraiment pas du tout de ce que pensent les gens ? D'une certaine manière c'est vrai oui. Je me dis que peu importe ce qu'ils pensent ; vu que je n'ai aucun contrôle là dessus. Je ne peux pas contrôler l'image que je renvoie, alors je n'essaye pas de le faire. Nora oui, mais pas moi. Nora n'arrive pas à accepter l'idée qu'on ne peut pas tout contrôler dans la vie. Moi, ma philosophie c'était « Advienne que pourra ». Je croyais autant au hasard qu'Emile croyait au Destin, ce qui d'ailleurs d'une certaine manière revient au même. Regardez tous les petits hasards sans lesquels on n'en serait pas arrivés là : tout aurait pu être différent et il aurait suffit d'un rien pour ça. Les choses ne relevaient pas de ma volonté, je ne pouvais rien contrôler. Alors, j'avais renoncé à essayer, je me disais que je serais beaucoup plus heureux si je me contentais d'avancer ouvert à tout ce qui pouvait se trouver sur mon chemin, à l'affut des surprises qu'allait m'offrir la vie, décidé à en rire quand je ne pourrais pas en sourire. Nora a une philosophie à mi chemin, mais un comportement plutôt à l'opposé. Certainement, elle essaye de tout contrôler. Mais si on lui pose la question, elle dira qu'on ne contrôle les choses qu'à moitié. Florian disait que la vie était comme une sorte de jeu vidéo : tu ne choisis pas les difficultés que tu vas rencontrer mais tu choisis la façon dont tu vas les affronter. Nora, à sa façon, pense la même chose que lui, à part qu'elle nie l'idée qu'il y ait une bonne solution, et qu'elle te donne un pouvoir supplémentaire. Elle dit que tu es l'auteur de ta vie, mais que ça ne veut pas dire que tu as le contrôle de tout. Ça veut dire que, en plus d'avoir le contrôle d'une partie des évènements, tu as le contrôle sur la façon de raconter les choses. Quelque chose arrive et tu peux non seulement choisir comment y réagir, mais aussi et surtout choisir comment le percevoir. C'est une idée qui la rassure je crois. Et c'est une idée que l'on ne peut pas nier. Peut-être que, sans le savoir, je vivais selon sa philosophie : je faisais des choix quand je pouvais, et quand les choses n'allaient pas selon mon plan je choisissais de me dire « Je m'en fiche », de considérer que ce n'était pas important.

Dans la vie, dans la façon dont les évènements surviennent, il y a indéniablement un facteur hasard et un facteur choix. Nora le dira comme ça, mais elle fera tout son possible pour réduire la part du facteur hasard : elle dit qu'il est là mais je crois que jamais elle ne l'acceptera vraiment. Elle dit que le hasard ce n'est jamais vraiment du hasard, que c'est le résultat d'une chaine de causalités dont tu ne peux pas connaître tous les éléments, et que l'appeler « hasard » n'est qu'une question de point de vue. Elle dit qu'on est forcés d'accepter l'idée qu'il y a du hasard dans le sens où on est obligés d'accepter l'idée qu'il y a des choses que l'on ne contrôle pas. Elle dit aussi qu'il s'agit parfois même d'une obligation morale parce que le hasard de l'un correspond à la liberté de choix de quelqu'un d'autre. Par exemple, elle dit que quand elle a rejeté Florian et Emile, pour eux c'était à accepter comme quelque chose relevant du hasard, mais pour elle c'était un choix qu'elle avait fait librement. Ce qu'elle dit aussi, c'est que comme le hasard n'est jamais vraiment aléatoire, quand on adopte une perspective suffisamment globale on peut prévoir l'avenir. Bien sûr on ne peut pas vraiment prévoir avec certitude, mais on peut deviner ce qui serait le plus probable. Alors c'est ce qu'elle fait : elle cherche à anticiper les conséquences de chaque décision. Elle dit : « Voilà ce qui arrivera probablement si je fais ce choix : ce n'est pas ce que je veux alors je vais faire un choix différent. » Moi, ce serait plutôt « Quelque choix le choix que je fasse, je ne peux pas en connaître l'issue, alors essayons et on verra bien ». Je suis quand même un peu moins comme ça maintenant ; mais ça a été ma philosophie de la vie pendant longtemps.