Jour 7

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Putain de bordel de plage de merde ! Ça fait cinq minutes que je tourne la molette de mon poste radio (oui, il a une molette !), millimètre par millimètre. Pas moyen d'atténuer les interférences... Tant pis.

J'adore mes enfants, vraiment. Au fond. Je suis quasi certain de les adorer profondément. Sauf quand ils s'obstinent à m'emmener dans un endroit où il fait mille fois plus chaud que chez moi... Et dont le seul intérêt est de s'y baigner pour (je vous le donne en mille) : se rafraîchir. Bref !

En relisant ma dernière « prise de parole », je me dis que vous allez peut-être croire que ma famille m'aime. Que je suis salaud... Certes, je le suis (et je m'en fous pas mal). Mais eux aussi.

Croyez-vous que c'est par amour que mes enfants me rendent visite avec les leurs ?
Au mieux, c'est par amour de leurs progénitures. Par « espoir », devrais-je dire, de leur épanouissement. Donc, du leur, par la même occasion. Je le dis avec beaucoup de compassion, je suis passé par là.

Au pire, c'est pour s'en débarrasser quelques temps.

Ma femme et moi, dans le meilleur des cas, avons le rôle de faire-valoir. Dans le pire, celui de baby-sitters bon marché.

Vous me pensez cynique ? Caricatural ? Pessimiste ? Moi aussi, avant.

Je m'explique : comme vous, comme tout le monde, je suis égocentrique. Certes, ça, c'est cynique, mais laissez-moi terminer mon raisonnement !

Tout naît de l'égocentrisme. Le bien comme le mal. J'ai eu un temps une théorie : chaque pleur serait versé à cause de notre propre égocentrisme.

Mais ça ne fonctionnait pas dans certains cas, je crois. Il y avait une faille, que j'ai oubliée depuis. Le problème quand on est vieux, c'est qu'on oublie la plupart de ce qu'on a appris en vieillissant.
Ceci dit, ma critique actuelle des relations sociales demeure proche de mon ancienne théorie. Il me semble.

Une erreur au boulot ? Le désaveux de votre sentiment de toute puissance.

Le décès d'un proche ? La fin de celui d'immortalité.

Et je ne vous parle pas des pleurs de joie. Bref, tous ceux qui pleurent sont égocentriques. Les autres n'existent pas.

Ce n'est pas moi qui le dit, c'est Freud. Avec ses mots à lui : frustration, reviviscence et transfert. Sexe, drogue et rock'n'roll. Je n'ai jamais lu un seul livre de Freud en entier mais je conseille vivement de lire sa page Wikipédioche. Ça vous donnera un résumé de tous les autres livres de psychologie parus depuis.

Où en étais-je ? Ah oui, mes proches... Ma femme, ce n'est pas mieux ! Elle m'aime sans se rappeler pourquoi. A mon avis, c'est par dépit. Ou par habitude... Le problème est qu'elle le cache très bien. Ça crève la tête mais pas encore les yeux. Bien qu'elle soupire de plus en plus. Moi aussi. Ma femme est une sainte et c'est ce qui la rend chiante.

Je suis sûr qu'elle fait plein de choses pour mieux me reprocher de ne rien faire. Elle se fait bien voir par les autres et, le soir, elle me marmonne qu'elle n'en peut plus, que je peux bien faire quelque chose. Est-ce que je lui demande de partir en vadrouille, moi ? Elle n'a qu'à faire comme moi : rester à la maison, pépouse, jusqu'à ce qu'on ait besoin d'en sortir. Bon, du coup, j'en sors rarement, mais c'est parce qu'elle ravitaille, qu'est-ce que j'y peux ?

Je digresse. Et ce n'est pas à mon avantage.

Décidément, ce poste radio est bon pour la casse. Un petit coup d'œil aux mômes : RAS. Quand leurs parents ne me les envoient pas, finalement, je suis assez tranquille à la plage. Je pourrais y prendre goût... Sauf qu'il fait trop chaud ! Pas question que j'enlève ma chemise. Ni mon tee-shirt. Pourquoi pas piquer une tête, tant qu'on y est !? En fait, on se fait chier. Enfin moi, surtout.

Je disais donc, ma famille ne m'aime plus. Plus vraiment. Elle aime encore l'idée qu'elle se fait de moi. Ça, oui. Mais pas le vieux croûton râleur que je suis devenu. Je n'ai plus que deux alliés. Bon, c'est aussi ma famille, mais... c'est différent.

Il y a des jolies filles sur cette plage. Je n'avais pas fait attention. Ça ne m'émoustille plus comme avant. Ça ne me laisse pas non plus indifférent. La beauté me touche, je crois. Elles sont agréables à regarder. Ce qui n'est plus mon cas. C'est triste de vouloir plaire quand on n'en a pas les moyens. De toute façon, à quoi ça servirait ? Ce sont des gamines. Lecteurs, si vous venez chercher dans ma vie un lourd secret, déjà : vous allez être déçus. Et ce ne sera certainement pas la pédophilie.

C'est plutôt qu'elles me rappellent feu ma propre beauté. Ah, là, là ! Qu'est-ce que j'ai été beau. Et qu'est-ce que ça m'a servi. C'est dégueulasse à reconnaître, mais les belles personnes ont la vie plus facile.

Une jolie personne qui sourit vous donne envie de sourire. C'est mécanique. Et injuste. L'injustice est mécanique.

Le drame est que, passé un certain âge, certes assez élevé, on s'enlaidit de manière éternelle.

Alors, quand on est un vieux râleur, et que la nature et la mécanique s'acharnent à vous réduire en poussières. Vous perdez de l'aura, vous perdez du pouvoir. Et vous perdez vos proches et leur appui. Il faut apprendre à vivre sans.
Et moi, je n'ai pas appris à faire ça. Pas sans radio.

Chronique d'un vieux qui vous emmerde tousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant