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Si vous voulez mon avis, les préférences sentimentales si différentes d'Emile et Florian avaient une explication on ne peut plus simple. Emile, ayant trouvé dans la voie littéraire (et dans les romans en général) l'approbation qui lui faisait défaut et la cure à sa solitude, cherchait à présent autre chose : une fille différente de lui, qui lui permettrait de grandir, de gagner en confiance. Je crois aussi qu'il aimait Nora parce qu'il ne pouvait pas s'empêcher de voir quel personnage admirable elle ferait. Il voyait en elle la parfaite héroïne de roman et le seul problème était qu'il avait du mal à voir, étant donné quel personnage il était lui, comment ce roman pourrait être quoi que ce soit d'autre qu'une tragédie. De toute façon, Nora ou une autre, ça aurait été du pareil au même : il se voyait comme le type même du personnage destiné à souffrir. Florian, quant à lui, passait ses journées entouré de rationalité scientifique, et à faire bonne figure pour s'intégrer. Je ne sais pas s'il s'en rendait compte, mais il espérait qu'Héléna lui donne un moyen de sortir de tout ça. Pas d'en sortir définitivement, parce qu'il aimait la vie qu'il s'était choisie. Mais c'est comme s'il faisait constamment de la plongée sous-marine, et qu'il voulait juste de temps en temps prendre l'air, pouvoir être lui-même. Héléna était typiquement le genre de fille qui, par sa simple existence, l'assurait qu'il n'y avait rien de mal dans ce qu'il était lui au fond, ce qu'il ressentait, ce qui le faisait se sentir différent des autres. Et en même temps, Florian ne pouvait s'empêcher de voir Héléna comme pleine de problèmes à résoudre. Il ne pouvait pas l'aimer totalement parce qu'elle était ces parts de lui qu'il n'acceptait pas ; qu'il voyait comme des problèmes justement. Il l'aiderait à les résoudre, il l'aiderait à s'intégrer, à masquer, à plonger avec lui : Il la ferait couler. Pour ensuite être sa bouffée d'air : le seul à la voir telle qu'elle est vraiment et à l'accepter ainsi. Mais tout ça, ce n'était que mon avis à moi.

Je leur aurais probablementavoué ce que je pensais de tout ça, si Emile et Florian m'avaient posé laquestion. Mais ils n'ont jamais demandé. C'était pourtant le jeu auquel nousjouions tous les samedis : une sorte de jeu des vérités. En attendant notretour de prendre les raquettes pour nous affronter sur le cours de tennis.Un truc de gamins (le jeu des vérités, pas le tennis), disait Maëlle, mapartenaire pour les matchs en double. Maëlle était une amie d'enfance qui, déjàà 6 ans, se croyait un exemple de maturité et voulait jouer les grandes : soiten piquant les vêtements de sa sœur aînée, soit en sermonnant ses petitscamarades. Râler contre ce jeu n'était probablement pour elle qu'une manière deplus de jouer celle qui est plus mature que les autres. La règle du jeu étaitsimple : les gagnants du dernier match de tennis pouvaient poser des questions,et les perdants se devaient de répondre à toutes et en toute sincérité. Maëllerefusait systématiquement de jouer, que ce soit pour poser des questionsou pour y répondre ; mais elle ne se privait pas pour écouter. Comme ellene jouait pas, ça faisait deux fois plus de questions pour moi chaque fois quenotre équipe perdait le match. Ce dont je ne me suis jamais plaint, même sij'aurais tout à fait été en droit de le faire. Contrairement aux autres,j'avais tout à fait conscience qu'être celui qui doit répondre ne constituaitpas une punition mais plutôt une chance. Après tout, ce n'est pas souventdans la vie qu'on a l'occasion d'être totalement honnête et ouvert. Dire lavérité, toute la vérité : je ne demande que ça ! Mais, il se trouve quedans une interaction normale ça semble souvent étrange ou malvenu. Amoins d'avoir l'excuse d'être obligé, comme par exemple dans un jeu. C'estpour ça que j'avais proposé le jeu au départ : officiellement afin de donner unenjeu aux matchs de tennis, mais officieusement afin de créer desconversations suffisamment riches et honnêtes pour me satisfaire. C'estd'ailleurs ce qui m'a permis d'obtenir toutes ces confidences de la part d'Emileet Florian au sujet de leurs vies sentimentales. La vérité, toute la vérité: je ne sais pas si ça existe vraiment. Leurs versions auraient-t-ellesété différentes si je les avais obtenues dans un contexte différent ? Sij'avais été quelqu'un d'autre que moi ? Si Maëlle n'avait pas été là en traind'écouter ? Si l'un d'eux avait été absent lors des confessions del'autre ? Si ce n'avait pas été un jeu ? Je ne le saurai jamais.

Comme elle nous apparaîtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant