1.4

569 103 2
                                    

La fille qui occupait les pensées de Florian était une mystérieuse inconnue qu'il avait rencontrée (si on peut appeler ça « rencontre ») à une soirée. Il venait alors tout juste de commencer ses études de physique et était bien décidé à s'intégrer dans sa promo. Il s'était fait un petit groupe d'amis, et les suivait de fête en fête. Soirées chez des gens que lui ne connaissait pas forcément, et dans lesquelles jamais il ne se sentait tout à fait à son aise. C'est pour ça qu'il avait remarqué cette fille : la seule personne qui semblait être plus mal à l'aise que lui ne l'était. Il ne l'avait remarquée que quand la musique a été lancée et que la plupart des gens (lui compris) s'étaient mis à danser. Cette fille là ne voulait pas danser, bien que ses amis aient été en train d'essayer de la trainer de force sur la piste. Elle avait résisté, s'était assise sur le canapé et est restée plantée là, ses doigts s'entrelaçant nerveusement comme le faisait l'estomac de Florian qui espérait que personne ne remarque à quel point il dansait mal. Il aurait tout donné pour être sur le canapé en train de discuter avec cette fille plutôt que là sur la piste en train de jouer les idiots. Ça ne se voyait pas, mais il était terriblement gêné. Toutefois jamais autant qu'elle : on aurait dit qu'elle essayait de se fondre dans les coussins du canapé pour disparaître. Elle ne regardait même pas les autres danser ; elle donnait l'impression d'être perdue dans ses pensées, absente de l'endroit où elle se trouvait. De temps en temps, son regard se posait involontairement sur eux et alors elle avait l'air perplexe et confus. Cette fille n'avait absolument rien à faire ici et ne se donnait même pas la peine de le cacher. Elle essayait de se rendre invisible, mais ne semblait pas réaliser que la meilleure façon de se rendre invisible aurait encore été de rejoindre les autres pour danser avec eux. C'est ce que Florian faisait, lui. Tout en regardant cette fille sur la figure de laquelle transparaissaient toutes les émotions qu'il ressentait tout en s'efforçant de ne pas les laisser transparaître.

Il ne savait rien de cette fille. Il avait fini par l'appeler Héléna, un peu au hasard (ou pour une raison que je n'ai jamais connue), après s'être lassé d'employer des périphrases pour la désigner. Je pense qu'il n'avait surtout pas envie de s'entendre, chaque fois qu'il cherchait comment l'appeler, se rappeler à lui-même à quel point il savait peu d'elle. Il ne connaissait même pas son prénom. Et pourtant il avait l'impression de la connaître mieux que beaucoup d'autres personnes qu'il côtoyait. Il disait qu'il la comprenait, parce que leurs âmes étaient semblables, et qu'il savait parfaitement ce qu'elle pensait et ressentait. Il savait qu'en voyant tous ces gens danser, elle se demandait « Pourquoi ? », qu'elle ne parvenait pas à comprendre ce qu'ils trouvaient amusant là dedans et comment ils pouvaient passer outre le fait qu'ils étaient ridicules. Pourquoi ça ne gênait personne de se donner en spectacle ? Comment ils pouvaient passer tant de temps de leur vie à faire ça ? Et comment ça pouvait leur donner l'impression de créer des liens, de mieux se connaître ? Pourquoi dans leur tête la définition de « s'amuser » c'est » avoir l'air ridicule » ? Il avait l'impression de la comprendre, et l'impression qu'elle le comprendrait. Il avait l'impression qu'au fond ils étaient les même elle et lui.

Et il pouvait s'imaginer avec elle. Il ne savait pas trop comment ça arriverait, mais il ferait en sorte que ça arrive. Ils seraient si heureux ensemble. Il serait celui qui la comprendrait, le seul à la connaître vraiment et à qui elle pourrait dire tout ce qu'elle pense. Et elle serait celle à qui il confierait tout ce qu'il a sur le cœur. Il lui montrerait à quel point elle est fantastique, lui ferait réaliser qu'elle n'a aucune raison de vouloir être invisible ou d'être gênée. En l'aimant, il lui apprendrait à s'aimer elle-même. Et il lui apprendrait à s'intégrer : il lui montrerait comment réussir à interagir avec autrui, lui prouverait que ce n'est pas si difficile. Il lui donnerait toute la confiance qui semblait terriblement lui faire défaut. « Owwh ! Cette fille est un petit bourgeon que je vais aider à éclore » ; c'est ce que disait Emile pour se moquer de son frère quand il tenait ce genre de propos. Il trouvait ridicule que Florian veuille jouer les « sauveurs ». Et Florian trouvait ridicule qu'Emile se refuse à parler à Nora, qu'il voyait deux fois par semaine, quand lui-même aurait tout donné (enfin presque) pour une nouvelle chance qu'Héléna croise son chemin.

Comme elle nous apparaîtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant