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— Lâche-moi Arnaud.

Lizzy, malgré la neige glissante qui recouvre le trottoir, accélère le pas pour semer le spécimen relativement lourd qui lui coure désespérément après, comme un chien derrière un bâton. Elle n'a pas réussi à se débarrasser du chien en question, aka Arnaud Briel, jeune mâle étrangement résistant aux réponses négatives et visiblement en période de reproduction en plein mois de janvier.

— Mais Lizzy, écoute-moi...

Elle ne laisse pas le temps à l'adolescent de finir sa phrase et accélère encore, s'éloignant toujours plus du lycée et d'Alessia qu'elle a quitté un quart d'heure plus tôt, après un baiser échangé discrètement dans les toilettes du bâtiment B, celles que personne ne veut utiliser. Les plus rationnels se plaignent de la vieillesse des installations et du froid qui y règne en hiver, les autres racontent qu'un double de Mimi Geignarde y camperait. Somme toute, la deuxième hypothèse plaît souvent plus de par sa dimension effrayante et surnaturelle qui ne manque jamais de divertir les élèves entre deux cours de philosophie.

Lizzy est à deux doigts de prendre la fuite, regrettant déjà de ne pas être restée avec Alessia encore quelques minutes. Elle a beau repousser le pénible Arnaud, celui-ci semble plus coriace qu'une coquerelle. Il s'accroche à Lizzy. Ce qui n'est pas pour plaire à la rousse, qui malgré sa timidité commence à saturer des avances tout sauf subtiles du garçon.

— Laisse-moi tranquille, répète Lizzy pour la sixième fois en dix minutes.

— Tu n'es pas comme les autres filles !

— Qu'est-ce qu'il y a de mal avec les autres filles ? lance la rousse, plus que vexée par cette dernière phrase.

"Moule sur son rocher ou véritable sangsue humaine ? Telle est la question." se demande la jeune femme, amère.

— J'ai été gentil ! Je veux juste qu'on discute !

— Et moi j'aimerais que tu arrêtes de me suivre partout. J'ai froid et je vais louper mon car.

Au grand dam de l'adolescente, Arnaud finit par lui couper la route.

— Pourquoi tu ne veux pas Liz' ?

Tout d'abord, de quel droit l'appelle-t-il par son surnom ? Les seules personnes ayant le droit de lui donner un sobriquet affectif sont ses parents et Alessia. La rousse roule des yeux. Son agacement montant est loin d'être une bonne nouvelle. Généralement, elle n'extériorise pas sa colère et cela la rend malade.

— Parce que, répond-t-elle simplement, ayant tout bonnement la flemme de fournir un motif pour ce gars qui ne mérite aucune justification.

Elle contourne Arnaud et atteint enfin ce qui lui semble, à ce moment précis, être l'éden : l'arrêt de bus. Sans un seul regard pour l'embarrassant individu derrière elle, elle grimpe dans l'autocar et se pose lourdement sur un siège, resserrant sa doudoune et son écharpe avant de visser ses écouteurs dans ses oreilles. Tandis que les premières notes de musique commencent à résonner dans ses tympans, sa tête se tourne automatiquement vers la vitre, profitant du spectacle des flocons recouvrant la ville, et ses pensées dérivent.

Elle aperçoit son reflet dans le verre et se demande bien comment Arnaud peut-il la coller autant. Sa doudoune noire lui donne une apparence de bonhomme Michelin et son écharpe celle d'un voleur. Sa peau, déjà très blanche de nature, est encore plus pâle que d'habitude. Seules ses joues sont rougies par le froid. Sa touffe rousse est entièrement décoiffée et emmêlée, et ses lèvres desséchées par les températures polaires n'arrangent pas son allure dévergondée.

Pour résumer, elle n'a rien de la fille que les garçons comme Arnaud viennent approcher dans l'espoir de conclure.

En soupirant, elle explique la situation à Alessia, en lui envoyant un court message.

"Arnaud Briel est un étrange mélange entre une raclure de Nice Guy et un prototype raté de Robert Pattinson à seize ans."

La réponse ne se fait pas attendre :

"Mdrrrrr"

Vite suivie d'un :

"Attends, quoi ? Une raclure de Nice Guy ?"

Lizzy soupire et développe :

"Il me suit depuis que je suis sortie du lycée. Il veut absolument qu'on discute et que je lui donne mon numéro. Visiblement il a du mal avec le "non" ce gars."

"Ah. Bah... Supposons que je l'attende demain. Supposons que je lui apprenne ce que c'est le "non". Supposons qu'il insiste. Supposons que je l'envoie balader. C'est un bon scénario ?"

La rousse étouffe un rire dans son écharpe, ce qui lui vaut un regard noir de la grand-mère assise dans la rangée d'à côté. Ah, visiblement les écharpes ne sont pas des objets complètement insonorisés.

Lizzy glisse un regard d'excuse à la vieille femme, qui se retourne résolument sur son siège avec dédain. Décidément, aujourd'hui n'est pas un bon jour. Entre Arnaud la sangsue et cette personne âgée mal lunée, la jeune femme se demande si elle n'est pas maudite.

Qu'importe, si demain Arnaud continue d'envahir l'espace vital de la rousse, cette dernière n'hésiterait pas à laisser Alessia lui régler son compte. Après tout, ce n'est pas comme si cela dérangeait l'italienne de faire barrage à tous les collants qui venaient désespérément répandre leur bave sur les vêtements de Lizzy.

La jeune femme soupire et éteint l'écran de son téléphone après avoir envoyé une dernière réponse à Alessia. Elle l'aime. C'est certain.

Elle n'a jamais douté de son hétérosexualité avant l'arrivée de la brune dans sa vie. Si elle devait trouver une analogie à cet événement, elle le comparerait sûrement à un ouragan qui aurait détruit toutes ses convictions. Accepter que oui, elle était tombée amoureuse d'une fille ne fut d'ailleurs pas chose facile pour la rousse, parce qu'elle n'avait jamais envisagé la possibilité d'être bisexuelle. Cependant, aujourd'hui, tout va mieux et la lycéenne ne regrette pas d'avoir dit oui à Alessia.

Elle aurait d'ailleurs pu dire à Arnaud qu'elle était en couple et que ses tentatives de drague déplacées étaient vaines, mais cet inélégant aurait forcément posé des questions. Et pour deux filles qui tentent tant bien que mal de cacher leur couple malgré les questions, malgré la difficulté et malgré leurs parents, mettre Arnaud dans la confidence n'est peut-être pas l'idée du siècle, honnêtement.

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