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Depuis l'altercation entre Alessia et Arnaud, la brune est crainte d'un bout à l'autre des couloirs du lycée. Les garçons se tournent résolument vers le mur quand elle traverse les bâtiments, protégeant leurs bijoux si précieux. Les filles lui lancent des regards mauvais, plein de sous-entendus et remplis de dédain.

En effet, Arnaud n'a pas manqué de reproches envers Alessia lorsqu'on lui a demandé pourquoi il était plié en deux au milieu de la cour. Au lieu de nier ce qu'il considérait comme une "honte" et ainsi éviter de passer pour un énorme "faible" aux yeux des lycéens, il a tout simplement retourné la situation à son avantage, admettant que oui, la brune avait bien réduit son appareil reproducteur à néant, mais qu'elle l'avait fait sans raison apparente. Il décrivait l'italienne comme une "folle furieuse", une "salope dangereuse" ou une "véritable psychopathe".

Et qui, à part une "bipolaire complètement tarée" attaquerait un aussi gentil garçon qu'Arnaud Briel ? Personne. Il est considéré comme un mec adorable que tout le monde s'arrache au lycée.

Remettre le Scotch à sa place n'a donc pas arrangé la réputation déjà peu flatteuse d'Alessia, mais elle s'en fiche. Arnaud a cessé d'harceler Lizzy, et c'est de loin le principal.

Alors qu'elle rejoint la rousse, assise dans un coin, les gens s'écartent sur son passage, murmurant des théories plus farfelues les unes que les autres, débattant sur des rapprochements stupides à propos de ses origines et de Mussolini, sur son caractère et une possible maladie, et sur à peu près tout ce qui pouvait toucher à sa vie sexuelle.

Ignorant ces âneries, elle se glisse à côté de sa copine et, faute de pouvoir l'embrasser - pourtant, ce n'est pas l'envie qui manque, loin de là -, elle lui lance un "salut" discret. Mieux vaut être silencieuse. Ce n'est pas la peine de braquer sur elle plus de regards qu'elle n'en attire déjà.

— Hey Lessie, répond Lizzy. Alors ? Bien dormi ?

Aux yeux de tous, elles passent pour deux amies banales. Qui partagent beaucoup de choses, certes. Si seulement les gens savaient à quel point elles partagent tout...

— Bah écoute, plutôt bien. Je ne vais pas m'empêcher de me reposer tout ça parce que Briel est un abruti de mauvaise foi.

— Ce n'est pas faux. L'avantage à tirer de toute cette histoire, c'est qu'il m'a lâché. Tu lui fais peur, rit Lizzy.

Puis elle ajoute, soudain embarrassée :

— Je suis désolée pour la réputation qu'il t'a forgé... Tu n'aurais peut-être pas du le provoquer tout compte fait...

— Liz'... Ne t'excuse pas. J'en ai littéralement rien à faire. Mais alors, vraiment rien.

La brune sourit en se tournant vers sa copine. Le regard qu'elles échangent est difficile à supporter pour l'une comme pour l'autre, tant il est rempli de désir. Alessia pense que, définitivement, le cou blanc de la rousse est trop vierge pour rester comme ça. Il lui faut un ou deux suçons pour décorer...

— Sérieusement, si tu ne caches pas tes lèvres rapidement, je les bouffe, murmure Alessia, très bas.

Lizzy se met à rougir incontrôlablement. Tout en se réfugiant derrière son éternelle écharpe pour masquer ses joues couleur tomate, la jeune femme réplique sur le même ton :

— Lessie ! Pas ici !

La brune pouffe. Ce n'est quand même pas de sa faute si le cou tout beau tout blanc de Lizzy est aussi attirant...

— Comptez-vous rester dans le couloir pour copier votre cours ou préférez-vous vous installer dans la salle ? Je vous préviens, vous verrez mieux le tableau avec la seconde option, claque soudain une voix sèche.

C'est celle de madame Combes, la sévère professeure d'histoire et géographie. Elle aurait d'ailleurs fait une jolie paire avec Gessica Di Marzio. Régulièrement, Alessia s'imagine sa génitrice et sa professeure discuter de choses dont se plaignent les adultes avec un ton très old-school, comme la nouvelle génération "malpolie et toujours sur les portables", les réseaux sociaux qui "abrutissent nos enfants" ou l'homosexualité qui "est une mode chez les jeunes aujourd'hui".

En entendant cet énième sarcasme de la part de madame Combes, les élèves de la classe de Terminale ES2 rentrent bien sagement dans la salle. La mégère est capable de sortir une trentaine de ces inégalables et mordantes répliques par heure de cours. Il y a un mois, Lizzy et Alessia s'étaient amusées à faire des traits sur leurs bras à chaque fois que la professeure lâchait une petite pique du genre. Résultat, leurs membres s'étaient retrouvés surchargés de bleu.

Les deux amoureuses s'installent comme à leur habitude en fond de salle, côte à côte. Personne ne vient jamais les embêter avec leur manie de toujours s'assoir tout derrière parce qu'elles travaillent bien et récoltent de bonnes notes. Enfin, Alessia peut remercier Lizzy de l'aider à réviser pour le français, matière que l'italienne a du mal à comprendre. Heureusement que madame Colin-Millot, leur professeure de français, n'a pas de tendances xénophobes et corrige toujours avec bienveillance sur la copie de la brune quand celle-ci mélange les règles de la grammaire italienne avec celles de la grammaire française, ces dernières étant loin d'être évidentes même pour ceux dont le français est la langue maternelle.

Le cours a à peine commencé que Noémie et Arielle, les filles installées devant, se retournent et chuchotent à Lizzy et Alessia :

— Alors comme ça vous êtes lesbiennes ?

Surprises, les deux filles restent interloquées pendant quelques secondes. En toute honnêteté, elles ne s'attendaient pas du tout à ce genre de remarques, pensant leur secret bien loin d'être découvert. Heureusement pour ce fameux secret, Lizzy se reprend vite :

— De quoi est-ce que vous parlez ?

— Arnaud nous a dit que vous étiez en couple, réplique Noémie.

— Hein ? lâche Alessia.

Les deux amoureuses échangent un regard où se mêlent surprise, peur et incompréhension.

— Il a dû raconter de la merde, comme d'habitude, soupire Arielle avant de se retourner vers le tableau.

Lizzy et Alessia, en revanche, restent fixées les yeux dans les yeux. Le Scotch a fait courir une rumeur comme quoi elles étaient en couple, et ça, ce n'est pas bon du tout. C'est la pire rumeur qu'il pouvait répandre, et pour cause : elle est vraie.

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