Plutôt mourir debout

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L'être humain a besoin de liberté, sinon il s'avilit peu à peu. Rousseau pensait que le bonheur venait de l'état de nature : une vie libérée de tout esclavage. Comment vous dire à quel point il avait raison ? À quel point, nous nous détruisons sans ce libre-arbitre qui est le cœur de notre humanité ? Je vais tout vous raconter, pas pour quémander votre pitié ou me faire plaindre, mais afin que mon expérience profite à d'autres.

Avant de rencontrer Mathieu, il y a quelques années, j'étais une sacrée fêtarde. Je passais plus de temps en compagnie de mes amis au bar plutôt qu'à travailler sur mon mémoire. C'est à une de ces soirées qu'il m'a abordée. Le contact est passé tout de suite, c'était quelqu'un de vraiment charmant et drôle ! Nous avons échangé nos numéros et nous sommes promis de nous revoir.
Dans les jours qui ont suivi, nous avons beaucoup discuté par textos et, finalement, on s'est fixé un rendez-vous. Je dois dire qu'il n'était pas aussi mignon que dans mes souvenirs, plutôt maigrelet et son visage était assez creusé. Cependant, ses yeux étaient magnétiques, d'un bleu océan profond absolument splendide.

Nous sommes sortis rapidement ensemble, je vous passe les détails. Les deux premiers mois ont été une période géniale, il était attentionné et aux petits soins. Le seul hic était au lit, où son fantasme était de mettre ses mains autour de mon cou pendant que nous couchions ensemble. Vu que cela ne me faisait pas mal, je me suis dit que tout le monde avait ses fétichismes un peu étranges. J'aurais dû me douter de quelque chose, j'ai été une pauvre conne.

Au bout de quelque temps, nous avons emménagé ensemble, cédant au forcing de Mathieu. C'est à ce moment que mon calvaire a commencé. Dans un premier temps, c'étaient des remarques mesquines sur des oublis, des échecs, des détails anodins. Parfois, des petites piques par-ci par-là : « Tu pourrais être plus comme ceci... Comme cela », « Tu as pris du poids, non ? ». Je ne me laissais pas faire, ayant un fort caractère, et nous nous engueulions souvent. Pourtant, à chaque fois que son regard plongeait dans le mien, je me sentais hagarde, groggy, et déstabilisée. Impossible pour moi de rester en colère contre lui.

Plus les mois passaient, plus les choses empiraient. Ses réflexions devenaient progressivement plus violentes. « Tu n'es qu'une bonne à rien », « Je me demande comment je fais pour te supporter, pourquoi j'ai quitté mon ex pour ça ? ». Vous devez vous demander comment on peut supporter un traitement pareil. Il m'avait coupée de tout lien social, de toute estime de moi. Je pensais qu'il avait raison, que j'avais de la chance de l'avoir, que je n'étais qu'une merde. Ça en arrivait à un point tel que je faisais, non, je vivais en fonction de lui et de ses attentes, mais ce n'était jamais assez et il avait toujours quelque chose à me reprocher. Si le diable existe, son visage est celui de Mathieu.

Pour perdre ma soi-disant surcharge pondérale, je me faisais vomir discrètement après chaque repas. Je me rappelle qu'un jour ce monstre m'a surprise les doigts dans la gorge, il a seulement souri puis caressé ma tête avant de partir. À mesure que je me décomposais, que je perdais des kilos, lui prenait des couleurs, ses joues se remplissaient et son ventre gonflait. Et ses yeux, plus profonds que jamais. Le cadavre que j'étais se disait que c'était parce que je le rendais heureux. Dans un sens, je n'avais pas tort.

Je n'avais plus de travail, j'avais arrêté les études, ma vie entière était sous sa coupe. Il s'en servait pour tenir et m'emprisonner, et sa violence s'est accentuée. « Sale pute, fais ce que je te dis. Sans moi, t'es rien ! », je n'irai pas plus loin, c'est encore trop douloureux. Je n'étais plus qu'un sac d'os et lui un porc bedonnant, avec son insupportable sourire. Mais, pour moi, tout était de ma faute et l'important était qu'il aille bien.

C'est au fond du trou que m'est venu le déclic. Mathieu était au travail et je faisais le ménage. Je suis tombée sur une veille vidéo de moi datant d'avant notre rencontre. Belle, lumineuse, entourée. J'ai tourné ma tête en direction du miroir et je me suis vue, ce que j'étais devenue. Alors, j'ai pris la meilleure décision de ma vie : fuir ce salaud immédiatement.

Pendant que je rassemblais mes affaires dans une grande valise, j'ai senti des mains sur mon cou et la voix de mon bourreau me murmurant à l'oreille : « Tu vas me laisser seul, après tout ce que j'ai fait pour toi ? ». J'étais tétanisée et incapable de bouger. Il a resserré son emprise : « Je croyais que tu m'aimais, mais non. Tu t'es foutue de moi depuis le début ». Je pleurais de peur, mon corps était comme statufié. Lui, il continuait de serrer jusqu'à me couper la respiration. « Tu ne peux pas m'abandonner. Tu sais à quel point les autres femmes m'ont fait souffrir, combien je suis fragile ». C'est là qu'un miracle s'est produit : au moment où j'allais suffoquer, j'ai réussi à basculer violemment ma tête en arrière pour aller fracasser la sienne. Le choc l'a fait reculer de quelques pas. Il m'a regardée droit dans les yeux : « Mon amour, oublions toute cette histoire. Tu t'es emportée, je le comprends. Moi aussi, j'ai mal agi quand j'ai vu que tu voulais me quitter ». Il a avancé d'un pas et a repris : « Je te propose de commander chinois ce soir, qu'en dis-tu ? ». Il a fait un ultime pas : « S'il y a des problèmes dans notre couple, nous pouvons les surmonter ensemble. Fais-moi confiance, tout ira bien. »

Pour la première fois, je trouvais la force de surmonter son regard et en un éclair, j'ai saisi ma valise pour l'envoyer directement à la tronche de ce salopard. Il s'est effondré par terre, du sang tachant la moquette. Je me suis précipitée vers la sortie, fermée à clefs, et en me tournant je l'ai vu me faire face. J'ai vu le vrai lui de cette chose.
Un monstre difforme et rond avec une peau rouge pâle grasse, des mains boudinées aux doigts longs et squelettiques parcourues de veines apparentes. Son visage était littéralement rond, ses yeux toujours aussi bleus mais globuleux et sortant presque de leurs orbites. Cette immondice vivante avait un nez pointu énorme et profondément enfoncé dans le crâne. Le pire était sa bouche immense ouverte jusqu'aux deux oreilles et une dentition de requin. Tout son être suait abondement et des litres de bave sortaient de cette bouche.

« Ne me laisse pas, mon amour, j'ai besoin de toi. Je vais changer, je te le promets. »

Je ne me souviens plus exactement de ce que je lui ai répondu, mais j'ai hurlé et ordonné de reculer en le traitant de putain d'abomination. Son visage est devenu rouge vif, et il s'est jeté sur moi et m'a propulsée sauvagement contre le mur. Allongé sur moi, sa face contre la mienne, il m'a susurré des mots qui sont restés gravés dans ma mémoire : « Sans toi, ma chérie, je ne vais pas pouvoir me nourrir. Il va m'en falloir une autre. »

Il a recommencé à m'étrangler, sans retenue. Je me débattais, bien sûr, mais impossible de le faire lâcher prise. Quand, avec une énergie miraculeuse, j'ai pu lui porter un coup brutal sur l'œil droit. Il a été foudroyé par la vigueur de l'impact et j'ai réussi à me dégager de son emprise. Pendant qu'il se tordait de douleur, j'ai saisi sa tête et l'ai fracassée contre le sol encore et encore jusqu'à ce qu'il ne bouge plus et, même à ce moment, je ne me suis pas arrêtée. Je ne pourrais pas vous dire combien de temps je suis restée à pleurer, recouverte d'éclaboussures de sang. Puis, j'ai appelé la police, leur expliquant les événements. Quand je suis retournée voir le cadavre, il avait disparu, tout comme les taches de sang et la bave, absolument tout avait disparu !

J'ai été interrogée sur la disparition de Mathieu et je leur ai dit ce qu'il s'était passé. Ils m'ont alors envoyée voir des psys, faire des examens... Au final, je n'ai pas été inquiétée et ces derniers ont abouti à un délire de ma part. L'enquête a conclu que le disparu avait fui la ville en raison de l'arrivée d'un proche d'une de ses anciennes compagnes. En effet, les enquêteurs m'ont appris que mon ex avait été mêlé à de nombreuses affaires de suicides, toutes des conjointes. Je ne sais pas si les policiers me pensaient vraiment innocente ou s'ils se disaient que j'avais bien fait de liquider cette ordure, mais je m'en suis sortie.

Moi oui, mais combien de gens sont encore entre les griffes de monstres comme je l'ai été ? Il n'était pas unique, car je peux en voir d'autres. Croyez-moi, ils sont nombreux.

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